Séparation des pouvoirs remis en question, enquêtes sur la grande délinquance menacées, la réforme de la PJ provoque une vague d'indignation dans les milieux policiers et judiciaires. Un rassemblement est organisé à la mi-journée devant le palais de justice de Bordeaux.
Ils sont 4000 enquêteurs affectés à la PJ en France, 17 000 à la sécurité publique.
Une seule police départementale, une seule autorité
La réforme voulue par Gérald Darmanin vise à tous les regrouper au sein d'une même entité par département et sous l'autorité d'un même directeur.
"Ca n'a pas de sens de réduire notre activité à l'échelle d'un département!" dénonce un officier de police judiciaire bordelais qui a souhaité rester anonyme.
"Actuellement notre zone d'intervention couvre l'ensemble de la Nouvelle-Aquitaine, voire la France entière. C'est indispensable pour lutter contre la grande délinquance qui, elle, n'a pas de frontières".
La lutte contre les grands réseaux criminels sacrifiée
L'enquêteur redoute d'être envoyé sur des missions de maintien de l'ordre ou sur des problèmes de petite délinquance tels que vols ou violences sur la voie publique.
Le directeur départemental aura tout loisir d'utiliser ses effectifs en fonction des priorités, nous allons perdre nos spécificités et nos expertises
Un enquêteur de la PJ de Bordeauxsource : France 3 Aquitaine
Même inquiétude de la part des magistrats.
"Nous craignons vraiment que la lutte contre la grande délinquance et les réseaux criminels soit sacrifiée sur l'autel de la petite et moyenne délinquance" avance le juge Vincent Raffray, représentant girondin de l'association des magistrats instructeurs.
"Or ce n'est pas possible".
Ce travail sur les réseaux demande des mois voire des années, avec des écoutes, des surveillances, des sonorisations. C'est un travail de longue haleine impossible à faire si en plus vous devez aller constater des vols et prendre des auditions".
Vincent Raffray - juge d'instructionsource : France 3 Aquitaine
Pour le juge bordelais, "les deux entités sont complémentaires et nécessaires si on veut lutter efficacement contre la délinquance".
Vous ne pouvez pas sacrifier l'un pour privilégier l'autre
Vincent Raffray - juge d'instructionsource : France 3 Aquitaine
Quelle indépendance pour la justice ?
L'autre point de crispation porte sur le problème d'indépendance de la justice et des enquêteurs.
"L'Etat de droit sera t-il garanti ?" s'interroge Christine Maze, la bâtonnière du barreau de Bordeaux qui évoque "un scandale d'Etat" avec un "exécutif très puissant et une séparation des pouvoirs qui vacille".
Il y aura une verticalité, c'est-à-dire une décision qui sera prise par un directeur départemental sous l'autorité du Préfet et non plus du juge ou du procureur. Ce qui ne permet pas l'exécution des droits.
Christine Maze - bâtonnière barreau de Bordeauxsource : France 3 Aquitaine
L'avocate regrette une mesure purement politique visant à "montrer que la police est partout dans la rue. C'est un réflexe populiste".
Vincent Raffray approuve. "Il y a la pression des statistiques" témoigne ce juge d'instruction qui a vu évoluer les stratégies du haut de ses vingt ans d'expérience. "La priorité ces dernières années est donnée à la petite et moyenne délinquance. Or c'est une erreur puisque c'est en luttant contre les grands réseaux que l'on combat la petite délinquance.
Quel est le but de cette réforme ? C'est lutter contre le sentiment d'insécurité de nos concitoyens plus que contre l'insécurité elle-même
Vincent Raffray - juge d'instructionSource : France 3 Aquitaine
Le juge souligne aussi le problème d'indépendance.
La PJ enquête sur des délits de fraude, de corruption, de trafic d'influence qui peuvent toucher des acteurs des collectivités publiques. Jusqu'à présent cela ne posait pas de difficultés.
Vincent Raffray - juge d'instructionsource : France 3 Aquitaine
"Mais si un directeur départemental en vient à superviser ce type d'investigations, lui qui est en contact permanent avec les collectivités, avec les élus, cela pose question".
Mobilisation
Ce lundi policiers, magistrats et avocats organisent une journée d'action pour demander le retrait de cette réforme de la PJ "susceptible de porter atteinte à l'indépendance de la Justice, à la garantie de l'égalité des citoyens devant la Loi et au principe de séparation des pouvoirs".
A Bordeaux, rassemblement est prévu à 12h30 devant le tribunal judiciaire.