Sur les terrains de sport amateur, les accusations de violences racistes sont de plus en plus fréquentes. Ce sont des mots blessants, prononcés entre joueuses de rugby féminin, ou encore sortis de la bouche de supporters de foot. Loin des caméras, ces phrases qui ne sont pas enregistrées, restent encore trop souvent impunies.
C’est un match que personne ne souhaite garder dans les annales. Le dimanche 30 mars en Béarn, les joueuses de Rugby de Lons Section Paloise ne se sont pas illustrées par leur jeu, mais par bel et bien par leurs propos racistes, tandis qu’elles rencontraient l’AC Bobigny 93.
Un incident largement relayé par le biais de ce post Instagram, repris par une joueuse de l'équipe de France de Rugby par la Provale (Syndicat des joueurs et des joueuses professionnels) et par la ministre des Sports, Amélie Oudéa-Castéra.
Le racisme n’a pas sa place sur les terrains de sport. Il doit être combattu partout, tout le temps. Tolérance 0.
— Amélie Oudéa-Castéra (@AOC1978) April 3, 2024
Nous avons pris contact avec les dirigeants du club de Rugby d’@ACBobigny93 afin d’apporter notre soutien à leurs joueuses et à leur club.
J'ai demandé à mes… https://t.co/hELMTwZEXq
Les injures se sont d’abord entendues dans le public, à base de "rentrez chez vous", mais ont ensuite gagné le terrain. Des mots tels que "sale noire" ou encore "casse-toi, on n’est pas dans ta cité", auraient été proférés, selon les dires de Gabriela Tanga, capitaine de l'équipe des Louves, rapportés par Libération. Le club béarnais a dû prendre des mesures pour le match retour ce 6 avril, qui s’est déroulé sans incident : équipe de réserve et sanctions à venir. Il a d'ailleurs exprimé sa condamnation de tels actes dans un communiqué de presse publié quelques jours après, en réaction à la vague de réactions condamnant son équipe sur les réseaux sociaux.
Le racisme n’a pas sa place dans notre sport et encore moins dans notre club
Lons Section PaloiseCommuniqué de presse du 1er avril 2024
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À ce jour, Bobigny a déposé deux plaintes pour injures raciales, l'enquête est en cours.
"Beaucoup de choses ont été justifiées par l’esprit rugby"
Matys Verlant, doctorant en Staps à l’université de Bordeaux étudie pour sa thèse ces discriminations dans le sport. Pour ce dernier, le rugby est un sport qui n'a clairement "pas été pionnier en la matière", "notamment parce que beaucoup de choses ont été justifiées par l’esprit rugby". L'universitaire évoque entre autres "cette culture du bon vivant, où il fait bon charrier, où il fait bon faire beaucoup de blagues. Et par ce processus-là beaucoup de choses qui sont de l’ordre de la discrimination raciale peuvent subsister".
Dans les tribunes de rugby, on retrouve une ambiance familiale et joyeuse, ça n’a longtemps pas été perçu comme un endroit où pouvait s’épanouir la discrimination raciale.
Matys VerlantDoctorant Université de Bordeaux- Staps
Pour autant, le chercheur note "une prise de conscience qui est active depuis quelques années", notamment grâce à la prise de parole des joueurs et des joueuses concernées.
Des insultes loin des caméras
Matys Verlant, qui a étudié de près ces phénomènes, insiste également sur un fait : tant que la parole n'a pas été enregistrée, elle est difficile à restituer. " Il y a beaucoup de réflexes à la prudence" car "tant qu’on n’est pas sûr de ce qu’on a entendu, on ne préfère pas prendre de risque", note-t-il. Une attitude qui concerne à la fois les joueurs et les supporters.
"Évidemment, quand il y a des cris de singe qui sont entendus par les spectateurs, par les joueurs et parfois par les caméras de télévision, quand c’est médiatisé, on a un consensus pour dénoncer ces propos". Mais la plupart du temps, ces propos racistes sont plus insidieux. Les insultes se transforment en "quelque chose de plus culturalisant" tels que "rentrez chez vous", ou "on n'est pas à la cité ici", qui assimile le fait d’être noir, au fait d’être délinquant ou d’être violent".
Dans le sport professionnel, on a des outils médiatiques qui permettent de capter des phénomènes. Dans le sport amateur, on a souvent des phénomènes passés sous silence.
Matys VerlantDoctorant -Université de Bordeaux Staps
De nouveaux codes racistes sous les radars
"Les discriminations raciales dans le sport peuvent prendre une forme plus subtile, un peu moins directement hostile et agressive, et mener à des préjugés qui peuvent conduire à de la haine", insiste Matys Verlant.
On voit qu’il y a une diminution de la haine raciale pure, ce qui fait que c’est de moins en moins bien cadré par les institutions et les pouvoirs publics.
Matys VerlantDoctorant - Université de Bordeaux-Staps
" Sale arabe, rentre en Turquie "
Il n'y a pas que le rugby qui soit sous le feu des critiques. Le football amateur recense de nombreux conflits liés à la discrimination. Le 24 mars, en Gironde, le club de football de Saint-Loubès affrontait le Taillan-Médoc en Régional 3. Les injures racistes ne venaient pas du terrain, mais du public cette fois-ci.
Parmi les propos relevés :" sale arabe, monte dans ton avion et rentre en Turquie", proférés à l’encontre de Bilal Laoudihi, numéro 10 au FC Loubésien. Ces injures ont entraîné un dépôt de plainte du club, ainsi que du joueur insulté plusieurs fois pendant le match.
Près de deux ans auparavant, en juin 2022, en coupe du district de Gironde, qui opposait Saint-Loubès à Cenon, le match était interrompu en début de seconde période. Les Cenonais "par solidarité et par respect" avaient refusé de revenir sur le terrain, dénonçant des propos racistes à l'encontre d'un de leurs joueurs par un adversaire loubésien.
"Le football n’échappe pas au contexte général dans lequel on vit, qui fait que le racisme existe, qu’on le veuille ou non. Le football n’est pas épargné", regrette Saïd Ennjimi, président de la Ligue aquitaine de football.
Regroupement par bandes
Le président de la ligue régionale observe une tendance qui lui fait peur. "Depuis quelques années, la violence est montée d’un cran", relève-t-il. "Le nombre d’actes graves n’a pas évolué en nombre, par contre ces mêmes actes graves sont beaucoup plus violents".
Il y a beaucoup plus de volonté de règlement de compte.
Saïd EnnjimiPrésident de la ligue de Football- Nouvelle Aquitaine
Avec des violences qui concernent pour la plupart un nouveau public "Nous avions il y a une dizaine d’années environ 70 à 80 % des faits disciplinaires qui concernaient les séniors. Aujourd’hui c’est totalement inversé, nous avons plutôt 70 % de faits disciplinaires qui concernent les jeunes". Des jeunes qu'il qualifie comme "sans limites", capables de "violence extrême" et qui se regroupent en bande.
"Chez les seniors ça se bouscule un peu, il y a parfois des gifles et des coups de poing qui partent, mais on est loin des regroupements à 10 à15 jeunes," note le responsable de la ligue régionale.
Sanctions
Des faits que la ligue tient à sanctionner. Lors d'un match de division 4 du district de Gironde, en octobre 2022, un arbitre profère des insultes à caractère raciste à l'encontre d'un joueur de 22 ans du club de La Réole. Ce dernier s'était installé en bord de terrain pour fumer la chicha avec ses amis. La réponse du footballeur ne s'était pas fait attendre : il avait alors agressé l'arbitre en réponse à ses propos.
Les deux acteurs de l'altercation ont été finalement condamnés à quatre ans de suspension, dont deux avec sursis. Une condamnation qui intervient après que le district départemental a voulu préalablement suspendre le joueur 11 ans, les injures racistes n'étant pas tout de suite remontées. Cette condamnation finale de la commission d'appel de la ligue est saluée par Saïd Ennjimi. "Elle a pris une bonne décision de mettre dos à dos les deux protagonistes. L’un qui pas à mettre de coup de poing et l’autre qui a eu des propos racistes".
Adapter les règlements
Matys Verlan, qui a longtemps travaillé sur le racisme dans le foot amateur, rappelle que certaines mesures individuelles existent et cite en exemple la commission disciplinaire de district de Loire-Atlantique, "qui a décidé de doubler la pleine encourue en cas de comportement à caractère raciste".
Mais trop souvent, relève-t-il, "les sanctions sont très minimes, les commissions de discipline ne s’occupent que des faits les plus graves". Ce que le chercheur explique par une charge de preuve "trop difficile à amener", mais aussi par une "frilosité politique".
Un constat que partage le Président de la ligue de football de Nouvelle-Aquitaine : "cette violence raciste n’est pas bien intégrée dans les règlements, reconnaît Saïd Ennjimi. Sur des violences physiques, on va avoir des sanctions très élevées, des radiations de 10, 15, 20 ans ou même à vie", constate-t-il.
Le règlement disciplinaire pour des propos n’est pas aussi élevé en sanction qu’il devrait l’être. On a déjà un vrai sujet d’adaptation de notre règlement.
Saïd EnnjimiPrésident de la Ligue de football de Nouvelle-Aquitaine
Personne n'est épargné rappelle le président de la ligue régionale. "Dans les campagnes, on a des invectives anti noirs anti arabes, et de l’autre côté, dans les quartiers, ce n'est pas forcément très simple pour les blancs". "Il faut qu’on soit très dur sur tous ces aspects ces violences physiques, mais aussi verbales et raciales, qui concernent tout le monde", insiste-t-il.