Avec de plus en plus de monde à transporter dans la métropole bordelaise, l'opérateur Keolis doit recruter en permanence des conducteurs et des techniciens de maintenance pour améliorer le service et diminuer les retards. Les syndicats alertent sur des conditions de travail dégradées.
Le réseau de transport Bordelais TBM qui vient de fêter ses 20 ans, n'en finit pas d'attirer de nouveaux clients réguliers ou ponctuels et de remplir les rames de tramway une bonne partie de la journée.
Les usagers du quotidien comptent sur les quatre lignes de trams ainsi que les bus pour leurs trajets et sont aussi nombreux à perdre patience avec les retards qu'ils épinglent sur les réseaux sociaux.
Jeudi 18 janvier, David poste ce message : "Coup de gueule. Ligne D encore en panne ce matin entre Eysines et Quinconces, consultation de l’appli avant de partir : aucune indication ou de fausses indications, 25€ d’Uber pour me rendre à la gare et rater mon train, journée pro gâchée, par ses ratés si fréquents, le tramway n’est plus une alternative à la voiture !"
De nombreux usagers de bus sont en colère également depuis la rentrée de septembre avec la mise en place de nouveaux horaires sur les 70 lignes, inchangés depuis très longtemps. À l'image de Sophie, utilisatrice du 31 : "Depuis septembre, c'est la cata ! Et je ne parle pas du tram B en panne à Peixotto".
Et quand certains messages positifs sont postés, il y a toujours quelques coups de griffes rajoutés comme Estelle : "ligne 39, direction St-Médard, j'ai eu la merveilleuse surprise de monter dans un bus conduit par un Monsieur extrêmement souriant et agréable avec sa clientèle, avec une conduite douce, c'est rare donc quand ça arrive je prends le temps de partager avec les usagers".
Des salariés en sous-effectif
Dans les rames et dans les 400 bus, les 1800 conducteurs (sur 2800 salariés à Keolis) sont souvent sous pression, détaillent les syndicats contactés.
Force ouvrière (FO), syndicat majoritaire, et la CGT parlent de "sous-effectif", évalué souvent à une centaine d'agents selon plusieurs sources. "Il y a une vraie tension sur ce métier", disent-ils à l'unisson, "avec un recours important à des intérimaires".
"C'est un problème national dans les transports", observe Béatrice de François, vice-présidente de la Métropole en charge des transports.
"Le manque de conducteurs et les différentes absences pour maladie ou autre entraînent une dette sociale très importante dans l'entreprise de jours de repos ou de récupération non pris par les salariés. Elle représentait 61 119 jours fin octobre 2023", expose Yvan Fort, délégué syndical FO chez Keolis.
Il y a un manque de personnels dans tous les services et notamment chez les conducteurs. Nombreux se sentent maltraités. Il y a désormais des démissions, je n'avais jamais vu ça.
Mathieu ObryChauffeur de bus et délégué CGT
"C'est un métier fatiguant de plus en plus difficile. On ne sent plus trop essentiels alors qu'on a une mission de service public", poursuit-il.
"Il y a bien eu des améliorations de conditions de travail depuis 20 ans avec la clim, de meilleurs fauteuils, mais c'est plus stressant de circuler désormais dans l'agglomération avec les vélos, les trottinettes et les couloirs de bus partagés."
Le réseau, ouvert 364 jours par an, de l'aube à minuit passé, demande aussi de la disponibilité. La plupart des conducteurs travaillent sur une journée à large amplitude avec trois heures de conduite puis une large pause pouvant atteindre cinq heures avant un retour au volant, pour ne pas dépasser 7h36 de conduite maximum par jour.
La CGT qui a lancé un préavis de grève sur toute l'année, suivi par une dizaine de salariés chaque jour selon la direction, revendique une augmentation de salaire pour le samedi, payé aujourd'hui comme un jour normal.
"Les conducteurs travaillent 30 samedis et 20 dimanches par an. Les week-ends de travail reviennent vite pour les agents. Il faut valoriser ce samedi. Le dimanche n'est payé que 40 % de plus qu'un autre jour", lance Mathieu Obry.
Recrutements en cours
"Le dialogue social fonctionne", estime Pierrick Poirier, directeur général de Keolis Bordeaux métropole mobilités. Concernant la rémunération, il avance un salaire moyen brut de 39 000 euros par an, "presque deux fois plus que le Smic dans une entreprise qui garantit la sécurité de l'emploi", au vu des besoins.
On a rattrapé le retard de sous-effectif et on tend vers l'équilibre.
Pierrick PoirierDirecteur général Keolis Bordeaux métropole
"En septembre dernier, il en manquait 60. Aujourd'hui, il en manque 20. Nous en avons recruté 80 en fin d'année et l'objectif est d'en recruter 245 en 2024, c'est une grosse année".
Pour ce faire, Keolis organise deux sessions de recrutements par mois. "On forme les conducteurs et même ceux qui n'ont pas le permis D -pour le transport de plus de 8 personnes-", souligne l''opérateur qui veut également recruter "entre 25 et 35" mécaniciens et techniciens de maintenance, l'autre secteur en souffrance.
Depuis la mi-décembre, les trajets en trams peuvent être un peu plus longs dans l'agglomération bordelaise. Et pour cause, de nombreuses rames de TBM (transports de Bordeaux Métropole) sont dans les garages.
Nous disposons de 130 rames et 108 sont habituellement en service, les autres en maintenance. Mais en ce moment, nous en avons moins de 100, on a eu même 90 certains jours.
Yvan FortDélégué FO.
Les raisons sont assez connues. "On manque de techniciens de maintenance, les recherches de pannes prennent du temps, le matériel vieillit. On voit les difficultés quand il fait froid ou quand il pleut trop", dit-il en avançant le chiffre de "830 signalements de pannes multiples en 2023".
Les fortes pluies de novembre et de l'hiver ont bien perturbé le réseau de 79 kilomètres (le plus important de France après l'Ile-de-France), comme le confirme la direction.
"La météo ne nous a pas aidés. On a eu de nombreuses pannes car le tram fonctionne avec une alimentation par le sol. Quand il pleut, il y a aussi plus de circulation et plus de retards. On travaille aussi pour s'adapter aux changements climatiques", explique Pierrick Poirier
Réduire le nombre de pannes
La Métropole qui a renouvelé Keolis comme concessionnaire pour le réseau de transports de 2023 à 2030 (contrat de 2,2 milliards d'euros) ne veut pas jeter la pierre à l'opérateur par rapport aux dysfonctionnements, mais attend encore des améliorations.
"Il y a 2 % de problèmes sur les services quotidiens non opérés. La cible est à 0,5 %", indique Béatrice de François, vice-présidente de la Métropole en charge des transports qui fait payer des pénalités à Keolis.
"Le réseau fonctionne globalement bien, mais notre volonté est de donner davantage de lisibilité aux usagers. Même s'il y a une minute de retard de plus, c'est important d'en informer les usagers", précise l'élue.
Rallonger des rames
De leurs côtés, les syndicats disent vouloir continuer à mettre la pression sur la direction. La CGT menace même de faire grève cet été durant les jeux olympiques où plusieurs matches de football sont prévus au stade Atlantique.
FO de son côté vient de suggérer de son côté autre chose pour calmer la situation. "On propose une réduction de l'offre de fréquence pendant quelques mois, le temps de réparer le matériel roulant et de faire ainsi souffler le personnel, en retards de repos, sans chômage partiel".
La direction ne l'envisage pas. "C'est la dernière extrémité quand on n'arrive pas à recruter. Certaines agglomérations ont décidé de le faire. Nous n'en sommes pas là", conclut Pierrick Poirier.
"Il faut fiabiliser, optimiser le réseau de tramway et augmenter la performance des bus", affirme la Métropole. "D'anciennes rames vont être remises en œuvre. Douze rames courtes vont être rallongées. Et un nouveau dépôt sera ouvert, rive droite à Floirac."
"L'ambition est de continuer à convertir les utilisateurs de la voiture individuelle au transport public en enrichissant et en fiabilisant l'offre du réseau".
Dans la métropole, les enjeux sont nombreux pour transporter de plus en plus de Bordelais, 170 millions de déplacements environ l'an dernier.