Le 1er février 1954, l'abbé Pierre lançait un appel d'urgence sur les ondes de Radio Luxembourg, alors qu'une femme venait de mourir de froid dans la nuit, expulsée de son logement. On l'a nommé "l'insurrection de la bonté". 70 ans après, cet appel résonne encore dans les communautés Emmaüs, comme celle de Saint-Priest-Taurion, près de Limoges. Installée sur les bords de Vienne, elle a accueilli ses premiers compagnons en 1974.
"Mes amis, au secours... Une femme vient de mourir gelée, cette nuit à trois heures, sur le trottoir du boulevard Sébastopol, serrant sur elle le papier par lequel, avant-hier, on l'avait expulsée..."
Ce jour du 1ᵉʳ février 1954, l'abbé Pierre, au micro de Radio Luxembourg, lance un appel à la solidarité : "Il faut que ce soir même, dans toutes les villes de France, dans chaque quartier de Paris, des pancartes s'accrochent sous une lumière dans la nuit, à la porte de lieux où il y ait couvertures, paille, soupe, et où l'on lise sous ce titre "centre fraternel de dépannage", ces simples mots : "Toi qui souffres, qui que tu sois, entre, dors, mange, reprends espoir, ici, on t'aime."
Aujourd'hui, 70 ans après, dans la communauté de Saint-Priest-Taurion, près de Limoges, on entend toujours cet appel.
La communauté de Saint-Priest-Taurion
La communauté accueille quarante compagnons, ils habitent et travaillent sur place. Le tri et la vente des dons des particuliers, comme de la vaisselle, du linge de maison, des vêtements, des meubles... leur permettent de vivre.
Le site de Saint-Priest-Taurion, bâti sur les vestiges d'une ancienne usine de peaux de lapins, il y a cinquante ans, juste en bordure de Vienne, est équipé de studios pour les compagnons, et désormais, des compagnes et des familles. La communauté a même connu sa première naissance, son premier bébé, il y a quelques mois.
Les compagnes et compagnons se réunissent pour les repas dans une salle commune, des repas préparés par Gayané. La cuisinière, venue d'Arménie, a trouvé sa place dans cette communauté "comme une famille", dit-elle dans un large sourire.
La communauté accueille dix-sept nationalités différentes. "On reflète le monde qui nous entoure, explique Alexis Jacquot, responsable de la communauté. Par rapport à il y a 70 ans, ce n'est pas du tout le même accueil, nous, on s'adapte aux besoins des personnes. Comme le disait l'abbé Pierre il y a 70 ans avec son appel, viens, rentre, nous, on fait perdurer cette idée-là, tout le monde est le bienvenu."
"Un pur coup de chance"
Kévin trie la vaisselle. Il est compagnon depuis sept ans et a le regard aiguisé. En un quart de seconde, il sépare la porcelaine du tout venant, reconnaît la résine, le biscuit... la force de l'expérience.
À 23 ans, Kévin perdait son travail et son logement, et pendant deux ans, il a vécu dans la rue. Jusqu'au jour où pour la première fois, il est allé à une maraude. Un bénévole d'Emmaüs lui a parlé de la communauté "Un pur coup de chance", dit-il.
Depuis, il ne se verrait pas vivre ailleurs. La communauté l'a changé, dit-il. Et il y a trouvé des valeurs auxquelles il tient. "A Emmaüs, on voit l'humain en priorité."
Ici, je vis pour une vraie cause, une vraie raison.
Kévin, compagnon Emmaüs
Avec une dizaine d'autres communautés en France, Kévin organise un convoi de couvertures pour les camps de migrants de Calais et de Grande-Synthe. Une mission de solidarité pour célébrer les 70 ans de l'appel de l'abbé Pierre. "J'ai été à la rue, Emmaüs m'a aidé, maintenant, c'est à moi d'aider les autres," estime Kévin.
Un refus de l'indifférence, de l'injustice. Comme l'insufflait l'abbé Pierre avec son appel, le 1ᵉʳ février 1954.