Alors qu'une manifestation est prévue ce 9 mai à Bordeaux contre "la réforme des retraites" et la "violence d'État", la préfecture a mis en place des drones pour surveiller le rassemblement. Une mesure jugée disproportionnée et dangereuse pour les syndicats ainsi que des associations de défense des libertés qui ont porté recours au tribunal administratif. Sans succès.
À l'appel du syndicat Sud PTT Gironde, un rassemblement contre la réforme des retraites et la violence d'État doit se tenir ce 9 mai à 18 heures à Bordeaux. Il sera surveillé de très près par les autorités. Comme pour le 1er mai, des drones filmeront les manifestants, selon un arrêté de la préfecture. Pourtant, le syndicat girondin ainsi que le syndicat de la magistrature et Adelico, une association de défense des libertés individuelles, ont attaqué l'arrêté devant le tribunal administratif. Mais quelques heures avant le début de la manifestation, le juge administratif a donné raison à la préfecture : il y aura bien des drones pour surveiller ce rassemblement.
La crainte de dérives
"Au dernier moment, à la veille du week-end, pour nous empêcher de saisir immédiatement la justice administrative, la préfecture nous a ensuite informés par mail de la surveillance de notre rassemblement par des drones. Cette mesure est complètement disproportionnée. Nous allons étudier les recours juridiques possibles", assurait le représentant de Sud PTT 33, Willy Dhellemmes auprès de Sud Ouest le 6 mai dernier. Quelques jours plus tard, le syndicat tient parole et saisi le tribunal administratif pour contester l'arrêté de la préfecture qui autorise la surveillance par drone.
Ce 9 mai, 500 personnes sont attendues pour protester contre la réforme des retraites et la violence d'État. Une manifestation statique prévue à 18 heures sur le parvis des Droits de l'Homme. "Pour une manifestation classique et statique devant le tribunal, il y a un périmètre d'autorisation des drones qui va des boulevards jusqu'aux Quinconces et même la gare. C’est-à-dire qu'en fait, on a quasiment la moitié de la ville de Bordeaux sous surveillance pour un rassemblement qui est statique, ça parait particulièrement excessif", pointe Paul Cesso, avocat de Sud PTT Gironde.
Pour une manifestation qui est statique et où il n'est pas prévu qu'il y ait énormément de monde, nous avons des mesures de sécurité qui sont disproportionnées. Ce sont les mêmes mesures que ce qui était prévu pour le 1er mai alors qu'il y avait énormément de personnes partout en France.
Maître Paul Cesso, avocat du syndicat Sud PTT Gironde
L'utilisation des drones par la police ou la gendarmerie pour surveiller des manifestations est relativement nouvelle. Elle est prévue par un texte mis en application le 19 avril dernier. Derrière cette nouveauté, la crainte d'une dérive autoritaire voit le jour. "Ce sont les premières applications de ces mesures restrictives pour nos libertés, d'aller et venir, de manifester et d'atteinte à la vie privée, rappelle Paul Cesso. Il faut que des décisions soient prises et il faut vérifier que les préfectures ne prennent pas de mauvaises habitudes et ne soient pas autorisées à filmer systématiquement les manifestations lorsque ce n'est pas strictement nécessaire et proportionné par rapport au but recherché. Il faut vérifier que les préfectures appliquent strictement les textes prévus."
Devant le tribunal administratif de Bordeaux, Sud PTT Gironde n'était pas seul à contester l'arrêté de la préfecture. Le syndicat de la magistrature et l'association de protection des libertés individuelles Adelico étaient également présents, représentés par Maître Delphine Mehaude. Celle-ci rappelle que le Conseil d'État doit encore se prononcer sur le décret d'application du texte autorisant la surveillance par drone.
"Il n'y a pas de garanties sur son encadrement et c'est très inquiétant que l'on mette en place ces outils alors qu'il n'y a pas de cadre réglementaire pour l'utilisation. C'est quelque chose qui me semble extrêmement inquiétant pour chaque personne parce que vous avez un risque d'être filmé avec un enregistrement sonore", dénonce-t-elle. Depuis le 27 avril dernier, la Cnil (Commission nationale de l'informatique et des libertés) réclame une "doctrine d'emploi" à l'usage des forces de l'ordre afin de lever les zones d'ombres. Pour le moment sans succès.
Les syndicats iront "au bout"
En début d'après-midi, le tribunal administratif a tranché : les drones sont autorisés pour surveiller la manifestation du 9 mai. Le tribunal administratif considère que le faible nombre de manifestants pour une manifestation statique "ne saurait […] abolir le risque [de violences] dès lors que certaines des précédentes manifestations, au cours desquelles les violences ont eu lieu, se sont déroulées dans des conditions similaires". Par ailleurs, le juge administratif considère que le drone "permet de limiter la présence de forces de l'ordre au sol […] limitant ainsi les affrontements éventuels dans un but conforme à l'objet de la manifestation de lutte contre les 'violences d'État'".
Il existe donc un document interne à la police, qui régit les règles qui entourent le déploiement des drones, mais la justice n'y a pas accès ?"
Sud PTT Gironde, dans un communiqué suite au rejet de son recours par le tribunal administratif
Une décision que regrette Sud PTT Gironde, notamment au regard du peu de garanties offertes par la préfecture sur l'utilisation de ces drones. Dans un communiqué suite à la décision du Tribunal administratif, le syndicat interroge : "Alors que la juge demandait des précisions sur la 'doctrine du maintien de l'ordre' qui doit encadrer le déploiement des drones, la préfecture répondait nonchalamment : 'le document existe, mais nous ne sommes pas autorisés à vous le transmettre'."
Quoi qu'il en soit, le syndicat compte aller au bout de sa démarche. Si le référé n'a pas abouti, il compte attaquer la préfecture "au fond", et espère faire la faire condamner dans un cadre moins urgent que celui dans lequel le recours a été jugé ce 9 mai. Car au-delà des manifestations, l'utilisation des drones et ses potentielles dérivent inquiètent fortement. L'avocate Delphine Mehaude alerte : "On va quand même vers quelque chose qui est extrêmement inquiétant et il me semble que la population doit prendre conscience de ces utilisations, parce que c'est une évolution inquiétante pour les libertés individuelles."