Elle cuisine, range, nettoie, aide, accompagne, et écoute beaucoup... Assistante de vie aux familles, Régine aime son travail et la relation qu'elle a pu nouer avec sa bénéficiaire. Dans le secteur du soin et de l'accompagnement, les besoins explosent. Mais les métiers, peu rémunérés et souvent dévalorisés, peinent à recruter. #MaFrance2022
Elle ne la quitte jamais longtemps des yeux. Qu'elle soit en train de de préparer le repas, nettoyer la table ou simplement de discuter, le regard de Régine reste aux aguets. "Ce métier, c'est avant tout de l'attention", se justifie-t-elle.
Régine a 30 ans ; l'objet de tous ses regards, Henriette, va bientôt souffler ses 97 bougies. La première est AVDF, assistante de vie aux familles, la seconde, professeure de mathématiques à la retraite.
Cinq jours par semaine, Régine passe trois heures le matin et une heure l'après-midi aux cotés de la nonagénaire, dans sa coquette maison du quartier de la Victoire, à Bordeaux.
"Je lui demande des conseils pour ma vie"
"Lorsque j'arrive, prépare le petit déjeuner, je lui donne ses médicaments, je l'aide dans sa toilette", détaille-t-elle. La jeune femme s'occupe également parfois des repas, fait le ménage, la vaisselle, aide Henriette à s'habiller... "Je la laisse au maximum s'occuper de son intimité, je ne l'aide que là où c'est plus difficile. Et puis on discute aussi beaucoup", sourit-elle, derrière son masque.
Assise dans son fauteuil, son déambulateur à portée de main main, Henriette acquiesce, amusée : "Ca va... on s'entend, et ça se passe très très bien", résume-t-elle pudiquement. La rencontre entre les deux femmes remonte à un peu plus d'un an. En quelques mois, une relation de confiance s'est nouée entre elles. "Je lui demande des conseils pour ma vie", assure la plus jeune, mère d'un petit garçon de trois ans. "Et c'est réciproque!", l'interrompt Henriette.
Relation privilégiée
Pour autant, chacune sait pourquoi l'autre est là. Régine insiste : il est pour elle très important de rester professionnelle. "On s'est toujours vouvoyées. Je ne veux pas rentrer dans la familiarité. Mais ça n'empêche pas... Par exemple, je vais m'inquiéter quand je l'entends tousser, et parfois on met de la musique. Elle chante, et moi je l'écoute."
Quand je la vois bien , je suis contente, ça me fait du bien. Je ne suis pas là seulement pour donner de mes compétences professionnelles, je donne aussi de... pfff... Allez, n'ayons pas peur des mots, je donne aussi de mon amour.
Régine, assistante de vie aux famillesSource : France 3 Aquitaine
Une configuration quasi idyllique, qui a beaucoup rassuré les enfants d'Henriette. "On a pu créer une vraie relation de confiance. On est tranquille, on sait qu'elle est attentive à tout, et on voit que maman est bien avec elle, ce qui n'a pas toujours été le cas lors d'expériences précédentes", reconnaît Michel, son fils.
Un "métier de dépannage"
Régine est entrée dans le métier à l'âge de 22 ans, sans formation. Sa première bénéficiaire était en situation de handicap, trachéotomisée. "Je n'y connaissais rien, je n'étais pas diplômée, ni formée, J'ai appris sur le tas, alors qu'il s'agissait de gestes médicaux, se souvient-elle. C'est d'ailleurs une des problématiques de ce métier : il est souvent considéré comme un métier de dépannage".
Après cette première expérience qui durera quatre ans, Régine valide une formation aux aspirations endotrachéales, un sésame qui lui permet ensuite de travailler au sein d'une entreprise de service d'aide à la personne, avant de rencontrer Henriette. Aucun intermédiaire entre elles, Régine est rémunérée en Chèques emplois service universels (Cesu).
Multiplication des bénéficiaires
A son compte, la trentenaire travaille uniquement pour Henriette, une vingtaine d'heures par semaine. Un choix mûrement réfléchi : "En entreprise ou en association, on a souvent un temps de battement autorisé de 15 minutes entre deux bénéficiaires. Il suffit d'un retard, un malaise, un moment plus difficile pour qu'on soit en retard. Et ce temps perdu est fliqué par des systèmes de pointage".
Au-delà du manque de temps, l'aide à domicile dénonce les contraintes liées à la multiplication des bénéficiaires: "Quand on voit trop de personnes, on n'arrive plus à identifier les besoins des gens, estime-t-elle. Ce travail n'est pas seulement physique, il est aussi est très énergivore, on reçoit toutes sortes d'émotions ressenties par les bénéficiaires. Quand ils sont nombreux, c'est épuisant".
Le système se veut pourtant sécurisant pour les familles : les entreprises leurs garantissent systématiquement une solution de recours en cas d'absence. Pourtant, Michel et sa mère gardent un souvenir mitigé de leur expérience passée avec une agence de la métropole bordelaise, aujourd'hui fermée. "On avait quelqu'un qui venait pour la toilette le matin, et ne restait que quelques minutes. Avec leur système de rotation, ce n'était jamais la même personne. Il n'y avait pas de continuité. Même si elles étaient très sympas, maman ne pouvait pas créer de liens avec elles", regrette Michel.
Des besoins exponentiels
Partout en France, la demande en aide à domiciles explose. En Nouvelle-Aquitaine, plus de 15 000 offres d'emploi dans l'assistance auprès d'adultes sont à pourvoir actuellement, classant le secteur en tête des offres d'emploi : plus de 60 000 demandes de recrutement ont été déposées dans la région en 2021.
Le besoin est tel que, pour la première fois, une semaine nationale des métiers du soin et de l'accompagnement est même organisée du 4 au 8 avril, avec des sessions de recrutement dans toute la France.
Turn-over
Pour recruter, il faudrait avant tout se pencher sur les raisons de ce désintérêt pour la profession, selon Anne Lauseig. Cette Girondine, elle-même auxiliaire de vie, est la fondatrice du collectif national La Force invisible des aides à domicile. Créé en 2020, il rassemble 6 000 personnes et milite pour une meilleure reconnaissance de ces métiers, à plus de 90% occupés par des femmes. Toutes ne bénéficient pas de conditions similaires à celles de Régine.
"C'est un métier qui connaît énormément de turn-over, surtout chez celles qui ne sont pas en Cesu, précise-t-elle. Ce sont principalement des temps partiels imposés, souvent les candidates travaillent un mois, puis elles jettent l'éponge".
A ces horaires difficilement compatibles avec une vie de famille, s'ajoutent une rémunération le plus souvent au SMIC, et un manque de considération, parfois ouvertement affiché.
On est aussi dévalorisées par certains directeurs d'agences. On nous dit qu'on n'est pas diplômées, pas cultivées... Ca ne veut pas dire qu'on n'est pas intelligentes, ni qu'on ne doit pas être considérées
Anne Lauseig, Collectif national La Force invisible des aides à domicile.Source : France 3 Aquitaine
A quand un véritable statut professionnel ?
Le Collectif réclame également un véritable statut, une carte professionnelle, la possibilité d'accéder à un temps d'écoute par des professionnels pour les aidantes en difficulté financières ou victimes de violence conjugales. "Pendant le confinement, on s'est rendu comptes que certaines d'entre elles dormaient dans leur voiture. Elles n'osaient pas se confier, et leurs arrêts maladies étaient perçus comme des arrêts de complaisance", regrette la fondatrice du collectif.
Indemnités kilométriques
Autre enjeu crucial pour ces professionnelles : les indemnités kilométriques. Nombre d'entre elles enfilent des centaines de kilomètres par semaine. La hausse des prix du carburant freine le recrutement, voire favorise les démissions chez celles qui ne parviennent plus à faire le plein.
Le barème de remboursement actuel, entre 0,22 euros et 0,35 euros du kilomètre, comprend l'amortissement, l'entretien, l'essence et l'assurance. Il n'a pas bougé depuis dix ans.
Anne Lauseig s'inquiète aussi de la généralisation des vignettes Crit'air : "comme si on pouvait se permettre, avec 900 euros par mois, d'investir dans une voiture écolo", soupire-t-elle.
Peu de soutien politique
Le Collectif, soutenu par la sénatrice communiste du Val-de-Marne Laurence Cohen, a été reçu le 24 mars par la ministre déléguée en charge de l'Autonomie, Brigitte Bourguignon "Elle nous a écouté, ses conseillers ont pris beaucoup de notes. On lui a demandé d'être inclues dans les groupes de travail. Elle nous a répondu oui, mais on ne se fait pas d'illusion : elle ne sera plus là après les élections, relève l'auxiliaire de vie.
L'ensemble des revendications a également été envoyé à l'ensemble des candidats à la présidentielle. "A ce jour, on n'a eu aucun retour".
Dans le salon d'Henriette, Régine qui a "appris à aimer son métier", envisage pourtant elle aussi, un après. Elle a entamé une reconversion professionnelle et se montre prévoyante : "Je suis bien consciente qu'à 55 ans, je n'aurai pas la même vigueur qu'aujourd'hui. A un moment je ne pourrai plus, il faut être réaliste".
La jeune femme veut désormais se consacrer à la cuisine, et devenir traiteur, afin de pouvoir proposer des plats adaptés... aux personnes âgées.
Ecoutez Anne Lauseig raconter une journée de son quotidien, un enregistrement réalisé l'occasion de l’occupation du Grand Théâtre en 2021 par les intermittents.