En France, les assistants sexuels pour les personnes handicapées ne sont pas autorisés. Des associations se battent pour que leurs droits soient reconnus et qu’une souffrance supplémentaire ne vienne pas s’ajouter dans un quotidien difficile. En attendant, certains font donc appel à des prostituées.
Franck Legros ne se déplace presque qu’en fauteuil roulant. À 22 ans, il a pris son envol et vit dans un appartement. Il a quitté l’Institut d’Education Motrice (IEM) de Talence, en Gironde. Loin de l’internat, il peut désormais vivre pleinement sa relation avec sa petite copine. Ils ont désormais une intimité qui leur permet d’avoir des relations sexuelles plus facilement. "Avec la chance que j'ai au niveau de mon handicap, je peux faire ce dont j'ai envie. Je n’ai pas forcément de difficultés étant donné que je peux me lever et faire mes transferts ", explique Franck Legros. "Mais j'ai des amis qui ne peuvent pas du tout. Je ne sais pas comment ils feront, à part si la personne en face peut les bouger et entre guillemets "tout faire".
Franck dit comprendre que certains fassent appel à une prostituée. " Ce n’est pas bien vu, mais c'est quand même bien qu'il y en ait qui osent franchir le pas".
"C’est un service que j’offre sans discrimination "
C’est le cas d’Edouard. Le trentenaire se déplace lui aussi en fauteuil roulant. Inséré socialement, il mène une vie très active. Pour ce qui est des relations sexuelles, il fait appel à une prostituée. Ils se sont vus trois fois en un an et demi. Le jour où nous avons rendez-vous pour l’interviewer sur le sujet, Edouard se désiste. Un SMS pour s’excuser. " L’idée de le faire (témoigner, ndlr) ne me tranquillise pas du tout depuis quelques jours ". Malgré l’anonymat que nous lui garantissons, le jeune homme fait marche arrière. Comme tout client d’une prostituée, Edouard encourt une amende de 1 500 euros, 3 750 euros en cas de récidive.
En revanche Nathalie, à qui il a donc eu plusieurs fois recours, a accepté de témoigner. " C'est un travail ", dit-elle. " C'est mon travail. C'est un service que j'offre sans discrimination ". Pour autant, les clients handicapés exigent une prise en charge spécifique. "Avec Edouard, on s'est vus trois fois, durant plus d'une heure à chaque fois. Alors qu'en temps normal, c'est une heure", explique Nathalie qui applique les mêmes tarifs à tous ses clients, même à ceux qui nécessitent qu’elle leur accorde plus de temps. Sans compter le premier rendez-vous où elle évoque avec son client sa pathologie. "C'est beaucoup plus compliqué pour moi. Il faut faire attention. C'est spécial. Ce n’est pas un rapport normal. Il faut faire attention. Il faut contrôler son poids, là où on s'appuie. C'est différent et c'est une responsabilité en fait. Mais je le fais quand même". Nathalie a déjà eu trois clients handicapés dont un jeune homme vierge. Ses parents étaient au courant.
La famille était dans le salon en attendant que je sorte de la chambre pour voir si tout s'était bien passé et s’il était heureux.
NathalieProstituée
Le veto du Comité consultatif national d’éthique
Si ces personnes en situation de handicap font appel aux services d’une prostituée, c'est parce qu’en France les accompagnants sexuels ne sont pas autorisés par la loi. "Les gens qui font les lois, s'ils étaient à la place d'un couple où les deux ne peuvent pas (avoir de relation sexuelle, ndlr), je crois qu'ils verraient les choses autrement", regrette Franck Legros. "Mais comme ils ne sont pas dans ce cas-là ils s'en foutent".
En 2020 Sophie Cluzel, la secrétaire d’Etat chargée des personnes handicapées, avait saisi le CCNE (Comité consultatif national d’éthique). Comme en 2012, le CCNE avait rendu un avis défavorable. Pourtant, plusieurs pays d’Europe encadrent déjà le recours à des assistants de vie sexuelle. C’est notamment le cas du Danemark, l’Allemagne, les Pays-Bas, la Belgique ou encore la Suisse. Les personnes qui proposent ces services ont reçu une formation. Comme à l’Appas. Cette Association Pour la Promotion de l’Accompagnement Sexuel a été créée il y a plus de 15 ans en France. Elle dispose même d’un site internet. Pourtant, elle œuvre dans la plus grande illégalité.
C’est la raison pour laquelle de nombreuses associations se battent pour que les lignes bougent en France. "Aujourd’hui APH France handicap dans laquelle je travaille, milite depuis de nombreuses années à revendiquer le droit à la sexualité et a l'intimité des personnes en situation de handicap", revendique Patrick Salette, directeur du pôle médico-social Enfance Jeunesse de la Gironde. "Un collectif a été créé en janvier 2011 avec l'association Ch(s)ose et essaie de bousculer le monde politique pour arriver à avoir un cadre législatif qui pourrait évoluer dans ce sens-là".
"Enfermés dans un corps avec beaucoup de limites"
Aux premières loges, le personnel médical milite pour que les droits des personnes handicapées soient reconnus notamment en termes de sexualité. Laurence Raynaud est infirmière à l’Institut d’Education Motrice (IEM) de Talence. "Ce ne sont pas nous, les infirmières, les premières interlocutrices", explique-t-elle. "Cela va plus être nos collègues aides-soignantes qui sont plus présentes au niveau des toilettes. Ce sont des moments plus propices à évoquer la sexualité".
Pour autant Laurence Reynaud évoque ces questions lors d’entretiens réguliers avec les patients. "Certains jeunes, compte tenu de l'âge, ont des besoins. Mais ils n'ont pas la possibilité de se débrouiller par eux-mêmes. Ils auraient besoin d'un accompagnement, que nous, on ne peut pas organiser, pour voir des assistants sexuels". En effet, l’organisme serait alors accusé de proxénétisme. "En France pour l'instant ce n’est pas quelque chose qui peut se faire. Donc oui il y a de la colère, de l'incompréhension par rapport à cela. Sur la demande de relation tarifée ou non, on n’a pas de moyen d'action. Et il y a une frustration qui est la leur".
Avoir accès à un accompagnant sexuel leur permettrait de le vivre et pas seulement en plaisir solitaire pour ceux qui peuvent le faire.
Laurence Raynaud, infirmière
"De le vivre dans une relation à deux, d'avoir eux aussi d'autres ressentis, c'est important", poursuit l'infirmière."Pouvoir aussi connaître physiquement leurs capacités à avoir une vie sexuelle... Avoir la satisfaction qui irait avec et qui ferait qu'il y aurait des passages moins difficiles que ceux qu'ils vivent là. Ils sont déjà enfermés dans un corps avec beaucoup de limites.
Il faut qu'on arrête de se voiler la face. Cela permettrait que cela se passe dans de meilleures conditions que là, tel que cela se fait".
Certains ont recours à des prostituées ou partent à l'étranger pour avoir accès à des assistants sexuels comme cela se pratique dans d'autres pays.
Laurence Raynaud, infirmière
"Beaucoup de préjugés"
"À l'ère des réseaux, ils voient beaucoup de choses et se renseignent à leur façon", précise Laurence Raynaud. "Parfois ils se retrouvent sur des sites qui sont bien trop crus". Les acteurs du médico-social, sont très vigilants sur la question du numérique. Beaucoup de jeunes handicapés, comme les autres jeunes de leur génération, se retrouvent à surfer sur internet. À la recherche de l’amour ou d’une simple relation sexuelle. Ils peuvent ainsi devenir la proie de personnes mal attentionnées, désireuses de gagner de l’argent facilement.
Nathalie parait loin de cet opportunisme. Si elle a accepté de témoigner "c’est parce qu’il y a beaucoup de préjugés", dit-elle. "Les gens voient la prostitution d'une certaine manière, mais ce n’est pas toujours comme cela que cela se passe. Parfois c’est un besoin. Parfois, c'est un travail social. Et c'est cette vision qu'il faut valoriser. Je pense que j'apporte une sensation de normalité. Tout le monde a le droit de connaître une sexualité". Si la société semble aujourd’hui porter un regard nouveau sur ces questions essentielles, si cette problématique revient régulièrement sur la scène politique, le sujet reste tabou. Il se heurte à des questions d’éthique. En attendant, sans solution adaptée, certaines personnes handicapées sont condamnées à l’abstinence. Une abstinence qui les isole encore un peu plus.