Ce jeudi 13 janvier 2022, le médecin Pierre-Michel Périnaud présentait les dernières études sur les liens entre certaines pathologies et l’exposition aux pesticides. La réunion d’information s'est tenue à 20h, à l’espace François-Ferraud de Saint-Yrieix-la-Perche.
A Saint-Yrieix-la-Perche, le marché de la pomme fait recette. Les pomiculteurs, principalement producteurs de Golden, sont nombreux et ils souhaitent se développer davantage. Le rachat d’une propriété agricole par un jeune pomiculteur voulant produire de la Golden en partenariat avec Limdor en est un exemple. La Safer a choisi cet acheteur au détriment de trois autres projets, plus respectueux de l’environnement selon l’ADEPPHVI (Association pour la défense de l’environnement et la préservation du patrimoine de la haute vallée de l’Isle), déçue par cette décision. Pour beaucoup de riverains, cette future exploitation arboricole représente une nouvelle inquiétude car certains expliquent déjà subir le bruit des pulvérisateurs, l’odeur des produits chimiques, et la vue des filets anti-grêle. Ils s'inquiètent aussi pour leur santé. C’est dans ce contexte que deux associations, l’ADEPPHVI (Association pour la défense de l’environnement et la préservation du patrimoine de la haute vallée de l’Isle) et l’Adepal (Association de défense de l’environnement du Pays arédien et du Limousin) ont décidé d’organiser une réunion d’information ce jeudi 13 janvier 2022. Ils souhaitent exposer les dernières études sur les liens entre les pesticides et la santé. Invité, le docteur Pierre-Michel Périnaud, aussi président de l’Association Alerte des médecins sur les pesticides (AMLP) y a expliqué ces dernières données scientifiques.
On sait qu’il y a une dizaine de pathologies chez les riverains qui sont identifiées comme ayant un lien plus ou moins important avec l’exposition aux pesticides, alors qu’il n’y en avait que deux en 2013. Donc on sait que le problème progresse, on a des bases scientifiques pour l’évaluer, et le pouvoir politique ne bouge pas, il est droit dans ses bottes.
Docteur Pierre-Michel Périnaud, président de l'association Alerte des Médecins sur les Pesticides (AMLP)
Au moins 6 pathologies liées aux pesticides selon l’Inserm
En 2013, l’expertise de l’Inserm expliquait que seulement deux pathologies étaient rapportées à l’usage de pesticides pour la population générale (lié à un usage domestique) et qu’un doute existait pour la maladie de Parkinson. Sept ans plus tard, en juin 2021, la mise à jour de l’expertise reconnaît finalement quatre pathologies liées à l’usage des pesticides, avec un niveau de preuve moyen comme les troubles cognitifs, les tumeurs du système nerveux central, l’asthme, et les troubles du neuro-développement. Deux pathologies ont un niveau de preuve toujours fort : les leucémies et les tumeurs du système nerveux central. Des avancées majeures qui permettent de reconnaître le 22 décembre 2021, par les ministères de l’Agriculture et de la Santé, le cancer de la prostate comme maladie professionnelle chez les agriculteurs et les salariés agricoles après, la maladie de Parkinson et certains cancers du sang.
L'inquiétude des riverains
"Ils sulfatent quand il y a du vent, ils n'ont pas le droit, mais il faut bien qu'ils travaillent, c'est une espèce d'engrenage. Pour aboutir à un fruit parfait, il y entre quarante et cinquante traitements par an," s'inquiète Jean-Pierre Maury, de l'association du Causse de l'Isle (24).
Cette habitante de Saint-Yrieix-le-Perche (87), dont la petite fille de 7 ans souffre de troubles de la croissance, a tenu, lors de la soirée, à partager sa détresse : "Ça fait peur oui. Franchement je fais le lien, parce que ce n'est pas la seule enfant sur Saint-Yrieix, à avoir le même problème."
La parole des pommiculteurs
L'AOP Pomme du Limousin est la seule Appellation d'Origine Protégée attribué à une pomme en France. Il représente une production de 80 000 tonnes/an répartis sur 2000 hectares, pour 180 exploitations. 20% de la production est en agriculture biologique pour l'instant.
Cette soirée a permis de confronter les points de vues, sur les pratiques agricoles, les enjeux sanitaires et les contraintes économiques. Les producteurs de l'AOP pommes du Limousin, membres de la coopérative Limdor, étaient également présents. "On est pas des défenseurs des produits phytosanitaires, très loin de là. On est des utilisateurs, dans un cadre réglementaire, c'est le législateur qui décide. Et nous aujourd'hui on est plus restrictifs que la réglementation. On n'utilise pas tout ce qui est autorisé, on en utilise le moins possible," a tenu a préciser Laurent Rougerie, producteur et président du syndicat AOP pomme du Limousin.
En 2017, la filière a signé une charte intitulée : Pomme du Limousin mieux intégrées à son environnement, afin de s'engager dans une démarche de protection des riverains.
Pour le docteur Pierre-Michel Périnaud, c'est avant tout à l'Etat d'agir et de légiférer : "La position des pouvoirs publics est indéfendable au regard des données scientifiques actuelles. Les professionnels ne sont pas seuls en cause, il faut une évolution rapide de la réglementation. On demande aux politiques de s'emparer de cette question"
En Charente une association a d'ailleurs été crée afin d'aider et de conseiller les utilisateurs de produits phytosanitaires atteints de pathologies dans toute la France : Phyto-Victimes.
Un projet de décret sur l’usage des pesticides
En 2019, un décret dit de protection des riverains contre les pesticides est contesté, jugé insuffisant par l’Association Alerte des médecins sur les pesticides (AMLP), France Nature Environnement, Que Choisir, Génération future).
En juillet 2021, le Conseil d’Etat donne raison aux associations, jugeant insuffisamment protectrices des dispositions encadrant les épandages près des habitations : insuffisance des distances minimales pour les produits suspectés d’être cancérogènes, mutagènes ou toxiques pour la reproduction, absence d’information réelle des riverains en amont des épandages, insuffisante protection des riverains et travailleurs.
L’Etat a 6 mois pour revoir sa copie. Alors du 21 décembre 2021 au 11 janvier 2022, le ministère de l’Agriculture ouvre à la consultation publique deux projets de textes visant à modifier le décret et l’arrêté du 27 décembre 2019. Pour le docteur Périnaud, « c’est un peu une coquille vide et ça reporte le chronomètre à après les élections ». D’où l’importance pour lui et les associations organisatrices de la réunion du jeudi 13 janvier. Un temps espéré afin de mobiliser les citoyens de Saint-Yrieix-la-Perche et créer un groupe d’habitants vigilants.