Des temps d'attente aux urgences qui ne cessent de se rallonger, des lits encombrés, faute de place ailleurs… La tension est à son comble aux urgences du CHU de Bordeaux. Et les craintes s'amplifient avec l'arrivée des épidémies hivernales et la crainte d'une nouvelle vague de Covid-19.
"On a déjà vu deux patients dans un box prévu pour une seule personne. Deux patients âgés et déments dans le même box. Vous imaginez ? " La sonnette d'alarme avait déjà été tirée. Mais les syndicats déplorent de ne pas avoir été entendus. A l'instar de Gilbert Mouden, infirmier anesthésiste et délégué syndical Sud Santé, ils font à nouveau part de leur inquiétude sur la situation du CHU de Bordeaux, ils racontent des services d'urgences débordés par la situation.
"Les temps d'attente avant la prise en charge prennent plusieurs heures. Et une fois que les patients sont passés par les urgences, on ne trouve pas de lit pour les hospitaliser", s'agace Gilbert Mouden.
Parfois, on a trente patients à placer, avec seulement deux places d'hospitalisation disponibles.
Gilbert Mouden, Sud Santé, CHU BordeauxFrance 3 Aquitaine
Pas assez de lits d'aval
Les lits dits "d'aval", alloués aux patients nécessitant une hospitalisation à la sortie des urgences, étant saturés, le personnel soignant se retrouve dans l'obligation de chercher des lits disponibles dans les différents services. Des démarches chronophages et fastidieuses, pendant lesquelles le patient se retrouve à occuper les urgences, bloquant la gestion du flux des nouvelles arrivées.
Cette saturation de ces lits d'aval est à relier à la situation globale du CHU, estime Gilbert Mouden. "Nous sommes entre 9 % et 10 % de lits fermés sur le CHU. Sur une capacité de 3 000 lits, si 300 sont fermés, c'est énorme".
Recours aux heures sup'
L'infirmier anesthésiste dénonce un service pénalisé par de fortes carences en ressources humaines. "La stratégie pour répondre à ce manque de personnel, c'est de favoriser et valoriser les heures supplémentaires payées. Mais le système se mord la queue", note-t-il.
Les gens qui font des heures supplémentaires ne se reposent pas. Au final, même si l'attrait financier est important pour les gens qui ont des petits salaires, au bout d'un moment, les arrêts de travail se multiplient. Le système accentue l'absentéisme.
Gilbert Mouden, Sud Santé, CHU BordeauxFrance 3 Aquitaine
"On demande sans cesse au personnel de revenir sur leurs heures de repos. On ne peut plus faire avec un soignant au lieu de trois", abonde Pascal Gaubert, du syndicat FO au CHU.
Au lieu de privilégier des équipes fixes de nuit et d'autres de jour, on pousse les agents à alterner entre les deux. Or, le taux horaire de nuit n'est pas attractif et les conditions sont anxiogènes.
Pascal Gaubert, FO CHU BordeauxFrance 3 Aquitaine
Conditions de travail
La majoration pour travail intensif de nuit s'élève en 1,07 euros par heure effectuée entre 21 heures et 6 heures du matin, et 1,43 euro pour le personnel des services d'urgence, de réanimation, ou des soins intensifs.
Selon les syndicats, l'absentéisme aux urgences pédiatriques s'élève en ce début novembre à 8 %, et à 30 % au niveau du service de régulation du Samu. "Ils ont même pris des élèves infirmières stagiaires pour leur demander de décrocher au centre 15", s'indigne Gilbert Mouden.
Mais "si les agents sont aussi nombreux à se déclarer en arrêt maladie ou à donner leur démission, c'est avant tout à cause des conditions de travail. C'est leur premier motif de mécontentement, bien avant la rémunération, assure Alain Essebar, délégué CGT au CHU Bordeaux. Les agents sont épuisés".
On joue sur la culpabilité des agents. On leur explique qu'ils doivent être présents pour les patients. Mais la fatigue est bien réelle.
Alain Essebar, CGT CHU BordeauxFrance 3 Aquitaine
Absentéisme et épidémie saisonnières
Le personnel paramédical n'est pas le seul à souffrir de la situation. "Tous les professionnels se mettent en difficulté. Certains médecins vivent très mal la lourdeur des gardes, le sentiment de ne pas travailler correctement. Tous ont la crainte de l'erreur, ou d'un défaut de surveillance", estime Gilbert Mouden.
Si les soignants viennent à manquer, le flux de patients, lui, ne faiblit pas. Grève de SOS médecins, attaque informatique à la clinique de Bordeaux nord, transferts de patients depuis d'autres hôpitaux régionaux eux-mêmes saturés… Les urgences du CHU de Bordeaux accueillent plus de 200 patients chaque jour.
L'inquiétude est d'autant plus forte que les épidémies hivernales pointent leur nez, notamment la bronchiolite qui encombre les urgences pédiatriques, et que la fin de l'année approche. En cette fin, d'année, les agents du CHU doivent poser leurs congés avant le 31 décembre. Or, alors que les périodes de sous-effectifs se succèdent, nombre d'entre eux n'a pas pu poser de vacances. "Ils ont tous au moins entre 15 et 20 jours à poser d'ici la fin de l'année", affirme Gilbert Mouden.
Repenser "l'attractivité" de l'hôpital
La direction du CHU de Bordeaux n'était pas disponible ce lundi pour répondre à nos questions. Mais depuis le salon Santexpo à Paris, elle participe à une table ronde sur l'attractivité des hôpitaux avec des propositions sur une hausse des indemnités de nuit, des facilité d'accès aux logements ou aux crèches, ou encore la fin de la stagiairisation pour les infirmiers recrutés directement en CDI.
Des mesures saluées, mais "bien tardives", estiment les syndicats, qui restent persuadés que la prise en compte de leurs alertes avant la crise Covid aurait pu permettre d'éviter le pire dans l'ensemble des services. Pour protester contre les fermetures de lit et les suppressions de postes, un préavis de grève à la maternité du CHU a été lancé pour ce jeudi.