La publication d'un rapport parlementaire sur les mineurs non accompagnés délinquants inquiète les associations bordelaises. Elles déplorent que l'accent soit mis sur l'insécurité, au détriment de la protection de ces enfants isolés.
C'est un rapport parlementaire d'une trentaine de pages qui met le feu aux poudres. Dès sa publication, l'Unicef s'est fendu d'un communiqué faisant part de son inquiétude. L'organisation dénonce notamment certaines des préconisations rédigées par les députés de l'Hérault Jean-François Eliaou (LReM) et du Val d'Oise Antoine Savignat (LR) au terme de leur mission.
"On parle de sécurité plutôt que de protection de l'enfant"
Dans ce rapport, les deux élus, qui ont auditionné des responsables associatifs, des avocats, ou encore des magistrats, se penchent sur la question des mineurs non accompagnés (MNA) délinquants, qui, estiment-ils représentent 10% des mineurs non accompagnés sur le territoire national.
"Loin des postures idéologiques et des idées reçues", les députés expliquent avoir cherché à "mieux appréhender cette délinquance et à rassembler les nombreux chiffres qui permettent de dresser le profil type des MNA délinquants".
Pas de quoi convaincre l'Unicef, qui s'indigne d'un rapport "qui essaie de nous faire voir ces mineurs par le prisme de la délinquance, alors que, selon l'article 375 du code civil, il s'agit bien d'enfants en danger", rappelle Yann Plantade, secrétaire général de l'Unicef Aquitaine.
Dès le départ, nous avons été très étonnés de voir la formulation de ce rapport, qui parle de sécurité plutôt que de protection de l'enfant. C'est un axe qui nous a surpris, on s'est tout de suite demandé quelle seraient les limites de la démarche.
La crainte de dérives
Parmi les recommandations formulées par les parlementaires, certaines, comme celles de ne plus avoir recours à l'hébergement hôtelier pour la prise en charge de ces mineurs, ou encore l'augmentation des places dans les structures d'accueil de l'Aide sociale à l'enfance (ASE), sont saluées par les associations.
Mais d'autres, comme le fait de rendre obligatoire la prise d'empreintes digitales, ou renforcer la coopération avec les pays d'origine, déclenchent leur colère. "Ce rapprochement peut donner lieu à de sérieuses dérives, s'inquiète Yann Plantade.
Beaucoup viennent de pays qui ne sont pas pacifiques, ils ont une véritable raison de venir. Globalement, on parle de renforcer le cadre et le volet sécuritaire, alors qu'il y a une véritable incompréhension du parcours de ces jeunes"
⚠️@UNICEF_france rappelle que les mineurs non accompagnés sont des enfants en danger, au titre de l’article 375 du code civil. Ils doivent être protégés et ce, dès leur repérage et jusqu’à ce qu’intervienne une décision définitive #MNA via @UNICEF_Media_Fr https://t.co/B8XoFnZ0F2
— UNICEF France Médias (@UNICEF_Media_Fr) March 11, 2021
Autre préconisation issue de la mission parlementaire, et pointée du doigt par les associations : "étendre la procédure d'évaluation de la minorité mise en place par les parquets de Paris et de Bobigny". Habituellement, les organismes départementaux ont la charge d'évaluer, à l'aide de plusieurs entretiens, si ceux qui se présentent comme mineurs non accompagnés ont effectivement moins de 18 ans. À Bobigny (93), lorsqu'un mineur non accompagné se retrouve en garde à vue, l'évaluation est directement diligentée sur place, par les enquêteurs.
Une infime minorité
Aude Saldana-Cazenave est coordinatrice pour Médecins du Monde en Aquitaine. Elle craint qu'un tel rapport "n'influence la politique générale sur la prise en charge des mineurs non accompagnés".
"On fait ici un lien automatique entre ces mineurs et les problèmes de sécurité, dénonce-t-elle. Or, si on regarde la situation à Bordeaux, ces jeunes délinquants sont une infime minorité. Ils sont peut-être 20 ou 30 au grand maximum".
"Je ne nie pas que le problème de ces jeunes délinquants existe, poursuit la coordinatrice. Nous savons que certains sont pris en charge par des réseaux, et sont maintenus dans des logiques d'addiction aux médicaments, comme le Rivotril ou le Lyrica.
En pointant le doigt sur eux, on ne prend pas le problème dans la globalité. On n'aborde pas les lacunes de la prise en charge par l'Aide sociale à l'enfance. On prend une minorité de personnes problématiques et on en fait des boucs émissaires".
Présumés mineurs, mais laissés sans protection
Aude Saldana-Cazenave revient également sur la question de la présomption de minorité. Actuellement, tant qu'ils ne sont pas reconnus comme majeurs par le département ou le juge des enfants, les MNA sont présumés mineurs. Ils bénéficient donc d'une prise en charge sanitaire, sociale par les services d'aide à l'enfance du département.
Sans émettre de recommandation à ce sujet, le rapport des députés souligne que l'Association des départements de France souhaite, pour sa part, une inversion de cette présomption de la minorité. "Cette présomption n'est déjà pas respectée, assure-t-elle. Et ce non-respect bafoue les droits de l'enfant". La représentante de Médecin du monde cible tout particulièrement le département de la Gironde.
"Actuellement, 80 % des jeunes qui se présentent en tant que mineurs devant les services du département de la Gironde, ne sont pas considérés comme tels. Ils ont ensuite trois mois pour faire réévaluer leur minorité par un recours devant le juge des enfants." Aude Saldana-Cazenave l'assure, à l'issue de ce recours, l'immense majorité des jeunes déboutés en premier lieu voient leur minorité établie.
"Mais il peut se passer des mois avant que ce ne soit le cas. Et pendant ce temps, ces jeunes mineurs, des enfants donc, se retrouvent livrés à eux-mêmes s'ils ne sont pas pris charge par des associations et des bénévoles dans des squats, comme le Kabako". Ce squat, installé rue Camille Godard à Bordeaux dans un immeuble appartenant au Conseil départemental, est sous la menace d'une expulsion, et lui-même saturé.
Témoignage d'un jeune exilé malien publié sur la page Facebook du Kabako
"Manque de moyens"
"Au cours des dernières semaines, en Gironde, 26 MNA ont été remis à la rue après évaluation, assure Médecins du Monde. Et ce, sans solution ni d'hébergement, ni de nourriture; en plein hiver et au cœur de la crise sanitaire".
"Le département de la Gironde a la volonté d'agir, mais il manque de moyens. Et on voit bien que le soutien de l'Etat n'est pas suffisant en la matière", estime Yann Plantade.
Fin février, le conseil municipal de Bordeaux, porté par une proposition de Bordeaux en Luttes a voté une motion pour une meilleure prise en charge des migrants, en attente d'un recours devant le juge des enfants.
De son côté, en réaction à la publication du rapport, Médecins d'un Monde a promis d'interpeller les députés girondins afin de demander une amélioration du dispositif de protection des mineurs.