Jacques Chirac, décédé ce jeudi 26 septembre, avait désigné Alain Juppé comme étant le meilleur d'entre nous, provoquant d'ailleurs quelques jalousies. Leur relation père-fils est assombrie par sa condamnation en appel en 2004 à 14 mois de prison avec sursis et une année d'inéligibilité.
Alain Juppé, ancien Premier ministre et lieutenant préféré de Jacques Chirac, a fait part de "l'immense tristesse qui [l]'étreint" à l'annonce de la mort jeudi de l'ancien président de la République.
Pendant plus de 40 ans, j'ai vécu avec Jacques Chirac une relation exceptionnelle de fidélité, de confiance, d'amitié réciproques qui n'était pas seulement politique mais d'abord personnelle.
L'ancien maire de Bordeaux a transmis un message à l'AFP
Mai 1976. Le Premier ministre Jacques Chirac cherche un énarque sachant écrire. On lui présente un jeune homme mince au front déjà dégarni, venu des Landes.
Leur premier entretien dure cinq minutes: "On me dit que vous voulez faire de la politique ? J'espère au moins que vous savez tâter le cul des vaches". Commentaire ultérieur d'Alain Juppé : "Je m'attendais à tout, sauf à ce genre de questions. Mais j'étais heureux".
"Je me suis vite aperçu qu'il était à la hauteur", dira Chirac à propos de ce jeune normalien, sorti de l'ENA 5e sur 72, appelé à devenir son "fils préféré".
Lorsqu'il rompt avec le président Valéry Giscard d'Estaing en claquant la porte de Matignon, Juppé l'accompagne dans l'aventure du RPR, créé fin 1976.
Il s'installe au coeur du système chiraquien, devient indispensable. Il est tour à tour conseiller au cabinet du maire de Paris, directeur des finances de la ville, secrétaire général puis président du RPR, ministre et Premier ministre de 1995 à 1997.
"Cet homme-là est différent"
En 1993, Chirac désigne Juppé - une des plus belles mécaniques intellectuelles de la droite - "probablement le meilleur d'entre nous", lors de journées parlementaires du RPR pour en faire son successeur à la tête du parti. La formule va faire florès et Juppé susciter de la jalousie !Le cadet n'est pas en reste. En 1994, il revient sur l'émotion qui l'a envahi lors de la création du RPR, bien des années avant : "J'écoutais cette voix qui ne m'était pas encore familière: la vôtre. Je me suis dit: cet homme-là est différent. Son verbe communique l'enthousiasme. Je vous ai suivi, je ne l'ai pas regretté".
Le temps des affaires judiciaires
Leur relation père-fils - d'ailleurs, Juppé n'a jamais pu tutoyer son aîné, même si seulement 13 années les séparent - est assombrie par sa condamnation en appel en 2004 à 14 mois de prison avec sursis et une année d'inéligibilité.Adjoint aux Finances lorsque Chirac était maire de Paris, il assume devant la justice un système opaque d'emplois de complaisance, payés par la municipalité au profit du parti présidentiel. Il paye seul. Il est meurtri mais sa fidélité au président ne se dément pas.
"Chirac aurait pu revendiquer la responsabilité des faits. Il a choisi de se taire", a écrit le journaliste Alain Duhamel selon lequel Juppé "se sent abandonné par son chef de file". De son côté, le président, très affecté, lui renouvelle alors "son amitié, estime et respect".
La condamnation de 2011
Jacques Chirac a été condamné en décembre 2011 à deux ans d'emprisonnement avec sursis pour détournement de fonds publics, abus de confiance et prise illégale d'intérêt et n'a pas fait appel.Il était poursuivi pour deux affaires d'emplois fictifs, distinctes à l'origine mais rassemblées dans un seul et même jugement: l'une portait sur 21 emplois de "chargés de mission", présumés de complaisance, au cabinet du maire de Paris Jacques Chirac, entre octobre 1992 et mai 1995. L'autre portait sur 7 emplois présumés fictifs à la mairie de Paris, occupés par des permanents du RPR d'octobre 1990 à novembre 1994.
Avec plusieurs autres prévenus, Alain Juppé avait été condamné en 2004 en qualité d'ancien adjoint de Chirac, chargé des finances, et de secrétaire général du RPR.
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