De nombreuses patientes se retrouvent handicapées après la pose d'une bandelette urinaire. Une centaine de plaintes ont été déposées devant la justice. Le Docteur Grégoire Capon du CHU de Bordeaux, dont le service urologie pratique chaque année environ 90 actes chirurgicaux pour l'incontinence urinaire, se dit "interpellé" par la situation. Il a répondu à nos questions.
"Je vais mieux, mais je n'ai toujours pas repris le travail. J'ai des crises d'angoisse, je ne serai jamais plus la même". Anne-Laure Castelli a 40 ans. En février 2023, elle a fait le voyage jusqu'aux États-Unis pour se faire enlever l'intégralité d'une bandelette urinaire, qui la faisait souffrir depuis sept ans. "Je suis partie là-bas en fauteuil roulant ! À l'époque, je voulais en finir..."
Soulagée aux USA
Sept années de douleurs et d'idées noires : sciatique, cystites à répétition, invalidité. "Je restais allongée toute la journée". Une vie de femme gâchée. "J'ai même été opérée à deux reprises du dos, pour rien, raconte-t-elle. "J'ai une colère profonde, car l'origine de mes douleurs, c'était cette bandelette urinaire". Personne, en France, n'a pu la soulager et pratiquer un retrait total de l'implant.
Le témoignage de cette jeune femme qui vit en banlieue parisienne n'est pas le seul. Loin de là. Comme elle, une cinquantaine de femmes sont parties aux États-Unis pour "se faire retirer la bandelette, sans que le chirurgien coupe les muscles".
En France, les chirurgiens n'ont pas cette expertise, et le retrait peut faire encore plus de mal. Ou parfois, ils refusent carrément l'opération de retrait total.
Anne-Laure Castelli,Présidente de l'association Balance ta bandelette
Anne-Laure Castelli n'a pas eu d'autres choix que de partir aux États-Unis. Entre l'opération et le coût du voyage, elle a dépensé 20 000 euros.
"On sait faire aussi "
"Pas besoin d'aller aux États-Unis, oui, on peut procéder au retrait complet de la bandelette sous-urétrale". Le Docteur Capon l'assure: "on retire les bandelettes en France aussi". Ce spécialiste de l'incontinence urinaire chez la femme exerce au CHU de Bordeaux depuis 2015. En 2023, il a pratiqué 62 poses de bandelettes sous urétral rétro pubiennes (appelées aussi bandelette TVT du nom de la marque du dispositif médical, NDLR). "Si l'ablation totale se fait dans les jours qui suivent la pose, c'est plus facile. On opère aussi plusieurs mois après. C'est plus délicat, car la bandelette est accrochée aux muscles et autour de l'os, donc le geste chirurgical est plus technique et plus long".
Selon ses chiffres, l'urologue bordelais a fait cinq retraits totaux en 2023 ainsi que cinq sections de bandelettes, c’est-à-dire que la bandelette est coupée, mais pas enlevée. "On a l’habitude de dire qu’en chirurgie, il n’y a pas de chirurgie sans complication, malheureusement l’implantation de matériel pour l'incontinence à l'effort n'échappe pas à cette règle… Mais ces complications sont heureusement un peu rares", explique le docteur Capon qui a bien noté que le sujet est devenu très sensible pour les urologues et les gynécologues.
C'est primordial que les patientes soient informées, qu'elles aient aussi des informations sur les alternatives thérapeutiques et qu'elles puissent choisir la technique avec leur praticien.
Dr Grégoire Capon,urologue au CHU de Bordeaux
durée de la vidéo : 00h01mn47s
Alors que plusieurs femmes ont décidé de porter plainte contre X après une intervention en urologie qui leur a laissé des séquelles douloureuses, nous avons posé des questions à un spécialiste.
•
©France 3 Aquitaine
Au moins 1 200 patientes avec complications
Pour lutter contre l'incontinence urinaire, le chirurgien fait passer une bandelette d’un cm de large sous l’urètre. Si les attaches ressortent par-dessus le pubis, elle s’appelle TVT. Si elles ressortent par les trous obturateurs du bassin, c’est une TOT.
En France, environ 30 000 femmes ont recours à cette prothèse chaque année depuis 1996. Difficile d'obtenir des chiffres clairs et exhaustifs à l'échelle de l'Hexagone sur le nombre de patientes qui ont des complications après la pose d'une bandelette. L'Association française d'urologie avance 3 %, selon le site Vigi mesh, un centre d'investigation des complications cliniques après chirurgie pour incontinence urinaire, ce serait 20 %. Dans un article médical d'un urologue du CHU de Nantes, on peut lire aussi 12,8 % de patientes avec complications. Le Docteur Capon, lui, parle d'une femme sur vingt.
"Elles seraient au moins plus de 1 200 patientes à souffrir de douleurs causées par ces implants", estime Josy Poueyto. La députée de Pyrénées-Atlantiques a interpellé le gouvernement à la tribune de l'Assemblée nationale le 28 mai pour alerter sur le sujet des bandelettes urinaires sous-urétrales, ces implants qui auraient mutilé des centaines de femmes.
Effets secondaires très lourds
Reste que les effets secondaires sont, pour certaines de ces patientes, très handicapantes et leur font vivre un enfer. C'est le cas de cette Paloise de 52 ans, Anabela Neto, qui se déplace désormais en fauteuil roulant. Trop de douleurs, et une invalidité permanente. Avec une dizaine d'autres femmes de la région de Pau, elle a déposé plainte. Et elle a été reçue par Jean Lacoste, médecin et adjoint au maire en charge de la santé, le 22 mai dernier pour dénoncer la pose de ces bandelettes et, surtout, le manque d'information sur les complications possibles.
Avoir un couteau planté entre les jambes tous les jours, ce n'est pas normal. Au lieu de nous soulager, nous sommes mutilées
Anabela Neto,plaignante
Anabela Neto fait partie d'un autre groupe de patientes sur Facebook Implant vaginal Bandelette TVT TOT qui se bat aussi pour alerter des dangers de ces dispositifs chirurgicaux.
Voir cette publication sur Instagram
Les mini-bandelettes retirées du marché
Le docteur Capon est formel : "laisser des femmes souffrir est inacceptable". "Si la douleur survient les jours qui suivent la pose, il faut retirer la bandelette rapidement. Concernant, les douleurs chroniques, c'est plus difficile à gérer", admet-il.
Selon ce spécialiste, la communauté médicale française prend très au sérieux les complications. Le médecin a lui-même participé à une étude européenne en 2021 qui a conduit à retirer du marché les mini-bandelettes. En revanche, il est opposé à l'interdiction définitive de ce dispositif médical, à l'image de ce qu'ont pu décider plusieurs pays anglo-saxons ces dernières années, face à la recrudescence de patientes en souffrance.
La bandelette urinaire reste un excellent traitement de l’incontinence à l’effort
Dr Grégoire Capon,urologue au CHU de Bordeaux
Arrêt de la pose de bandelettes
Un point de vue que les patientes ont du mal à entendre. "Le problème, c'est que les points d'attache de cette bandelette s'insèrent dans les muscles des cuisses. Mal posée, ou trop serrée, elle peut générer des complications très handicapantes. Je pense qu'on est beaucoup de femmes dans ce cas.
L'autre problème, c'est que les médecins n'écoutent pas les patientes, nos symptômes ne sont pas entendus", estime Anne-Laure Castelli qui est la présidente du collectif Balance ta bandelette. Elle vient de créer une association pour aller plus loin et médiatiser au maximum les dégâts générés par ces bandelettes : "je me bats pour toutes ces femmes".
Un groupe Facebook, Bandelettes périnéales France , rassemble plus de 1 300 membres. Leur combat : l'arrêt de la pose et de la commercialisation de ces bandelettes, au vu "du manque de contrôle" et "d'un taux de complication largement sous-estimé".
"Une fois posée, la bandelette en matière propylène est définitive, et cette information-là n'est pas toujours donnée à la patiente", assurent de nombreuses patientes handicapées après l'opération.
"Depuis le retrait total, je vais mieux"
"La plupart des urologues proposent la section de la bandelette ou précisent que l'opération n'est pas possible et que cela serait pire après le retrait". Françoise (son prénom a été changé), 65 ans, ancienne infirmière hospitalière installée à Bordeaux, a, elle aussi, cassé sa tirelire pour aller se faire opérer en septembre 2023 outre-Atlantique, à 10 000 km de chez elle. Elle a été reçue par le même chirurgien américain qui s'est spécialisé dans le retrait total de bandelettes et qui a opéré Anne-Laure Castelli.
"J'ai eu une bandelette TVT en 1999, j'avais 40 ans, et mes problèmes de santé ont débuté très à distance en 2012. Ils ont donc été niés pour ce motif et mis sur le compte de la ménopause et de l'arthrose", se souvient-elle. Infections urinaires, douleurs chroniques urogénitales, les années passent, et les spécialistes ne trouvent ni de cause ni de solution. Et "disent que ce n'est pas la bandelette". Six ans d'errance médicale. "On finit par se demander si on n'est pas folle", témoigne Françoise.
Quatre urologues et deux gynécologues sont consultés à Bordeaux et ailleurs. Les douleurs s'aggravent, malgré la prise de médicaments puissants comme le Tramadol et des anti-inflammatoires. Sans succès. "Je boitais tellement j'avais mal" dit-elle en colère.
"Depuis, le retrait aux USA, je ne prends plus d'antalgiques, je marche sans entrave, je ne descends plus les escaliers, marche par marche, je peux m'occuper de mon petit-fils, et j'ai une vie sexuelle", lance-t-elle, très agacée par le corps médical français.
Il faut arrêter de poser des bandelettes si on ne sait pas gérer les complications et les retirer totalement, car seul le retrait total soulage.
Françoise,patiente
Objectif : faire du bruit
Les patientes, aujourd'hui handicapées ou qui ont eu des complications sévères et des séquelles, veulent témoigner et médiatiser "ce scandale sanitaire" qui touche des femmes encore jeunes. Chiara Borsello, 45 ans, deux enfants, vit à Gap, dans les Hautes-Alpes. Cette sportive, qui pratique le volley, la marche en montagne et le ski, est presque une rescapée.
Le 16 avril dernier, un chirurgien lui pose une bandelette sous-urétrale. Une semaine plus tard, l'implant est retiré, au vu de ses souffrances. "Je ne pouvais plus utiliser mes jambes. J'ai été informée des complications par le médecin qui m'a dit que des douleurs dans les jambes pouvaient arriver, mais qu'il n'avait jamais vu ce cas. J'ai fait confiance au corps médical. Mais le problème dans cette intervention, c'est que le chirurgien a touché les nerfs de mes jambes pour fixer l'implant et des terminaisons nerveuses."
Chiara Borsello, toujours en arrêt maladie, ne pourra reprendre son travail qu'à mi-temps en juin. "Je recommence à marcher, et je prends toujours de la cortisone pour les douleurs. Kiné, ostéo, il faudra du temps pour que mon corps récupère. Mais je m'en sortirai. Pas comme d'autres, malheureusement", conclut-elle.