"Ils traitent les malades comme des chiffres" : pourquoi tant de personnes à mobilité réduite galèrent à trouver des transports

Ni taxis, ni ambulance privée, les transports assis professionnels (TAP) pâtissent depuis 2009 d’un statut qui ne leur permet pas de prendre en charge des malades ou des personnes handicapées. Face à la pénurie grandissante de transports, notamment en zone rurale, ils tirent la sonnette d’alarme.

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Des dialyses, Sandrine doit en effectuer trois par semaine, au Haillan, une ville en périphérie de Bordeaux, située à 33 kilomètres de son domicile. En déambulateur, elle est obligée de faire appel à un transporteur pour assurer son suivi médical. “Sans ces dialyses, je m’empoisonne”, résume la patiente.

Abandonnée du jour au lendemain 

Ces interventions médicales ont beau être vitales, cette Girondine a bien failli ne plus pouvoir les réaliser. “Au départ, je prenais des taxis. Mais vers le mois d’avril, ils m’ont fait comprendre qu’avec l’arrivée de la période estivale, ils préféraient prendre des touristes”, s’étonne encore Sandrine.

Du jour au lendemain, elle se retrouve donc sans moyens de transport, et donc, sans dialyse. “J’ai eu très peur. J’ai appelé partout, mais personne ne pouvait me prendre, même les ambulances” se souvient la patiente. Dans l’urgence, elle décide de prendre deux bus, dont un, “qui ne passe que trois fois dans la journée”. “J’ai dû marcher avec mon déambulateur, monter dans le bus malgré mon état”, se remémore Sandrine.

Son trajet, difficile, va durer 1 h 30. “Et encore, j’ai eu de la chance, pour le retour, ils m’ont trouvé un taxi”, explique-t-elle, précisant que ces dialyses lui provoquent généralement des baisses de tensions et des pertes d’équilibre.

Ces histoires, Caroline Mas les entend à chaque appel. “Chaque semaine, j’ai environ quinze personnes différentes qui m’appellent pour savoir s’ils peuvent être pris en charge”, explique celle qui s’est lancée en 2019 dans le transport de personnes à mobilité réduite. Problème : elle ne peut prendre en charge que des patients “en fauteuil roulant”, a contrario des ambulances et des taxis.

Des quotas insuffisants

En France, depuis 2009, les malades ne peuvent en effet être transportés, pour des besoins médicaux, que par des transporteurs conventionnés. Cette convention permet de rembourser, par la Sécurité sociale, ces transports, souvent onéreux. Si elle comprend les ambulances et les taxis, elle exclut les entreprises privées de transports assis professionnels (TAP), comme celui de Caroline et Vincent Mas, installés dans le Médoc.

Pour eux, la législation est plutôt “à la carte”.En Gironde, nous avons des conventions locales reconductibles chaque année qui nous permettent de prendre seulement des personnes en fauteuil roulant, pas les autres”, explique, lasse, Caroline Mas.

La raison de leur exclusion : une réglementation encadrant leur profession pas suffisamment spécifique et “sans doute le moyen de ne pas faire concurrence aux autres”, ajoute la jeune femme. Pourtant, les besoins seraient importants, en particulier dans les zones rurales. “Les ambulances, il y a des quotas imposés par l’ARS qui sont insuffisants et côté taxis, il faut attendre au moins quatre ans pour obtenir une convention” expose Caroline Mas.

Au total, ils sont une vingtaine dans le département à voir leur activité réduite depuis 2009, date d'un changement de législation en la matière. “Dans les autres départements, c’est pire, ils n’ont pas réussi à obtenir de dérogation locale et ont dû mettre la clé sous la porte”, explique Caroline Mas.

Véhicules adaptés

Les véhicules de Vincent et Caroline offrent toutefois tout le nécessaire pour accueillir tous types de personnes à mobilité réduite. “Nous avons des rampes, des poignées pour se tenir, des ceintures de sécurité adaptées et de l’espace pour que les patients puissent s’installer comme ils le peuvent”, indique-t-elle.

Mieux encore, avec son mari et collaborateur, ils ont suivi une formation de conducteur accompagnateur qui leur permet de connaître les gestes de transport des personnes ainsi qu'un volet d'accompagnement psychologique.

On sert de lien avec les familles et les professionnels de la santé, notamment pour les patients qui ne parlent plus.

Caroline Mas,

Gérante de C.V.M T.P.M.R

Pour Sandrine, abandonnée par son transporteur, son choix s'est d’abord porté sur les ambulances. “Ils voulaient me transporter allongée à chaque fois. Je peux m’asseoir, je peux quand même rester digne, non ?”, s’insurge-t-elle. Côté taxis, la patiente refuse, après un premier abandon, de continuer avec eux. “De nombreuses compagnies sous-traitent et on ne sait jamais avec quelle personne on va tomber. Il faut aussi les appeler à chaque transport”, précise-t-elle.

En dernier recours

Sandrine découvre alors un programme, entre établissements hospitaliers et transporteurs, où se trouvent Caroline et Vincent Mas. “Au moins avec eux, je me sens sereine. Je les connais, ils m’emmènent parfois jusqu’aux cabinets des médecins”, explique la patiente qui fait appel à eux depuis près d’un an. 

Si je fais une baisse de tension sur le trajet ou que je ne me sens pas bien, je sais qu’ils sont là, je me sens en sécurité.

Sandrine

Patiente

Ces programmes, où sont référencés les patients avec des besoins, permettent à ces transporteurs, si aucun taxi et ambulances ne peuvent prendre en charge un patient, de s’en occuper, même si ces derniers ne sont pas en fauteuil roulant. “C’est la seule solution pour prendre en charge d'autres types de patients que ceux en fauteuil roulant”, regrette Caroline Mas. Une situation de "dernier recours" qui met en colère ces transporteurs assis professionnalisés (TAP).

Des patients "billets sur pattes"

Ces contraintes ont poussé les TAP à demander au gouvernement de faire reconnaître leur statut, afin de pouvoir, au même titre que les ambulances et taxis conventionnés, prendre en charge les patients. “Je ne veux faire de concurrence à personne. Une personne valide n’est pas mon cœur de cible. Nous demandons seulement à pouvoir prendre en charge tout type de personnes à mobilité réduite”, assure la transporteuse.

Elle dénonce également une logique de rentabilité. “Quand un patient, qui s'inscrit sur une tournée de trois décède, certains abandonnent les autres patients, parce que faire les allers-retours à vide n’est pas rentable”, assure-t-elle. Des patients qui, faute d’entrer dans les critères accordés aux TAP, se retrouvent sans possibilité de poursuivre leurs soins. 

On traite les patients comme des billets sur pattes.

Caroline Mas,

Gérante de V.C.M T.P.M.R

C’est aussi le cas pour les courts trajets, pas suffisamment rentables. “J’ai eu des patients qui ont pris la voiture alors qu’ils n’avaient pas le droit, parce qu’il n’y avait personne qui les acceptait”, atteste Caroline Mas. D'autres, parents d'enfants handicapés ou malades, réduisent leur travail pour assurer ces trajets, plusieurs fois par semaine.

Face à ces histoires de vie, les transporteurs demandent aux “élus et au gouvernement” d’écouter leurs revendications. “Il y a de plus en plus de malades en France qui ont besoin de ces transports. Aujourd'hui, on peut estimer à 300 le nombre de patients, rien qu’en Gironde, qui n’ont pas de solution de transports", fulmine Caroline Mas."Ils traitent les malades comme des chiffres, c'est écœurant."

En France, seuls quatre départements, dont la Martinique et la Guadeloupe, bénéficient encore de ces dérogations locales, renégociées chaque année. La filière craint que ces dernières soient annulées, laissant ainsi sur le carreau, des milliers de malades longue durée.

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