Justice en souffrance : les juridictions du Limousin solidaires

C'est une Justice en souffrance que dénoncent aujourd'hui l'ensemble des magistrats, greffiers, personnels judiciaires et avocats. Un mouvement de grève national auquel participent aussi ceux de Limoges, Brive, Tulle et Guéret. Ils se sont tous retrouvés sur les marches du Palais de Justice de Limoges à 13h30

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C'est un mouvement national et rare. Les magistrats sortent rarement de leur devoir de réserve. Mais ce mercredi 15 décembre, toutes les Cours d'Appels, notamment celle de Limoges, réunissent magistrats, greffiers, personnels judiciaires, avocats dans une mobilisation générale pour dénoncer une Justice en souffrance, une perte de sens, et toute une chaîne qui, faute de moyens, rompt le lien avec les justiciables et les fondamentaux de la Justice. Ils réclament des moyens "dignes" pour la Justice. Les avocats des barreaux de Limoges, Brive, Tulle et Guéret ont voulu marquer leur solidarité à ce mouvement spontané des magistrats et des personnels de greffe, c'est une première.

"Nous ne voulons pas d'une justice qui n'écoute pas et qui chronomètre tout" 

Il y a trois semaines, 3000 magistrats et une centaine de greffiers lançaient une tribune, à la suite du suicide de l'une de leur collègue de 29 ans, magistrate depuis deux ans. Signée initialement par le tiers du corps professionnel, elle affiche depuis près de 8 000 signataires magistrats, fonctionnaires de greffe et auditeurs de justice (élèves magistrats). C'est donc avec émotion que l'ensemble de la magistrature et des personnels de la Justice se réunit, car le mal-être de cette jeune magistrate renvoie à tous les problèmes que chacun dit vivre au quotidien.

"Les jeunes magistrats qui prennent aujourd'hui leurs fonctions, souvent animés par d'authentiques vocations, se heurtent à l'état d'une institution qui n'est pas conforme à l'idéal qu'ils pouvaient avoir de la Justice. Un idéal de Justice que nous portons nous aussi les plus anciens, mais que peut-être nous avons accepté de laisser progressivement se dégrader et le fait que ces jeunes demandent plus de temps d'écoute, des décisions rendues plus rapidement et des conditions de travail meilleures pour tous me rend confiant dans l'avenir " souligne Philippe Delarbre, Premier Président de la Cour d'Appel de Limoges

Les juridictions du ressort de la Cour d'Appel de Limoges ne sont pas épargnées

Partout les arrêts maladie se multiplient, autant chez les jeunes que chez les personnels expérimentés, la pression augmente, les conditions se dégradent.

"La mobilisation est solidaire... En Limousin la situation n'est pas parfaite, il y a des absences notamment pour maladie, elles ne sont pas remplacées mais nous avons un taux de vacance relativement faible, la situation s'est améliorée sensiblement mais il reste des postes vacants qui nous empêchent de travailler sereinement. Il nous faudrait, nous en Limousin, plus de magistrats placés au Siège et au Parquet ainsi que plus de postes placés au Greffe" poursuit le Premier Président de la Cour d'Appel.

Le maillage territorial a déjà subi par le passé des disparitions de juridictions, éloignant toujours plus le justiciable de son juge. La présence de deux tribunaux judiciaires à Tulle et Brive, un à Guéret et un à Limoges reste toujours sous la menace d’être "avalée" par une autre cour d’appel.

Les postes alloués restent insuffisants aujourd'hui. Il faudrait revoir le nombre de postes décidés par la Chancellerie pour chaque tribunal, en fonction de son activité et du bassin de population qu'il dessert.

Les tribunaux doivent faire avec ce nombre de postes qui ne correspond plus aujourd'hui à la charge de travail que rencontrent magistrats et greffiers. Cette circulaire de localisation des emplois serait donc à revoir pour doter la Justice d'un nombre décent de postes.

"Nous demandons le doublement du corps des magistrats, de passer de 8000 à 16000 afin de pouvoir travailler sereinement. Un procureur aujourd'hui fait entre 45 et 60h par semaine et parfois le week-end sans repos le lundi, soit 14 jours intenses, donc vous êtes exténué, je ne sais pas comment on peut lucidement traiter les dossiers, derrière lesquels il y a des gens, des vies, des souffrances, on ne peut le faire en 5mn" souligne Xavier Pasturel, Conseiller au Parquet Général de la Cour d'Appel, représentant de l'Union Syndicale des Magistrats

A entendre les grévistes, il s'agirait donc d'une question de "volonté politique". Pourtant, le budget de la justice française a été augmenté par deux fois ces dernières années mais il semblerait que le problème du manque de moyens précède ces augmentations et reste prégnant.

Au sein de l'Union Européenne, la France attribue un budget de 69,9€ par habitant à sa Justice quand l'Allemagne le porte à 131,2 €, l'Italie à 83,1€ et l'Espagne à 92,6€.

Conséquemment, la charge de travail tend à augmenter et il revient à celles et ceux qui assument le quotidien de parfois "juger vite, quitte à juger mal".

"Hier, nous n'avons pas pu juger un prévenu poursuivi pour trafic de stupéfiants et pour lequel il encourait 10 ans d'emprisonnement car il n'y avait pas d'escorte disponible pour l'extraire de la prison. Il n'était donc pas présent physiquement dans la salle avec son avocat, mais par visioconférence, avec son traducteur qui était lui présent dans la salle. Est-ce là l'exercice d'une bonne justice quand on connait la qualité déplorable de ces moyens ? Un peu plus tard, la visio ne fonctionnant pas, nous avons dû tous quitter la salle d'audience pour se retrouver dans une autre petite salle." déplore Alexandra Nicolay, Vice-Présidente placée à la Cour d’Appel de Limoges et déléguée régionale du Syndicat de la Magistrature 

Et cette dernière de poursuivre :

"Juger est une charge morale et un exercice professionnel rigoureux, or on voit des agents contractuels auxquels on demande de rédiger des jugements alors qu'ils n'ont pas été formés, c'est du temps qui disparait au détriment d'un savoir-faire fondamental, pour se référer à la jurisprudence par exemple, c'est inquiétant" 

Les témoignages qui expriment cette frustrations se multiplient. Pour un divorce par exemple, le temps d'écoute se réduit, alors même que les époux n'auront qu'une seule occasion de rencontrer le juge aux affaires familiales. Au pénal, une date d'audience ne peut être obtenue que deux ans après la clôture d'une instruction tandis qu'un prévenu ou un accusé peut être jugé deux ans, voire trois ou plus, après les faits. Un délai difficile à comprendre pour les victimes d'un crime ou d'un délit. 

"Nous avons renvoyé hier une affaire correctionnelle au 22 mai. La personne ne sera donc jugée que dans 6 mois." confie Alexandra Nicolay. 

"Au pénal, c'est aussi tout un détricotage de structures intéressantes pour la prévention et la réparation auquel on assiste sur le terrain ces dernières années. Des solutions qui pouvaient alléger le travail des magistrats, désengorger les prisons, remettre du lien social là où il avait disparu. Les budgets tournés vers le sécuritaire, par volonté politique, ne sont pas mis ailleurs.", poursuit la magistrate.

Du côté des personnels, à savoir greffiers, agents administratifs, qu'ils soient titulaires, vacataires ou contractuels, même constat. Les dossiers s'empilent, les audiences s'allongent tard dans la soirée, les congés maladie ne sont pas remplacés... une charge de travail qui ne cesse d'augmenter et des salaires qui n'ont pas été réévalués depuis une quinzaine d'années.

"Nous on ne veut pas casser, mais il faudrait quand même que notre ministre et la fonction publique nous entendent" précise Vincent Charbonnier, délégué UNSA Services judiciaires

La solidarité des avocats

C'est un combat que la profession mène désormais . "Nous vivons la même situation de crise de la Justice, on voit au jour le jour qu'il n'y a pas suffisamment de personnels, avec des audiences qui sont renvoyées, des délibérés qui sont de plus en plus longs, on nous impose des réformes tous les trois mois avec des outils numériques qui ne marchent pas et nous portons la souffrance des justiciables qui sentent une justice qui se déshumanise, on ne veut plus qu'il soit au contact du juge, on multiplie les audiences sans débat, on limite le temps de plaidoirie, on veut désormais structurer les écritures des avocats... c'est un problème quotidien" décrit Maître Bertrand Villette, Bâtonnier de l'Ordre des Avocats de Limoges

Un mal-être qui s'exprime désormais sur les réseaux sociaux

Avec le mot-clé #JusticeMalade, la parole se libère. Position rare, la Cour de Cassation, le Conseil Supérieur de la Magistrature, ont adopté des motions à leur tour pour ne pas rester indifférents à ce mal-être généralisé.

"On veut faire de nous une administration judiciaire alors que nous sommes un pouvoir judiciaire, et ça c'est grave" souligne Alexandra Nicolay, déléguée régionale du Syndicat de la Magistrature.

A SAVOIR : Effectifs alloués et occupés aux juridictions du Limousin

TRIBUNAL JUDICIAIRE DE LIMOGES

Magistrats du siège : 24 postes localisés (par la circulaire de localisation des emplois éditée par la Chancellerie). A l’heure actuelle il y a 3 postes vacants (non pourvus, personne n’est arrivé pour ce poste). Il y a donc sur le terrain 21 magistrats du siège en postes. Il y a eu 4 arrêts-maladie à durée variable depuis la rentrée de septembre. Ce sont donc jusqu’à 7 magistrats manquants.

A compter de janvier, deux personnes arrivent sur les postes Juge des libertés et de la détention et de vice-président généraliste au Tribunal Judiciaire de Limoges. Il restera donc toujours un poste de juge d’instruction au pôle criminel qui manquera et ce depuis plusieurs mois, pôle qui concentre toutes les instructions des affaires criminelles du Limousin.

Parquet : 7 postes à Limoges. Au 1er janvier 2022, 1 sera vacant

TRIBUNAL JUDICIAIRE DE GUERET

Il y a 8 magistrats localisés. L’effectif des magistrats est complet.

Parquet : 3 postes attribués. Les 3 sont occupés. Les permanences reviennent souvent, les magistrats ne comptent pas leurs heures. Le nombre semble insuffisant pour un bassin de population conséquent.

TRIBUNAL JUDICIAIRE DE BRIVE

Il y a 11 postes localisés de magistrats du siège et ils sont au complet. En avril 2022, ils auront cependant un départ à la retraite au service des tutelles qui ne sera pas pourvu pendant quelques temps, il y aura donc une réorganisation sur la charge de travail des autres magistrats.

Parquet : 3 postes attribués. Les 3 sont occupés. Les permanences reviennent souvent, les magistrats ne comptent pas leurs heures. Le nombre semble insuffisant pour un bassin de population conséquent.

TRIBUNAL JUDICIAIRE DE TULLE

9 postes localisés au siège et l’effectif est complet à l’heure actuelle et le restera au 1er janvier. Il y aura un congé-maternité en avril. Ce poste sera pris en charge par l’un des trois magistrats placé auprès du Premier Président de la Cour d’Appel, dont les fonctions est de pallier

Parquet : 3 postes attribués. Les 3 sont occupés. Les permanences reviennent souvent, les magistrats ne comptent pas leurs heures. Le nombre semble insuffisant pour un bassin de population conséquent.

COUR D’APPEL DE LIMOGES

13 magistrats du siège dont 3 magistrats placés. L’effectif est complet.

Parquet Général 4 postes + 2 placés (Magistrats qui ont vocation à être déployés dans les juridictions quand des magistrats ont des absences) Au 1er janvier 2022 il y aura 1 poste vacant au Parquet Général

DU COTE DES GREFFES :

213 personnels prévus sur tout le ressort limousin. Or, ne sont que 202 fonctionnaires titulaires en postes. Il y a donc 11 postes vacants. Il y a 6 greffiers placés. 

Contractuels : 35, dont 21 recrutés depuis les plans de justice de proximité de cette année sur des missions ponctuelles d’assistance.

La circulaire de localisation des emplois prévoit pour les juridictions du Limousin 68 magistrats du siège et 22 magistrats aux Parquets. Les magistrats limousins réclament plus de magistrats et greffiers placés.

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