Dix centres dentaires du réseau Nobel santé +, situés dans quatre régions, dont un en Aquitaine, sont épinglés pour une série de fraudes dont le préjudice est estimé à presque trois millions d'euros. Ils vont être déconventionnés par l'Assurance maladie. Le président de l'ordre des dentistes de Gironde demande "plus de contrôles".
C'est une modeste façade, au milieu de la longue rue Sainte-Catherine, à Bordeaux, l'artère commerçante de la ville, avec "bienvenue", marqué en plusieurs langues sur la porte.
L'activité dentaire de ce centre est dans le collimateur de l'Assurance maladie et va être déconventionnée pendant trois ans. En clair, les patients des dentistes ne peuvent plus être remboursés des soins par la Sécurité sociale.
"Une patiente nous a avertis il y a huit jours que le centre dentaire allait lui donner son dossier médical avant de fermer", indique le Dr Alain Manseau, président du conseil de l'ordre des chirurgiens-dentistes de Gironde. Le praticien n'est pas très surpris de la décision de la Sécurité sociale, annoncée ce mardi 23 avril, dans un communiqué de presse.
Depuis plusieurs mois, on a reçu à l'ordre, quelques signalements concernant des facturations, pour la qualité de certains soins et le suivi de soins parfois mal effectué.
Alain ManseauPrésident de l'ordre des chirurgiens-dentistes de Gironde
Dix centres concernés
L'Assurance maladie assure pour sa part que dix centres d'un même réseau, sans donner son nom, seront déconventionnés pour des durées allant de 1 à 5 ans et à compter du 13 mai 2024.
Marguerite Cazeneuve, la numéro 2 de l'Assurance maladie a donné le nom du réseau et s'est félicitée sur X de l'action de l'organisme.
Nouveau coup de filet sur des soit-disant "centres de santé". Après le réseau Alliance Vision, ce sont 10 centres dentaires du réseau Nobel Santé que l'@Assur_Maladie fait tomber. La lutte contre la "fraude sociale" démarre par le démantèlement de ces machines à cash 💡 https://t.co/ANrMQIcQ87
— Marguerite Cazeneuve (@MCazeneuve) April 23, 2024
"Les investigations ont ainsi révélé des pratiques frauduleuses et récurrentes émanant de dix centres de santé de ce réseau, implantés sur quatre régions, et pour lesquels l’Assurance Maladie a décidé d’engager des suites contentieuses", précise le communiqué.
Il faut dire que le préjudice est estimé à un montant global de près de 2,9 millions d'euros, ce qui représente près de 20% des montants de dépenses dentaires de ces centres pris en charge par l’Assurance Maladie.
"Les motifs de fraudes mêlent des facturations fictives de soins, de couronnes ou de bridges, multiples ou incohérentes, un non-respect des référentiels de bonne pratique ou des conditions de prises en charge prévues à la nomenclature des actes techniques, voire un délabrement de dents saines."
"Rendements importants"
Ce mardi 23 avril, le centre de Bordeaux est ouvert, a constaté une équipe de France 3 et la direction ne souhaite pas faire de commentaire.
D'après Alain Manseau, jusqu'à cinq chirurgiens ont travaillé dans ce centre ouvert dans le courant de l'année 2020.
Dans ce type de centre qui s'est multiplié sur Bordeaux ces dernières années, on demande des rendements importants aux praticiens, qui sont souvent de jeunes dentistes français ou étrangers formés en Europe qui sont salariés et touchent un pourcentage par rapport à l'activité. Il y a un turn-over important.
Dr Alain ManseauPrésident de l'ordre des chirurgiens-dentistes de Gironde
De nombreux centres dentaires ont ouvert dans l'agglomération bordelaise depuis quelques années, mais le président ne veut pas tous les mettre dans le même panier.
"Il y a eu près de 25 ouvertures de centres en Gironde, mais trois seulement en dehors de la métropole. Le but initial, depuis la loi Bachelot en 2009, était de faciliter l'ouverture des centres et de lutter contre les déserts médicaux, mais on voit que ces centres dentaires se concentrent tous dans Bordeaux. Il y a quand même des centres de valeur qui rendent service et font partie des tours de garde. Et il y a beaucoup de praticiens qui ne se retrouvent pas dans ce genre de centre, par rapport à leur éthique", complète le président.
Après cette nouvelle affaire de fraudes en France, il espère davantage de contrôles dans ces centres. "Il faut mettre en œuvre plus d'inspections fiscales avec plus de contrôles", dit le praticien qui recommande aussi aux patients, "de demander des devis, de se faire expliquer l'intérêt des soins, de comparer, des précautions à avoir aussi dans des cabinets libéraux".
L'Assurance maladie indique que "plus de 58 millions d'euros de préjudice lié aux fraudes de centres de santé ont été "détectés et stoppés" en 2023, sous l'effet "d'importantes campagnes de contrôle portant sur les centres de santé, particulièrement les réseaux".
Les centres du réseau Nobel santé étaient surveillés depuis deux ans par cinquante enquêteurs.
Plaintes pénales
À compter du déconventionnement effectif, le 13 mai, la Sécurité sociale ne remboursera les soins pratiqués dans ces centres que sur une base très faible, appelée le "tarif d'autorité".
Parallèlement, l'Assurance maladie a déposé dix plaintes pénales contre les dix centres Nobel santé à l'été 2023, pour des faits d'escroquerie, de faux et usage de faux et de fausses déclarations.
Depuis janvier 2023, l'Assurance maladie a acté trente et une procédures pour déconventionner des centres mis en cause pour pratiques frauduleuses.
Récit avec Gilles Coulon.