"250 000 euros pour 4 hectares sur l'île d'Oléron, c'est surréaliste !" Le camp de vacances de la discorde

La ville de Saint-Junien (Haute-Vienne) dispose, depuis les années 1930, d'un camp de vacances sur la commune de Saint-Pierre d'Oléron. Abandonné depuis 1996, squatté, incendié, c'est un poids mort pour la collectivité. La municipalité a fait voter une délibération pour le vendre. L'opposition dénonce une vente à vil prix et un manque de transparence et de concertation dans ce dossier.

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Quelques bâtiments noircis par les flammes et un terrain de quatre hectares en friche. Un bien triste spectacle offert par la colonie de vacances de la Giboire à Saint-Pierre d'Oléron. Contraste avec les jolis bâtiments et le cadre verdoyant ayant accueilli plusieurs générations de Saint-Juniaud. 

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Le camp de vacances de La Giboire en 1978 ©CDNA - Collection numérisée des Archives Municipales de St-Junien.

Comment en est-on arrivés là ? Régulièrement squatté depuis son abandon en 2010, le site est incendié à plusieurs reprises au mois d'aout 2017. "Un des bâtiments principaux avait notamment souffert d’importants dégâts : le sol du premier étage s’était effondré après avoir été fragilisé par les flammes", évoque, à l'époque, un confrère du Populaire du Centre.

Un dernier épisode qui vient sceller le sort du site. Depuis plusieurs années déjà, la ville de Saint-Junien, propriétaire de la Giboire, songeait à vendre. Le coût d'une réhabilitation après les incendies est si prohibitif que l'idée est définitivement enterrée.

"Nous ne sommes pas forcément contre l'idée de vendre, mais pas à ce prix-là !"

Auparavant estimé autour de 900 000 euros, la valeur de la colonie chute après 2017. La dernière estimation de France domaine du 13 mai 2022 (désormais appelé Direction de l'immobilier de l'État, chargée de l'évaluation des biens publics) ne lui accorde plus qu'une valeur de 185 000 euros. Un poids mort pour la ville qui débourse chaque année plus de 20 000 euros pour son entretien. Au printemps 2023, la vente à la société CMpromotions pour une somme de 250 000 euros est actée par une délibération du conseil municipal.

Délibération attaquée par l'opposition devant le tribunal administratif. La vente est pour le moment suspendue. Pour le groupe Énergie citoyenne, la majorité "brade les bijoux de famille"

"250 000 euros pour quatre hectares sur l'île d'Oléron, c'est surréaliste ! Cette vente se fait dans un total manque de transparence. Nous ne sommes pas forcément contre l'idée de vendre, mais pas à ce prix-là ! Pourquoi aucune alternative n'est à l'étude ? Comment la société CMpromotion, basée en Île-de-France, a-t-elle eu vent de cette vente ? Que veut-elle faire de la Giboire ? Le maire nous explique que les contraintes sont telles et le coût des travaux si important, qu'il faut vendre. Mais la société CMpromotions n'est pas une entreprise philanthropique. Si elle l'achète, c'est bien qu'elle compte en tirer un bénéfice, peut-être en morcelant et en revendant des bouts de la parcelle pour en faire de l'habitat individuel. Pourquoi laisser une société privée tirer les bénéfices de la Giboire ?", s'insurge Yoann Balestrat, porte-parole du groupe Énergie Citoyenne.

L'ancien gérant incrédule

Incompréhension partagée par le dernier gérant de la colonie. "250 000 euros pour la Giboire, même si les bâtiments sont en ruine, c'est un peu n'importe quoi pour Saint-Pierre-d'Oléron. On tourne plutôt à 40 euros l'hectare". Jean-Pierre Dupuy, sa femme et sa fille étaient aux commandes de la colonie quand la ville de Saint-Junien a renoncé à une gestion directe en 1997. Ils y sont restés jusqu'en 2010. À partir de 2007, des tractations sont engagées avec la mairie de Saint-Junien pour racheter le site. La somme de 1,5 millions d'euros est convenue entre les deux parties. Mais la vente échoue. "À l'époque, des associations environnementales se sont opposé à notre projet de moderniser le site. Nous voulions faire quelque chose de mixte. Garder le côté colonies et classes vertes avec l'agrément éducation nationale, mais aussi faire une résidence de tourisme avec l'aménagement de plusieurs appartements pour les familles. On a renoncé parce que les procédures promettaient d'être longues. En 2008, je suis devenu premier adjoint de Saint-Pierre d'Oléron et c'est devenu trop compliqué."  La promesse d'achat de Jean-Pierre Dupuy est rachetée pour 10% de la valeur du prix de vente (150 000 euros) par la mairie de Saint-Junien pour être revendue à une société de Gironde qui ne donnera finalement pas suite.

L'ancien gérant s'étonne du pourrissement de la situation. "Je ne comprends pas la négligence dont ont fait preuve les élus de Saint-Junien. C'est de l'inconscience. Nous avions fait des travaux à l'époque. Les plans de modernisation étaient prêts, les modifications de PLU lancées. Il y avait tout pour transformer la structure en quelque chose d'économiquement florissant. Maintenant tout est en ruine"

"Les contraintes s'amoncellent"

Des considérations qui ont le don d'agacer Pierre Allard, maire de la commune : "Le site de la Giboire est un poids pour la collectivité. Il nous coûte 20 000 euros d'entretien à l'année, pour rien". Pour l'élu, il est temps de régler la question surtout que la valeur de la Giboire ne cesse de baisser. 

"Les contraintes s'amoncellent. Le PLU impose de refaire à l'identique et interdit toute nouvelle construction. Depuis la tempête Xynthia, la loi littorale a abouti à classer l'essentiel du site en zone submersible non constructible. La modification du PLU permettant de faire autre chose prend au moins cinq ans. Dans l'intervalle, il peut se passer beaucoup de choses, un nouvel incendie par exemple, qui engageraient juridiquement la responsabilité de la ville" (NDLR, si quelqu'un venait à être blessé). 

Et Pierre Allard de dénoncer une opposition systématique du groupe Énergie citoyenne. "L'opposition n'a pas l'ombre d'une proposition et n'a pas le sens des réalités. On va encore dégouter un acquéreur et perdre de l'argent", déplore l'édile. 

La contestation de la délibération doit encore être tranchée par la justice. La procédure promet d'être longue. Le sujet ne va pas finir tout de suite de diviser le conseil municipal.

Contactée, la commune de Saint-Pierre d'Oléron n'a pas souhaité s'exprimer sur le sujet. De la même manière, l'acquéreur potentiel n'a, pour le moment, pas donné suite à nos sollicitations. 

Les origines de la colonie de la Giboire

Acquise en 1933 par l'Union Syndicale Ouvrière (USO), la colonie de vacances de la Giboire doit permettre aux petits Saint-Juniaud de découvrir la mer.

L'USO est née en 1902 à la faveur d'une des plus grosses grèves des ouvriers des mégisseries de Saint-Junien. Le but premier de la coopérative est de mettre en commun les ressources de ses membres pour acheter en gros des marchandises et les revendre à prix coûtant. Une manière de résister à la pression des patrons qui empêchaient, à l'époque, les commerçant de vendre leurs produits aux grévistes des usines de la ville. Avec les années, l'USO se diversifie et ouvre des magasins en tous genres. Son but est de permettre, en pratiquant des prix de vente inférieurs à ceux de ses concurrents locaux, à de plus en plus d’ouvriers de vivre mieux. Le modèle fonctionne si bien que la coopérative va jusqu'à reprendre des usines. En quelques années, une ganterie, une mégisserie et une fabrique de sacs en papier coopératives voient le jour. Des marges de manœuvre financières conséquentes émergent. Elles permettent donc en 1933 d'acquérir la Giboire.

À partir de 1935 et jusqu'en 1996, la colonie va permettre aux familles modestes d'y envoyer leurs enfants. Les parents ne paient pas grand-chose, la coopérative et la commune prennent l'essentiel du coût du séjour à leur charge. En 1976, la coopérative bat de l'aile et c'est la mairie qui récupère directement la gestion de la colonie. Vingt ans plus tard, une mise aux normes s'impose. Le coût de la gestion est de plus en plus important alors que dans le même temps le modèle des colonies s'essouffle. C'est ainsi que la gestion du site est confiée à Jean-Pierre Dupuy en 1997.

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