Un jeune homme de 25 ans a perdu la vie, brûlé vif en décembre 2013, dans un accident du travail au sein de l'usine Safran de Saint-Médard-en-Jalles, près de Bordeaux. Ses deux collègues avaient été grièvement brûlés. Condamnée en première instance, l'entreprise Safran a fait appel. Le tribunal rendra son jugement le 15 mai prochain.
"Je n'arrête pas de ressasser, je fais des cauchemars, c'est très éprouvant de revivre tout ça", confie Bertrand Montreux. Il est l'une des trois victimes du terrible accident survenu le 5 décembre 2013 au sein de l'usine Safran Herakles, aujourd'hui Safran Ceramics, de Saint-Médard-en-Jalles, près de Bordeaux.
"Mes mains ont éclaté, elles étaient en lambeaux"
Ce matin-là, avec deux collègues, il doit retirer des pains de propernol d'un cyclindre qui équipe les missiles nucléaires M51. Le propernol est une matière hautement inflammable. "Il monte de 0 à 4 000 degrés instantanément. Pour comparer, la lave, c'est 1 000 degrés" explique le rescapé. "Soudain, il y a eu un arc électrique et une étincelle a enflammé le propernol", se souvient-il.
Mon collègue a été brûlé sur place. Moi, je suis un miraculé.
Bertrand MontreuxVictime de l'accident du 5 décembre 2013
Benjamin Paillet, 25 ans, ne survit pas à ses blessures, il décèdera quelques heures après l'accident. Bertrand Montreux et un troisième opérateur s'en sortent, eux, avec de très graves brûlures. "J'ai eu 30 % de la surface du corps touchée, au 3ᵉ degré. Mes mains ont éclaté, elles étaient en lambeaux, ma peau était retournée".
"Pas un simple accident du travail"
L'ouvrier girondin en garde aujourd'hui de lourdes séquelles, autant physiques que psychologiques. Pour lui, il ne s'agit pas d'un simple accident du travail comme l'affirme la direction de Safran Ceramics. "Il y a eu des manquements au niveau de la sécurité. Déjà, nous n'aurions pas dû être dans ce local qui n'était pas destiné à ce genre d'opérations à l'époque. Et on a dû utiliser une ancienne machine qui obligeait à travailler en manuel et en local, donc pas à distance suffisante".
Maître Lucie Teynié, l'avocate du père et du frère de Benjamin Paillet, le jeune homme décédé, renchérit : "il y a eu un choix délibéré de réintroduire un process plus dangereux, car une machine était en panne". Pour elle, pas de doute, "il y a eu faute". "Ça a été très bien dit dans le jugement de première instance. Mais Safran persiste à affirmer qu'ils ont fait tout ce qu'il fallait".
Le 5 juin 2023 Safran Ceramics a été reconnu coupable d'homicide et blessures involontaires dans le jugement rendu par le tribunal correctionnel de Bordeaux.
Ce premier procès avait été obtenu de haute lutte, dix ans après les faits. Safran, condamné à une amende de 225 000 euros, a aussitôt fait appel. "Il n'y a strictement aucune remise en question de la part de l'entreprise", déplore l'avocate.
Un jeune homme est mort et on nous dit, "c'est la faute à pas de chance"
Lucie Teyniéavocate de père et du frère de Benjamin Paillet, décédé dans l'accident
"Aucune faute de l'employeur"
"Les juges n'ont démontré dans l'absolu aucune faute de l'employeur, estime pour sa part Maître Simon Foreman, l'avocat de Safran Ceramics. Et il y a eu des années d'enquête", précise-t-il.
En effet, ni l'enquête de gendarmerie, ni l'enquête interne n'ont permis de déterminer l'origine du drame. "Ce que le tribunal a retenu, c'est une mauvaise application de la réglementation des activités pyrotechniques. Nous, nous considérons qu'il s'est trompé sur l'analyse de cette règlementation, qu'il l'a mal comprise". C'est ce que plaidera Me Foreman, espérant obtenir la relaxe, comme l'avait réclamé le parquet en première instance.
C'est un accident du travail, oui, mais ce n'est pas une faute pénale, il n'y a pas eu faute de l'employeur.
Maître Simon ForemanAvocat de Safran Ceramics
"Que ça n'arrive plus"
"Ce que l'on souhaite, c'est que cela n'arrive plus" dit Me Teynié qui "porte la douleur de cette famille dévastée" depuis le début. "La mère de Benjamin est morte de chagrin".
Le procès en appel de ce mardi 13 février sera une nouvelle épreuve "très douloureuse". "On aurait aimé que Safran accepte le jugement très mesuré du tribunal correctionnel".
"J'espère que la vérité sera dite et avérée" ajoute Bertrand Montreux qui souhaite enfin pouvoir "tourner la page". "Je pensais qu'ils auraient un peu de compassion pour nous. Mais non, ils ne lâchent rien". Âgé aujourd'hui de 41 ans, il est toujours salarié au sein du groupe Safran.
Le tribunal de Bordeaux a annoncé qu'il mettait son jugement en délibéré, au 15 mai prochain.
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