Sa souffrance s'est transformée en combat médiatique. Anabela Neto, 54 ans, habitante de Pau dans les Pyrénées-Atlantiques, se bat pour faire connaître les graves effets secondaires liés aux implants vaginaux, notamment des bandelettes urinaires, sur certaines patientes qui se retrouvent lourdement handicapées et abandonnées à leur sort.
La voix est douce et déterminée. "François Bayrou m'a écrit pour me dire qu'il avait alerté la direction générale de l'agence régionale de Santé de Nouvelle-Aquitaine. J'ai écrit aussi à Brigitte Macron. L'épouse du Président m'a assuré être sensible à la cause des femmes et qu'elle transmettrait à la ministre de la Santé".
Ce vendredi 26 avril, Anabela Neto devait être reçue par le Docteur Jean Lacoste, l'adjoint à la santé de la Ville de Pau, mais le rendez-vous est reporté au 22 mai, car le maire François Bayrou "veut en savoir plus."
Médiatiser au maximum
" Avec une dizaine d'autres patientes porteuses d'un implant vaginal et en souffrance comme moi, on a sollicité un rendez-vous avec le chirurgien et la direction de la polyclinique dans laquelle nous avons été opérées. "
La direction a refusé cette rencontre, prétextant la médiatisation du sujet.
Anabela Neto
Anabela Neto est en colère. Chaque jour, une nouvelle patiente la contacte. Leur point commun ? La pose d'une bandelette urinaire pour soutenir leur vessie et éviter l'incontinence. Mais après cette opération pratiquée par des urologues, 30 000 fois en moyenne par an en France, le résultat est pire que le désagrément initial.
Certaines patientes n'arrivent plus à uriner, d'autres au contraire vont aux toilettes en continu et cumulent les infections urinaires. Sans parler des douleurs intenses ressenties dans le bas-ventre, les jambes et le stress traumatique de ne pas savoir ce qu'il se passe dans leur corps. " Il faut que ça s'arrête. Il faut arrêter de mutiler les femmes. Mon chirurgien ne m'a pas informée des risques avant l'opération. Or c'est une obligation depuis un décret d'octobre 2020. Il n'a pas respecté la réglementation ".
Multiplication des incidents
Élus, ministres, médias, Agence Régionale de Santé des Pyrénées-Atlantique, ordre des médecins de Pau, syndicat des gynécologues, Anabela Neto écrit des lettres tous azimuts et frappe à toutes les portes. "Il faut que cela se sache", lâche-t-elle.
Le docteur Jean Lacoste médecin et adjoint à la santé à la mairie de Pau, estime que c'est "son double devoir" de rencontrer cette femme "Pour des raisons humaines, d'écoute et de compassion, c'est mon devoir en tant qu'élu et médecin. Madame Neto m'a expliqué avoir été opérée sans être éclairée sur les risques potentiels encourus. Cela relève du droit privé. Mais lorsque ce type d'incident se multiplie, il faut comprendre pourquoi".
Il y a toujours des risques lors d'une opération, mais les gens doivent en être informés avant ; il faut savoir s'il y a eu manquement.
Dr Jean Lacosteadjoint en charge de la culture et la santé à la mairie de Pau (64)
Handicapée à 80 %
Mutilée, plus de vie sociale, sans emploi". Sa vie a basculé le 8 juillet 2021 après une double opération chirurgicale le même jour dans une polyclinique de Pau : une remontée d'organes (une promontofixation en terme mécical) suivie de la pose d'une bandelette urinaire sous-urétrale censée éviter les fuites. "Je me suis réveillée avec de fortes douleurs entre les jambes et des pansements sur le ventre. Je ne savais pas ce que le chirurgien m'avait fait ".
Anabela Neto se bat aujourd’hui "pour que ça n'arrive plus à d'autres femmes". Elles s'appellent bandelettes sous-urétrales TOT, ou TVT ou autres selon les laboratoires. Il s'agit d'implants vaginaux sous forme de bandelette en plastic en forme de hamac que le chirurgien accroche dans le bas-ventre de la patiente avec des crochets lors d'une opération de moins de quinze minutes. "J’ai payé 550 euros de dépassement d'honoraires", précise Anabela Neto, amère. "Si j'avais su, je n'aurais pas accepté l'opération".
Son salut ? Elle le doit au centre antidouleur de Nantes et à un professeur en urologie de Toulouse, Xavier Gamé, qui lui a ôté la bandelette TOT. "Je n'ai plus de douleur dans le vagin, mais la bandelette était imbriquée dans le tissu du muscle de ma jambe gauche, donc j'ai une déchirure musculaire qui me fait encore mal quand je marche. J'espère qu'avec le temps cela va s'atténuer".
Ancienne salariée dans l'assurance automobile, elle est en arrêt de travail depuis septembre 2022. "Je ne pourrai pas reprendre le travail", regrette-t-elle. Son handicap a été établi entre 50 et 80 %. Fauteuil roulant, déambulateur et lit médicalisé. Voilà son quotidien. "Mon mari doit tout faire et c'est ma fille qui fait à manger". En juillet 2023, la Paloise porte plainte contre le médecin.
Le groupe de soutien bandelettes périnéales incontinence/prolapsus France qui compte un millier de membres, est également très actif pour faire avancer la cause des femmes en détresse. De nombreuses néo-aquitaines en font partie.
Pas informées des risques
"En, 2024, des chirurgiens posent encore des bandelettes urinaires sans informer leurs patientes des effets secondaires possibles qui peuvent être graves, sans explication, sans préciser que ce dispositif est permanent et ne peut pas être ôté sous peine d'arracher des muscles ou abîmer la chair ou encore causer des problèmes de nerfs", poursuit Anabela Neto.
"Trois mois après mon opération, je faisais pipi toutes les 20 minutes et je faisais des infections urinaires tous les mois. Le chirurgien m'a dit que je mettais du temps à cicatriser et m'a prescrit six mois d'antibiotiques. Les douleurs sont quotidiennes, on ne peut plus rien faire. On vous dit aussi que c'est dans la tête. J'ai cru que je devenais folle. Une patiente, dont le mari m'a contacté via le groupe Facebook, a vécu cet enfer durant six ans et a fait plusieurs tentatives de suicide". Il existe pourtant des centres spécialisés en France où ces patientes peuvent se faire retirer le dispositif.
"Je suis la première femme opérée en France par un professeur en urologie de Toulouse qui a retiré la bandelette qui était trop serrée. Comment on a pu vous laisser souffrir aussi longtemps, m'a-t-il dit quand il m'a vue arriver en fauteuil roulant dans son cabinet. Les femmes ne sont pas informées et ne savent pas non plus que c'est la bandelette qui provoque leur douleur".
De plus en plus de femmes livrent leur témoignage dans des groupes sur les réseaux sociaux, sur leur quotidien devenu un enfer après la pose d'une bandelette sous-urétrale.
Plus d'une centaine de plaintes
En juillet 2023, la Paloise a porté plainte contre le chirurgien auprès du conseil de l'ordre des médecins de Pau. La conciliation amiable a échoué.
La présidente m'a proposé un chèque. J'ai refusé. Qu'est-ce que vous voulez que je fasse avec un chèque. Ma vie est gâchée.
Anabela Neto
Sa plainte doit passer devant la chambre disciplinaire du conseil de l'ordre des médecins "qui n'a pas souhaité se joindre à Madame Neto", précise Hélène Patte, l'avocate de la plaignante qui a aussi porté plainte contre X pour tromperie et blessures involontaires.
"Les femmes sont laissées à l'abandon, il y a une vraie errance médicale décrite par toutes les plaignantes," explique l'avocate parisienne qui défend 80 plaignantes qui ont déposé plainte contre X pour tromperie et blessures involontaires devant le parquet de Paris. "Elles ont toutes été auditionnées par les enquêteurs du OCLAES, la gendarmerie de la santé publique, qui devront déterminer les responsabilités des médecins ou des laboratoires." L'avocate indique qu'une quarantaine de nouvelles plaintes seront déposées dans les prochaines semaines.
"Aux États-Unis, au Canada, en Écosse ou en Australie, certains implants vaginaux ont été interdits et des laboratoires condamnés, car ils savent depuis longtemps les risques que comportent ces dispositifs", argumente Maître Hélène Patte.
Pour elle, le problème, c'est le dispositif lui-même : un filet en propylène accroché dans le bas-ventre des femmes. "Tous les laboratoires fabriquent la même chose. Et ce filet, une fois posé, est définitif, car il se mêle à la chair, donc c'est difficile à enlever sans provoquer des séquelles".
VIDÉO►► Reportage sur le long combat de ces patientes qui ont des complications suite à la pose de bandelettes sous-urétrales contre l'incontinence. Leur douleur n'est pas prise en charge par le corps médical. Un syndicat de gynécologue alerte sur cette situation intenable pour ces patientes même si leur nombre est "faible" par rapport aux nombres d'opérations. Certaines femmes partent aux États-Unis pour se faire ôter le dispositif par un chirurgien qui en a fait sa spécialité.
En France, une dizaine de centres hospitaliers sont spécialisés et en capacité d'enlever les bandelettes lors de complications postopératoires. Mais, face au manque d'accompagnement de leurs médecins, certaines patientes, à bout et usées par la souffrance, partent aux États-Unis pour se faire enlever les bandelettes. Une patiente originaire de Bordeaux a dépensé 22 000 euros, toutes ses économies, pour le retrait total de la bandelette, et le voyage. "Je n'aurai jamais pensé en tant qu'infirmière du service publique que je serai obligée de partir à des milliers de kilomètres de ma famille pour me faire extraire une bandelette, un dispositif que je croyais être tout à fait banal", raconte Dominique Pelletier.
Un coût que toutes les femmes concernées ne peuvent pas dépenser. Le chirurgien américain qui pratique le retrait des bandelettes, a contacté France 3 Aquitaine en précisant que "l'opération de retrait des bandelettes TOT et la prise en charge globale tout compris coûte 15 000 euros, et que les patientes rentrent chez elles une semaine plus tard sans déambulateur ni handicap."précise le Dr Dionysos Veronikis de Saint-Louis dans le Missouri, qui assure avoir opéré 49 patientes françaises en souffrance et 347 patientes originaires du Canada et du Québec. "J'ai actuellement six femmes françaises qui se remettent d'une opération chirurgicale. Des histoires déchirantes de femmes au bord du suicide qui ont été repoussées par la communauté médicale et qui se tourne vers moi pour obtenir de l'aide", témoigne-t-il.
À la fin des années 90, la pose de bandelette urinaire a été une avancée majeure contre l'incontinence à l'effort qui touche 25 à 40 % des femmes, selon les autorités médicales. Une femme sur 1000 peut avoir des douleurs sévères après l'implantation d'une bandelette urinaire.