Deux frères girondins ont décidé de relever un défi : débarquer en décembre sur l’île subantarctique de Saint-Paul, dans l’océan Indien, en souvenir d’une mission astronomique menée par leur arrière-arrière grand-père, Ernest Mouchez, en 1874. Départ de la Réunion le 19 novembre.
C’est un confetti dans l’océan Indien, balayé par les vents froids, à presque 3 000 km au sud-est de la Réunion. La minuscule île Saint-Paul est un territoire français, inhabité, sans arbre, un volcan inactif émergé, peu fréquenté par des humains, mais bien connue dans l’histoire de l’astronomie française.
Une vieille carte de l’îlot a souvent attiré le regard de Barthélémy et Matthias Lambert, dans le salon familial à Gradignan, près de Bordeaux.
Leur arrière-arrière grand-père, Ernest Mouchez (1821-1892) a bravé les éléments en 1874 et jeté l’ancre à Saint-Paul pour une mission particulière. "Cela nous faisait rêver et puis en 2021, à l’approche des 150 ans de cette mission, on s’est dit, pourquoi ne pas aller y faire un tour ?", précise Barthélémy qui réside à Bommes, dans le sud Gironde.
"Au départ Ernest Mouchez était juste une figure célèbre de la famille, un peu lointaine et dont j’étais assez fier de descendre, mais sans plus", explique Matthias, depuis la Réunion où il vit. "Ce qui a motivé ce projet au départ était d’aller voir cette île de mes propres yeux." Les deux frangins, proches de la cinquantaine, rêvent de poser une plaque commémorative sur l’île.
Trouver des places sur le Marion Dufresne
Mais ils apprennent rapidement que l’île, administrée par les Terres australes et antarctiques françaises (TAAF) est classée zone écologique de protection intégrale.
Impossible d’y débarquer sans l’autorisation des administrations concernées et seul le bateau ravitailleur "Marion Dufresne" s’en rapproche. Il fallait donc trouver deux places à bord.
Barthélémy LambertDescendant d'Ernest Mouchez
Deux défis de taille ! Les frères se lancent alors dans la rédaction d’un projet qui séduit rapidement les TAAF, qui célèbrent cette année leurs 70 ans d’existence. "On a convaincu les TAAF d'avoir deux places à bord, d'accompagner la rotation pendant presque un mois et surtout de faire une courte escale à Saint-Paul pour poser la plaque !", se félicite Barthélémy.
Ils vont donc embarquer le 19 novembre prochain, à la Réunion sur le Marion Dufresne, pour un périple de 9 000 kilomètres. Le bateau ravitailleur, propriété des TAAF, effectue des rotations logistiques quatre fois par an dans les îles australes (Crozet, Kerguelen et Amsterdam).
Il faut dire que l'amiral Ernest Mouchez a compté dans l’histoire astronomique nationale. Le capitaine de vaisseau de la marine française, qui s’est illustré lors de la guerre franco-prussienne en 1870, était tourné vers la cartographie et les sciences. Il avait réalisé des relevés hydrographiques et cartographiques.
C’est ainsi que le marin, missionné par la France, pose le pied, avec son équipe, le 23 septembre 1874 à Saint-Paul et s’installe trois mois pour construire un observatoire astronomique sur cette terre hostile, de seulement 8 km².
"Expédition un peu folle"
Son objectif : observer le 9 décembre le passage de la planète Vénus devant le soleil, ce que l’on appelle un transit, un événement rare qui se produit deux fois en 8 ans, et ce tous les 110 ans !
Saint-Paul était bien situé. Avec une météo clémente par chance ce jour-là, ce "transit" a permis de calculer la distance de la terre au soleil, suscitant une compétition internationale pour la mesure la plus précise. Ces calculs et ces données vont aussi contribuer à améliorer les cartes et les voies maritimes.
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Les descendants du capitaine ont dévoré les quelques récits de cette expédition pas banale. "C'était important pour moi de me pencher sur cette histoire parce qu'elle fait partie intégrante de la mienne. J'admire le courage de l'aventure dans les mers isolées du grand sud. Et comment ont-ils fait pour s'installer, se nourrir durant toutes ces semaines, sous cette météo ingrate et pour en revenir tous vivants ?!", s'exclame Matthias.
Et il poursuit : "c’est vraiment une aventure incroyable. Ils sont partis au bout du monde à une époque où seuls le bois, le fer, le cuir, le tissu, la laine, la céramique étaient les matériaux à disposition".
Pas d’électricité, pas d’électronique ou de GPS. C’était une expédition un peu folle avec des chances de succès limitées et réalisée au péril de la vie.
Matthias Lambert
Si les deux frères étaient surtout curieux, il y a trois ans, de voir ce caillou du bout du monde, ils sont désormais pleinement admiratifs de leur aïeul. "Je me suis découvert une forme d’affection pour le bonhomme. Voir tout ce qu’il a accompli, son côté innovant, sa rigueur, sa grandeur d’âme et puis les liens familiaux. Il était le grand-père de ma grand-mère que j’ai bien connue. Donc ce n’est pas si loin", sourit Matthias.
"C’était une forte tête et il a un sacré parcours quand même", ajoute Barthélémy. "Il a été aussi hydrographe, cartographe et a terminé sa vie comme Académicien et directeur de l'Observatoire national de Paris."
Voyage en mer
Optimistes de nature, Matthias et Barthélémy, aidés par leur frère aîné Thomas, ont monté le projet "Vénus en vue", bénéficié du soutien de l'Association française d'astronomie (Afa) et obtenu le feu vert de la préfecture des TAAF pour poser la plaque commémorative sur l'île.
Avant cela, les frères Lambert ont participé à la création d'un timbre commémoratif, édité à 16 000 exemplaires. Ils ont aussi travaillé à l'élaboration d'une exposition jumelle à la Réunion et à Paris pour les 150 ans de l’expédition, à partir de janvier prochain.
Financement participatif
Pour financer ce projet de plus de 20 000 euros, une campagne de financement participatif a donc été lancée tout récemment. A quelques jours du départ, Barthélémy commence à réaliser qu'il va concrétiser un beau projet."Je suis à la fois fatigué et excité !", dit-il. "Mais c'est un contentement profond. Le plus beau reste à venir".
Depuis cet été, Matthias, lui se plaît à rêver de l'expédition de son aïeul depuis Marseille jusque dans les mers australes. "Quand la météo est mauvaise, je repense à Ernest Mouchez qui était sur un bateau à vapeur, dans les 40e rugissants et les 50ᵉ hurlants. J'espère que la météo sera bonne pour nous au moment d'apercevoir l'île Saint-Paul. Notre histoire est si belle qu'il fera un temps qui nous permettra de débarquer", prédit-il.
A bord du Marion Dufresne, et sur les îles australes, les deux frères ont aussi prévu d'admirer le ciel avec une lunette astronomique, puisqu'il leur semble être plutôt nés sous une bonne étoile !