Le travail peut tuer. Tous les 15 jours, un salarié meurt sur son lieu de travail en Centre-Val de Loire. Trente-deux ont perdu la vie en 2023. Les régions sont plus touchées qu'en région parisienne, et les causes sont toujours les mêmes : manque de formation et absence de sécurité.
En 2023, 21 000 accidents du travail avec arrêt ont été recensés dans la région. Le taux d’accidents y est supérieur à la moyenne nationale : 30,3 accidents pour 1 000 salariés contre 27,1 au niveau national.
Les victimes sont souvent issues du BTP et du travail intérimaire, des secteurs où la précarité rime souvent avec manque de formation et absence de protection.
Trente-deux accidents mortels ont été recensés en 2023 en Centre-Val de Loire (du régime général, hors accident de trajets). Parmi les victimes, sept étaient issues du secteur du BTP, et sept étaient intérimaires.
Dans le Loiret, qui concentre à lui seul 36,8, % de l’intérim départemental en région en 2023, les accidents du travail sont particulièrement fréquents avec 5733 accidents en 2021 :
Petites entreprises, grands dangers
Pour Michel Gréco, président régional de la FNATH (Fédération Nationale des Accidentés du Travail et des Handicapés), la taille de l’entreprise joue un rôle déterminant.
On meurt plus dans les petites entreprises que dans les grandes.
Michel Gréco, président régional de la FNATH (Fédération Nationale des Accidentés du Travail et des Handicapés)
Les grands groupes disposent de moyens pour financer des formations, du matériel de sécurité et des contrôles réguliers. Mais dans les PME et les TPE, ces investissements sont souvent considérés comme une charge.
Résultat : les ouvriers sont envoyés sur les chantiers sans équipement adapté. Les chutes de toits sont particulièrement fréquentes, notamment parmi les charpentiers, qui sont les plus touchés.
"Ils m’ont mis là et m’ont dit : débrouille-toi"
Soudeur de métier, Saïd Abadi a été envoyé sur un chantier sans la moindre formation en chaudronnerie. Il a perdu l’usage de son œil droit sur un chantier en 2006, faute d’équipement de protection. Il travaillait pour une entreprise qui fabriquait des citernes alimentaires. "J'étais qualifié dans la tuyauterie, pas dans ce domaine. Mais ils m’ont placé là sans me former."
Ils ne m’ont pas donné de visière intégrale. Je n'avais aucune sécurité. Ils m’ont mis là et m’ont dit ‘débrouille-toi’. Un bout de tôle a traversé mon œil. J’ai perdu mon travail, ma santé et mes perspectives.
Saïd Abadi, ouvrier hautement qualifié victime d’un grave accident
Son calvaire ne s’arrête pas là. Trois ans de convalescence, une incapacité permanente, une procédure judiciaire interminable… "J’ai perdu mon travail, ma retraite est ruinée. Ils m’ont enlevé une partie de ma vie."
La justice a condamné l’entreprise pour blessure involontaire, avec une peine de cinq ans de prison avec sursis. Mais les délais judiciaires sont longs, parfois plus de dix ans pour obtenir réparation.
La précarisation des travailleurs, un facteur aggravant
Depuis la crise du Covid-19, la situation s’est détériorée. "Les entreprises ont cessé d’embaucher pendant la pandémie, puis ont dû recruter rapidement à la reprise", explique Michel Gréco. "Elles ont pris des intérimaires, souvent des jeunes, sans les former. C’est là qu’il y a le plus de risques."
Un constat partagé par la Direction régionale de l’économie, de l’emploi, du travail et des solidarités (DREETS).
"En 2023, 60 % des accidents mortels impliquant des travailleurs de moins de 25 ans sont survenus dans leur première année de poste. ", précise Sabrina Rousselle, responsable du pôle Travail en Centre-Val de Loire."L'enjeu, c’est d’intégrer une véritable culture de la prévention dès l’arrivée des nouveaux travailleurs."
Sans expérience, sans formation, sans accompagnement, les jeunes embauchés sont les plus vulnérables.
Et pourtant, les solutions existent. Former, équiper, protéger.
Mais cela demande un investissement que beaucoup d’entreprises rechignent à faire.
Nous voulons un engagement des dirigeants, pour intégrer la sécurité dès l’embauche. Trop de travailleurs sont laissés à eux-mêmes.
Sabrina Rousselle, responsable du pôle Travail à la DREETS Centre-Val de Loire
Le travail doit faire vivre, pas tuer
Les accidents du travail ne sont pas une fatalité. Ils sont le résultat de négligences, de décisions économiques où la sécurité passe après la rentabilité.
"On parle toujours des chiffres de la CNAM, mais ces chiffres sont incomplets. On ne compte pas les agriculteurs, les fonctionnaires… Et les suicides liés au travail ? On les oublie aussi ?", interroge Michel Gréco.
Pour Saïd Abadi, le combat continue. Son message aux employeurs est clair : "Il suffit d’une seconde pour qu’une vie soit brisée."