La lauréate du prix Régine Deforges 2020 veut changer le regard sur la migration

Le cinquième prix Régine Deforges couronne un roman poignant sur la déchéance d'un homme à qui pourtant tout devait sourire. Fils choyé de la bourgeoisie guinéenne, il finit proxénète dans une banlieue parisienne, alors que ses sœurs s'accrochent. Rencontre.

« Je suis très touchée par ce prix qui représente beaucoup pour moi. Qu'un jury aussi prestigieux porte ce regard bienveillant sur mon texte, me rend très heureuse », se réjouit Salomé Berlemont-Gilles dont le premier roman est paru en janvier aux éditions Grasset.Ce qui surprend d'abord c'est la langue de ce roman. Une langue fluide, avec des phrases courtes, dynamiques, balancées comme des coups de poings. Son auteure, Salomé Berlemont-Gilles a 27 ans et plein d'histoires à raconter. Elle parle vite, comme ses personnages qu'elle aime. Ils ont, comme elle des colères à exprimer, des questions à partager.

Le premier qui tombera, son premier roman mérite bien ce prix Régine Deforges. C'est un roman du regard, on ressent, on éprouve, on s'attache, on s'identifie aux personnages. « J'ai beaucoup travaillé la langue. Il y a eu beaucoup d'aller retour avec mon éditrice. C'est une langue qui me ressemble beaucoup. Je suis quelqu'un de très sensible et émotive, j'ai voulu rendre cela. »

Ça raconte l'histoire d'Hamadi, un jeune de la bourgeoise guinéenne, poussé hors du pays et qui perd pieds dans une longue déchéance. Nous sommes à la fin des années 50, ou au début des années 60. La Guinée Conakry vient de voter par référendum pour obtenir son indépendance de la France du Général de Gaulle, et très vite la folie d'une dictature naissante pousse peu à peu les parents du jeune Hamadi vers l'exil. Où aller, si ce n'est en France où le père, chirurgien a fait ses études ? Il y a des amis, à Nice qui promettent de les accueillir. Autour d'eux, les corps tombent, des opposants sont tués en place publique ou envoyés dans des bagnes d'où ils ne reviendront pas.

 

 

Drame familial

Pourquoi avoir installé le roman dans un cadre familial ? « Parce que c'est l'endroit idéal où observer l'intime. Au sein de cette intimité, il y a des gens qui y arrivent et d'autres pas. J'aime les contrastes de l'intimité » argumente Salomé Berlemont-Gilles.

A table justement, dans ces quartiers huppés de Conakry, les amis du père défilent et le bon alcool délie les langues. Les enfants sont des éponges, ils entendent tout, sans tout comprendre. Même si le jeune Hamadi cependant se rend vite bien compte qu'il n'est pas un enfant comme les autres, qu'il n'est pas comme cette petite fille aperçue derrière la vitre sur un marché de la ville en train de vendre des fruits. Choyé, gâté, aimé par une mère qui a de grandes ambitions pour lui, Hamadi s'accommode mal de cette mission. Il aime le nom composé que lui donne sa mère : Hamadi-chéri pour l'attendrir.

Les enfants sont innocents, parce qu'ils sont des enfants, mais un événement le tire vite de son insouciance et le place devant cette montagne de responsabilités. Un jour qu'il contemplait l'horizon, - ses parents habitent la côte-, Hamadi est alerté par des pleurs provenant de la piscine, avec des bruits d'eau, comme quelqu'un qui se débat. L'une de ses sœurs était en train de se noyer. Après l'avoir ramenée sur le bord aidé des bonnes, il prend conscience à ce moment de son rôle de grand-frère, qu'il doit désormais assumer.

Poussés vers l'exil par la route, parce qu'ils sont peuls dans la Guinée de Sékou Touré, ce sera d'abord le Sénégal, Nice ralliée par bateau, puis Paris... la banlieue parisienne, où ils prennent racine dans les tours à Bobigny. « J'avais envie de toucher à tous les clichés qui entourent la migration ».

 

Racisme, mythe ou réalité ?

Le racisme est l'autre grand sujet de ce roman, parce que « le racisme existe dans ce pays » insiste l'auteure. Il y a d'abord le racisme ordinaire qui est la maladie la mieux partagée. Hamadi et les siens sont noyés dans les classifications. Les bons et les mauvais... Noirs. Dans la cité, dans les cages d'escaliers Hamadi trouve une nouvelle famille appelée La Fraternité, avec Georges, Kader, Max, Arthur ou encore Serge.

Ils sont proxénètes ou rabatteurs. Hamadi ment à ses parents qui font mine de ne pas être au courant. Le père rumine sa honte doublée d'une profonde tristesse qui le mènent progressivement vers la mort. Honte du déclassement, tristesse de n'être rien, alors qu'il est chirurgien, réduit en France « à torcher des vieux en gériatrie », parce qu'ici ses diplômes ne valent rien.

« Je suis métisse c'est vrai, mais cette histoire n'est pas la mienne, ce sont les rencontres, les confidences d'amis dont je me suis inspirée. Je suis une fille du Nord, issue d'un milieu privilégié, avec mes deux parents qui enseignent, donc je n'ai pas du tout voulu écrire un roman autobiographique », se défend la romancière. 

« J'ai voulu observer la société française telle quelle est avec ses problèmes. J'ai remarqué qu'il y a une fascination en France pour le roman national qui n'est pas très bien écrit. Avec une élite qui prétend avoir appris l'histoire, et qui veut que tout le monde retienne ce que certains veulent qu'on retienne. La vérité, c'est qu'il y a une version très contestable de la France que l'on n'interroge pas. On peut aborder l'histoire de façon critique sans être contre ce pays ».

 

 

Un roman féministe ?

Le roman serait affecté de trop de clichés s'il s'arrêtait là, mais il y a ce qui se passe entre les phrases. Nous sommes en présence d'un vrai talent de portraitiste. Salomé Berlemont-Gilles vient de la nouvelle et c'est ce qui fait la force de son roman. Une belle galerie de portraits. Les personnages féminins sont des reines justement avec leurs contradictions. Elles se construisent en contraste des personnages masculins.

Aïssa, l'une des sœurs, finit institutrice. C'est d'ailleurs elle et ses sœurs qui retiennent les hommes de ne pas flancher, de ne pas se « foutre en l'air ». Marie, leur mère, épicière dans le quartier, les couvrira de tout son amour, jusqu'à son dernier souffle. A son amour, Hamadi ne sait répondre que par des ratages. Mais elle ne cesse de l'aimer, en espérant qu'il change, qu'il se reprenne. Le poids des responsabilités n'est-il pas trop lourd quand le destin de tant de gens reposent sur une seule personne ? C'est ce à quoi doit faire face Hamadi cet anti-héros.

A la sortie du roman, on est tenté de se demander si ce n'est pas un roman féministe. « J'espère », avoue la jeune autrice. C'est d'ailleurs peut-être cela qu'a voulu saluer le jury Régine Deforges. Tout l'enjeu du roman, c'est de montrer comment ces femmes tiennent debout face au chaos du monde. « C'est compliqué d'être une femme. Beaucoup de femmes ont de la résilience, elles s'adaptent », ce que semble suggérer le titre : Le premier qui tombera, on se demande au fur et à mesure de la lecture qui va rester debout, face au chaos de la vie.

Les filles à l'évidence s'en sortent mieux. « J'avais envie de raconter des histoires que l'on raconte un peu moins, celle d'un système cassé, dans lequel l’ascenseur social ne fonctionne plus, dans lequel on force des gens à jouer un jeu qu'ils ne veulent pas jouer. Tout le débat sur l'identité national me dérange. » De là à voir dans ce roman une critique sociale, il n'y a qu'un pas, que la jeune romancière ne veut pas franchir. Même s'il y a beaucoup de cela. Et c'est réussi. La romancière travaille actuellement à son prochain roman. Elle viendra à Limoges en septembre pour recevoir son prix.

 

L'actualité "Culture" vous intéresse ? Continuez votre exploration et découvrez d'autres thématiques dans notre newsletter quotidienne.
Tous les jours, recevez l’actualité de votre région par newsletter.
choisir une région
Nouvelle-Aquitaine
France Télévisions utilise votre adresse e-mail pour vous envoyer la newsletter de votre région. Vous pouvez vous désabonner à tout moment via le lien en bas de ces newsletters. Notre politique de confidentialité