"Comment tu vas ?" : pour soutenir les agriculteurs en souffrance et prévenir les suicides, le dispositif de sentinelles se renforce

Détecter le mal-être des agriculteurs, c’est la parole des sentinelles, des bénévoles issus du milieu agricole. Aux côtés de Mutualité sociale agricole, la préfecture de Gironde a annoncé qu'elle augmentait leur nombre pour atteindre une centaine de bénévoles dans le département.

Un agriculteur se suiciderait tous les deux jours en France, selon des statistiques de 2016. Inquiétant, ce taux de suicide serait surtout sous-évalué. “Les agriculteurs souffrent souvent en silence et il est parfois difficile d’établir le lien de causalités entre ce geste dramatique et la profession”, précise Benoît Combes, directeur de la MSA de Gironde.

Depuis, la situation s’est encore aggravée. Crises climatiques, baisse structurelle des ventes, le monde agricole avait crié son mal-être en janvier, lors de grandes mobilisations sur tout le territoire. “En Gironde, on peut parler du secteur viticole, des dégâts du mildiou ou du gel”, illustre Benoît Combes. 
Pour détecter ces situations propices au suicide, la mutuelle sociale agricole a lancé, dans le cadre du plan mal-être du gouvernement initié par le député du Lot-et-Garonne Olivier Damaisin, les Sentinelles agricoles en 2021. En Gironde, elles sont aujourd’hui 85.

"Comment tu vas ?"

Le monde agricole, Jérôme Fréville le connaît bien. Enfant d’agriculteurs, il est devenu administrateur au sein de la MSA pour accompagner ceux qu’il côtoie au quotidien. En 2021, quand le programme Sentinelles est lancé, il y adhère immédiatement, conscient des problèmes de la filière. “Les agriculteurs sont dans leur bulle d’activité, souvent seuls avec leurs problèmes et c’est très difficile de détecter leur mal-être, s’il n’y a pas une forme de proximité”, explique Jérôme Fréville. En Gironde, une centaine d’agriculteurs sont détectés et accompagnés par les 85 Sentinelles et leur relais chaque année. La préfecture a annoncé vouloir augmenter ce nombre à 100. 

Il faut avoir les oreilles grandes ouvertes.

Jérôme Fréville,

Sentinelle à la MSA de Gironde

Le travail de ces bénévoles s’apparente à celui des lanceurs d’alertes. “Au gré de mes rencontres ou des personnes qu'on connaît déjà, on aborde ces sujets. Je ne force jamais les choses”, précise Jérôme Fréville. Alors tout se joue dans la parole et l’écoute. “On ne demande pas “tu vas bien ?” mais plutôt “comment tu vas ?”. On va aussi éviter au maximum de se citer en exemple. On est vraiment dans l’écoute si le dialogue s’ouvre”, indique le Sentinelle.

Intégrées dans le monde agricole, ces Sentinelles, pour beaucoup anonymes, sont formés à ces méthodes de détection. “Il y a ceux que l’on connaît chez qui on va détecter un changement de comportement qui peut être un signe. Pour ceux que l’on ne connaît pas, on va noter des mots-clés qui sont des alertes”, explique Jérôme Fréville.

La situation s’est présentée, il y a plusieurs mois, avec l’une de ses connaissances. “C’était une personne que je connaissais très calme. Il s’est mis à crier sans arrêt, sur ses enfants, son chien et avait des sautes d’humeur. Je lui en ai parlé, et il s’est avéré qu’il était en situation de mal-être”, illustre l’administrateur de la MSA. 

"Pas de casquette"

Ces échanges sont souvent favorisés par la proximité et la connaissance du monde agricole. “Il y a des vendeurs phytosanitaires, des entrepreneurs de chantier agricoles, des banquiers, des fournisseurs”, liste Jérôme Févrille. “Souvent, quand ils ne sont pas face à des agriculteurs, certains parlent plus, parce qu’il n’y a pas cette comparaison”.

Lorsque c’est le cas, le Sentinelle présente sa mission à l’agriculteur, lui laissant le choix de faire remonter ou non l’alerte. “Mon rôle s’arrête là. On doit respecter la discrétion, voire le secret médical de chacun. On doit leur laisser leur intimité”, rappelle-t-il.

Je n’ai pas une casquette ni un drapeau où est écrit Sentinelle.

Jérôme Févrille

Sentinelle à la MSA de Gironde

En cas d’accord, la MSA prend donc le relais, aux côtés des acteurs concernés par le problème. “Nous mettons autour de la table tous les professionnels, des médecins aux travailleurs sociaux, en passant par les personnes en charge des cotisations ou des prestations comme la chambre d’agriculture”, détaille Benoît Combes. Une procédure mise en place à chaque alerte. “On traite de l’humain, du cas par cas. On va soit accorder un peu de répit financier, une réflexion de fond, ou un accompagnement psychologique”, énumère le directeur de la MSA de Gironde. 

Face à l’ampleur du problème, accru par les crises successives et les dérèglements climatiques, la MSA ainsi que la Chambre d’agriculture et la préfecture, associées aux syndicats, ont décidé d’augmenter cette cadence. “La situation idéale serait que la moitié de la population soit sentinelle pour créer un véritable réseau de proximité”, indique Benoît Combes. “On ne veut plus d’agriculteur qui soufre isolé dans sa campagne”, indique le directeur de la MSA de Gironde. 

En France, on estime que plus de 600 agriculteurs se suicident chaque année. Dans la filière agricole, le risque est d’ailleurs supérieur de 43% par rapport à la moyenne nationale.

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