"Je dormais deux heures par nuit, j'ai fini par tomber" : Le moral des maires au plus bas, ils alertent l'État avant leur congrès annuel

À quelques jours de l’ouverture du 106ᵉ congrès annuel des maires, mardi 19 novembre, le moral des édiles est en berne. Fatigue, responsabilités écrasantes, pression croissante des citoyens et désengagement de l’État : les maires, particulièrement dans les communes rurales, se disent au bord de la rupture.

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Dans son regard, brille encore la flamme de l'engagement. Pourtant, Bruno Marty a déjà payé fort le prix de sa fonction, assommé par les tâches administratives et le poids de son investissement au plus près de ses administrés. Le maire de La Réole, en Gironde, auparavant adjoint pendant six ans, "a fini par tomber". "J'ai dormi deux, trois heures par nuit pendant trois ans. Un jour, le cerveau s'est déconnecté, il n'en pouvait plus. Cinq jours aux urgences", décrit-il, laconique.

Sacrifier sa vie privée

Ce sentiment d'épuisement résonne dans tout le pays. Une enquête inédite publiée récemment permet de mesurer l'ampleur de la crise qui touche les quelque 36 000 maires français. Pilotée par des chercheurs du Centre de sociologie des organisations et soutenue par l'Association des maires de France, elle démontre que, sur les 3 600 élus ayant accepté de se soumettre au questionnaire, 83 % considèrent leur mandat comme "usant pour leur santé". Plus significatifs encore, la moitié des maires disent être sujets à des troubles du sommeil.

"Il n'y a pas de off chez un maire", réagit Bruno Marty. Pour lui, traverser cet épisode d'épuisement extrême l’a conduit à "lever le pied" et à revoir sa manière de travailler. Depuis, il essaie de privilégier la proximité avec ses administrés, au détriment de formalités administratives. "Je me déplace chez eux, j’ai répondu à plus de 100 invitations depuis le début de l’année. Ça me permet de les écouter, de faire remonter leurs besoins et d’essayer de mettre en place des choses." Pour autant, le poids des responsabilités reste lourd. "On sait qu’on est responsables de tout ce qui se passe sur la commune. La vie privée aussi en prend un coup : j’ai deux enfants, je ne les ai quasiment pas vus grandir. Maintenant, il y a des regrets."

"On ne peut plus faire plus avec moins"

Le surmenage est particulièrement présent dans les territoires ruraux. Dans sa commune de 1 000 habitants, à Caudrot, en Gironde, Jérémie Gaillard est sans cesse sollicité. L'élu cumule à la fois sa fonction d'enseignant en université et son mandat, entamé en 2020. "J'ai un temps plein en plus, on ne chôme pas, on a toujours de quoi s'occuper." 

Aujourd’hui, j’ai aussi l’impression d’être un psychologue. Les gens nous parlent de leur mal-être, de leurs difficultés à obtenir un rendez-vous médical ou à trouver un spécialiste. Il y a un vrai sentiment d’abandon.

Bruno Marty

Maire de La Réole

La fatigue physique se double souvent d’une charge mentale écrasante. Les maires se retrouvent en première ligne face à une population de plus en plus en souffrance. "La population se sent démunie, abandonnée, et nous, on est le réceptacle de cette tension, note Jérémie Gaillard. Il ne faut pas s'étonner après qu'il y ait de plus en plus d'agressions d'élus."

Il pointe également du doigt les multiples responsabilités imposées aux élus locaux : "On doit compenser les lacunes de l’État : créer des maisons de santé, mettre en place des polices municipales. Mais l’État ne nous accompagne plus vraiment. Il est passé d’un rôle d’acteur du territoire à celui de superviseur."

Alerter l'État

À l'aube du 106ᵉ congrès annuel des maires qui s'ouvrira le 18 novembre, les élus espèrent alerter une nouvelle fois l'État face aux difficultés rencontrées. "Depuis très longtemps, on tire la sonnette d’alarme. On a l’impression de ne pas être écoutés", regrette Bruno Marty.

"Depuis dix ans, on a une dotation qui baisse, alors que l’inflation a augmenté de 20 %. On nous demande d’agir sur des domaines qui relevaient autrefois de l’État, comme la santé ou la sécurité. Mais nous, on a toujours des routes et des bâtiments à entretenir. Avec des budgets réduits, c’est mission impossible", peste Jérémie Gaillard.

On est le premier échelon de la pyramide démocratique, celui qui agit au plus près des citoyens. Mais si on n’a pas les capacités d’agir, il ne reste que les inconvénients de la fonction. 

Jérémie Gaillard

Maire de la commune de Caudrot

Point de rupture

Les conséquences de cette situation dépassent le cadre individuel. Les maires s’inquiètent de l’avenir de leur profession, enlisée dans une "crise de la vocation". "C’est devenu plus compliqué de constituer des listes et d’avoir des candidats, regrette l'édile de Caudrot. Les élections municipales sont dans un an et demi, mais beaucoup de maires ne repartiront pas."

"Si on continue à avoir zéro moyen d’agir, ça ne donnera pas envie de se présenter. Et si le socle de notre démocratie, les petites communes, s’effondre, c’est toute la pyramide qui est en danger", abonde Bruno Marty.

Malgré les difficultés, la passion de servir résiste tant bien que mal. "On attend que l’État comprenne qu’on est arrivés à un point de rupture, insiste Jérémie Gaillard. On ne peut pas continuer à faire plus avec moins, à nous rogner nos budgets et nos compétences." Pour les maires de France, ce congrès annuel est l’occasion de faire entendre leurs voix. Reste à savoir si leurs cris d’alarme seront enfin entendus. 

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