"Imaginez-vous lorsqu'on vous demande de créer une robe qui pleure..."c'est le défi permanent des ateliers de couture de L'Opéra. Les plus belles pièces sont actuellement exposées dans leur écrin, un patrimoine éblouissant et un savoir-faire remarquable.
Les costumes, les accessoires, les postiches permettent de sublimer le danseur, le chanteur, le comédien. Jean-Philippe Blanc est responsable des ateliers de création de costumes à l'Opéra. Depuis 25 ans, il fait bien plus que fabriquer et couper des patrons, son rôle est d'investir des corps.
«Un metteur en scène va penser une production, le créateur de costumes pour sa part va venir avec des dessins mais il va falloir comprendre son univers car il travaille sans connaître le corps des artistes."
"L'art et la manière de transformer les corps"
Jean-Philippe Blanc, reçoit des maquettes, il doit les lire, les décrypter et chaque créateur à un profil très différent. Une difficulté avec laquelle il faut composer. La magie de son travail est de passer du vœu pieu à une réalité magnifiée. Alors il ne s'en cache pas, il s'agit de s'incruster dans l'univers du concepteur et c'est pour cela, dit-il que ce métier est un support à énormément de fantasmes et de libertés artistiques «Un créateur peut avoir envie d’une héroïne avec tel ou tel corps mais la soprane n’aura pas nécessairement la morphologie attendue. Alors nous devons imaginer des détours, jouer sur des décolletés, des châles, dévoiler des petites coquetteries. Selon les choix du créateur on va ici resserrer des tailles, là amplifier des hanches.»
Il enchaîne en racontant toute la difficulté pour un costumier de répondre aux attentes du metteur en scène quelque soit ses exigences, exemple lorsque le ténor est très petit alors qu'il doit jouer un guerrier conquérant, le couturier va devoir trouver des astuces pour l’allonger, le rendre imposant avec des lignes de vêtements adaptées. Production après production les costumiers relèvent ces challenges.
Jean-Philippe ne se lasse jamais d'inventer, de chercher, de s'adapter à toutes les commandes et parmi les trésors des pièces existantes, il avoue qu'il garde une petite préférence pour la robe de Judith dans le Château de Barbe-bleue de Béla Bartok. Cette robe fait partie de l'exposition.Imaginez-vous, lorsque l’on vous dit : il faut une robe qui pleure, et bien on se dit qu’est-ce qu’une robe qui pleure ? Comment fait-on ? Quel tissu va-t-on choisir, quelle couleur et quelle coupe va être celle d’une robe qui doit pleurer ?
"Le costume révèle aussi une époque ou une esthétique, un milieu social ou une psychologie"
Le costume a une puissance de narration. La soie, le velours, les broderies, les incrustations de pierres précieuses racontent l’histoire d’un milieu fortuné : ce sont par exemple les habits de Philippe II dans Don Carlo. En revanche prenons le choix des vêtements très noirs, très sombres, avec toutes sortes de matériaux rugueux de Barbe bleu, ils permettent d'accentuer le côté terrifiant et terrorisant du personnage.
Une leçon d'anatomie
Vanessa Feuillatte est Première danseuse à l’Opéra de Bordeaux. Elle est à l’affiche de productions prestigieuses. Roméo et Juliette, Giselle, Notre dame de Paris font partie de ses ballets fétiches. Pour la danseuse, le costume représente le moment où s'opére la bascule.A partir du moment où l’on commence à répéter avec un costume, c’est une métamorphose. Dans les ballets anciens notamment cela nous permet d’amplifier le caractère du personnage. Souvent il y a beaucoup de tulles, de volumes et malgré tout, c’est à partir de là que l’interprétation prend une autre dimension.
La danseuse se rappelle l'importance de son habit dans le rôle de Giselle, un costume fait de tulle blanc, fluide, léger, une parure très aérienne avec de petites ailes, un moyen pour elle de l'aider à incarner un peronnage venu d'ailleurs.
Vanessa a l’habitude de travailler avec les couturiers de l’Opéra et avec le temps ils ont appris à répondre aux besoins très spécifiques de la danseuse.
J’aime les corsets très serrés pour être bien soutenue mais je préfère être desserrée au niveau de la cage thoracique, j'apprécie les décolletés pour que le port de tête soit bien mis en évidence. Il faut que je sois dégagée sous les aisselles pour avoir une amplitude dans les mouvements de bras. J'aime aussi être à l’aise avec un jupon.
Un patrimoine précieusement conservé et le devoir de préserver un savoir-faire
Pour mieux comprendre ces histoires, celles d’artistes et d’artisans, celles de complicités et de rencontres de talents, l’Opéra de Bordeaux offre cette promenade estivale toutes portes ouvertes. La visite est conçue pour mettre en lumière, des oeuvres qui transcendent les corps et les identités.Laurent Croizier revient sur l'esprit de l'exposition. Présenter ces pièces fait partie de la mission de l'institution.
Il précise combien ces oeuvres réalisées par des artisans hautement qualifiés devient exceptionnel.
Il précise combien ces oeuvres réalisées par des artisans hautement qualifiés devient exceptionnel.Voir un costume à 10 mètres depuis la salle ou pouvoir l’admirer de près, en voir tous les détails, avoir le privilège de s'en approcher, cela change tout. Comme nous proposons des opéras, des ballets, des concerts, nous donnons à voir, ici, des pièces créées depuis 30 ans. Il s’agit de nos réserves anciennes et récentes.
Aujourd’hui ce travail se fait uniquement dans nos ateliers ou les ateliers des maisons de haute couture. C’est un patrimoine précieux. Nous devons le protéger, le développer et nous avons le devoir de préserver ces techniques. Elles se transmettent d’artisans en artisans. Avec l’informatisation, l’automatisation et la robotisation, ce savoir-faire est de plus en plus rare.
"Plus que parfaits, Métamorphoses des corps en scène", se découvre en déambulant, (post confinement oblige), au milieu d'étoffes, poils, faux culs, plumes, masques et dans un décor architectural propice aux plus beaux contes de fée.