À Limoges et dans son agglomération, les bus sont gratuits durant les trois week-ends de décembre, avant les fêtes. Ainsi en a décidé la communauté urbaine, l’autorité organisatrice de la mobilité. Une manière d’attirer des acheteurs dans les commerces locaux, mais aussi d’expérimenter la gratuité des transports en commun. En France, 44 collectivités ont déjà pris cette mesure, ça représente 376 communes. Est-ce que ça fonctionne ?
Les bus dans la métropole de Limoges sont au nombre de 127, ils circulent sur 37 lignes, dont 5 pour le trolleybus, et l’annonce a été faite le vendredi 6 décembre. Les usagers de la STCLM ne paieront pas leur place les week-end des 7-8, 14-15 et 21-22 décembre.
Une expérimentation
Dès le premier week-end, les passagers se sont montrés satisfaits. "Je suis ravie", dit l’une d’elles, encore un peu surprise par la nouvelle. Un autre ajoute "ça offre l’opportunité de pouvoir se déplacer, surtout avec ce temps, c’est un avantage".
Mais l’annonce date de la veille et peu d’habitants sont informés. L’un explique "en voiture, c'est assez compliqué à Limoges, il n’y a pas beaucoup de places gratuites, c’est toujours les parkings, donc je crois que j’aurais pris le bus."
La nouvelle est donc plutôt bien accueillie. Un usager renchérit même "Ce serait bien si c’était lundi ! "
Ce serait bien si c'était lundi.
Un usager des bus à Limoges
Et c’est là tout l’enjeu de cette expérimentation. La gratuité des bus sera-t-elle un jour la règle à Limoges ?
"L’idée, moi, je l’ai trouvé géniale, explique Emile Roger Lombertie, le maire LR de la commune, à la condition que l’on se donne les moyens d’étudier correctement et d’expliquer correctement à la population, à l’ensemble des élus les avantages et les inconvénients, ce que ça va nous coûter, si ça va nous apporter quelque chose ou pas."
Pour les avantages et les inconvénients, les élus de l’agglomération étudient le dossier depuis un an.
Jean-Marie Lagedamont, le président de la STCLM et Guillaume Guérin, le président LR de Limoges Métropole sont même allés tester les bus de Dunkerque et Niort, où le service est gratuit.
Il était temps, sous-entend Gilbert Bernard, conseiller municipal PCF à Limoges et conseiller communautaire. En 2014 déjà, il proposait cette gratuité. Et se réjouit de ces changements "Aujourd’hui, l’époque est mûre au vu de la crise économique, sociale et environnementale pour aller vers la gratuité des transports", dit-il.
Aujourd'hui l'époque est mûre (...) pour aller vers la gratuité des transports
Gilbert Bernard, élu PCF à Limoges
Reste que la question centrale de cette gratuité, c’est le coût.
Le coût de la gratuité
Les trois weekends de gratuité représentent un manque à gagner de 30 000 euros.
Aujourd’hui, sur le réseau de la STCLM, le trajet en bus coûte 1 euro 60 (achat dans le bus, 1 euro 40 si on achète son ticket en boutique). Et le prix du billet représente 20 % (17% précisément) du budget des transports en commun. Il faut donc trouver 6 millions d’euros pour proposer le bus gratuit toute l'année.
Gilbert Bernard, élu PCF à la mairie et à l’agglo estime l’économie sur la billetterie, les machines, les contrôleurs entre 500 000 et 700 000 euros. Il propose aussi d’augmenter de 1,80% à 2% le versement mobilité des entreprises de plus de onze salariés. Ce qui rapporterait selon ses calculs entre de 1,5 million et 1,8 million.
Jean-Marie Lagedamont, 1ᵉʳ vice-président de Limoges Métropole et président de la STCLM apporte un bémol à ces chiffres, qui d’après lui ne tiennent pas compte de toutes les dépenses consécutives à la gratuité, comme le recrutement de nouveaux chauffeurs, ou l’achat de bus.
Les grands bus articulés valent 600 000 euros, quand ils sont thermiques, et un million d’euros pour les modèles électriques, précise l’élu, "donc ça pèse tout ça et évidemment ça a un coût et il faut inclure tout ça dans un coût général."
Les bus gratuits sont-ils attendus ?
L’autre question est celle de la fréquentation. Et pour cela, il suffit d’aller voir du côté des villes qui pratiquent déjà la gratuité des transports en commun.
Pas besoin d’aller très loin. À Châteauroux, les passagers ne paient plus le bus depuis 2001. 23 ans d’expérience qui ont vu le nombre de passagers doubler dès la première année. Et tripler en 20 ans.
Avec la gratuité, les opposants de l’époque craignaient une montée de la délinquance, se souvient l’ancien maire, Jean-François Mayet, qui ajoute "quand le bus est plein, il n’y a pas d’incivilités, ni de délinquance."
Aujourd'hui, les usagers des transports de Châteauroux ne souhaitent plus un retour en arrière "pourvu que ça dure", dit l'un d'eux, assis dans le bus. C'est devenu un enjeu politique, discuté à chaque élection, souligne Marc Fleuret, le vice-président de Châteauroux Métropole, délégué aux transports.
La marche arrière serait très compliquée à mettre en oeuvre
Marc Fleuret, le vice-président de Châteauroux Métropole, délégué aux transports
"En période électorale, c’est une des premières questions que les habitants nous posent : est-ce que vous allez maintenir la gratuité ? C’est même parfois un jeu politique où les uns disent que les autres vont arrêter la gratuité, et je pense que c’est ce qui prouve bien que c’est extrêmement important et que la marche arrière serait très compliquée à mettre en œuvre."
Des difficultés
Selon Gilbert Bernard, l'élu communiste de Limoges et de l'agglo qui plaide pour la gratuité des transports en commun depuis dix ans, celle-ci présente quatre avantages :
- Socialement : permettre le transport aux plus défavorisés
- Environnement : décarboner les transports et limiter le nombre de voitures
- Sécurité : moins d'incivilités dans les transports en commun
- Économiquement : des retombées sur la fréquentation des commerces
Mais des difficultés se posent aussi. À Calais par exemple, où les bus sont gratuits depuis 5 ans, le syndicat gestionnaire est en grande difficulté, indique un rapport de la cour des comptes
"La gratuité du réseau de transport a réellement fragilisé financièrement le syndicat. Aujourd’hui, la soutenabilité financière du modèle, tant en exploitation qu’en investissement, n’est plus assurée. Ce mode de gestion a en effet entraîné une perte de recettes de 3 M€ depuis 2020 et un surcoût annuel de 1,4 M€, dans un contexte inflationniste. Par contre, la gratuité a eu des conséquences sur le développement du réseau avec une croissance de la fréquentation de 84 % depuis 2019."
Par ailleurs, à Dunkerque, depuis le lundi 9 décembre, les chauffeurs de bus sont en grève, débordés par la gratuité.
On est victime du succès de la gratuité
Xavier Gadan, délégué syndical Force ouvrière DK'bus
Les salariés dénoncent des conditions de travail dégradées et un service détérioré. "La fréquentation des bus est en hausse, mais toujours avec les mêmes moyens. On est victimes du succès de la gratuité", dénonce Xavier Gadan, délégué syndical Force ouvrière DK'bus. Il constate des bus surchargés et des retards de plus en plus fréquents.
La gratuité a été lancée en 2018, et en 6 ans, la fréquentation a bondi de 125%.
Les compromis dans la gratuité
La gratuité peut aussi être partielle, comme l'explique le site Vie publique. Certaines colllectivités ont fait le choix de la gratuité partielle, afin de cibler certaines catégories de la population, comme les jeunes, les seniors, les personnes sans emploi, ou à faible revenu… Ces collectivités font aussi le choix de la gratuité à certaines périodes, en cas de pics de pollution par exemple, la nuit, le weekend. Ou sur une partie du réseau. C'est le choix de Paris, Marseille, Lille, Lyon, Strasbourg. Ces agglomérations appliquent ce qu'on appelle une gratuité "solidaire".
D'autres solutions existent, comme celle de la métropole de Valenciennes, qui accorde la gratuité à tous les jeunes jusqu'à 25 ans.
L'agglomération de Limoges est-elle prête à sauter le pas de la gratuité dans les transports ? Uniquement le week-end, ou la semaine ? Pour tous les usagers, ou certaines catégories ? Le choix sera forcément politique. Et s'annonce déjà comme un enjeu électoral.