Alors que l'été joue les prolongations en ce mois d'octobre, au risque de perturber les plantes, le chercheur botaniste Jean Thoby plaide pour une culture sans molécule de synthèse, plus propice, selon lui, à la résilience des végétaux.
Côté météo, les chaleurs fortes de ce début d'automne devraient baisser progressivement tout en restant par endroit 5 à 6 degrés au-dessus des normales de saison. Un retour à la normale probable qui n'empêche pas de s'interroger sur l'effet de ces sécheresses à répétition et prolongées sur la végétation. Le Landais d'adoption Jean Thoby a fait de l'observation végétale une seconde nature. Pépiniériste de formation et de métier, il a su exploiter ses observations grâce à la création d'un plantarium végétal dans ce qui étaient alors les jardins du Château de Gaujacq.
Un laboratoire végétal
L'histoire commence en 1985. Il s'installe, avec sa femme Frédérique, en Chalosse et reprend les jardins du Château de Gaujacq dans les Landes. Peu à peu, ils développent un plantarium, véritable laboratoire à ciel ouvert, où ils observent plus de 4 500 variétés qu'ils ont accompagnées ou laissées pousser. Une aire d'études qui a été le fondement de la réflexion botanique et scientifique de Jean Thoby. Leur pépinière a pour but la conservation, la diffusion et la connaissance des collections végétales avec une spécialité pour les camélias.
Effectivement, cet été qui dure pose questions. Même si, selon lui, la Chalosse est une région qui connaît une variété de climats. À tel point qu'il a pu acclimater ici, bon nombre d'essences, de plantes des cinq continents.
Il est vrai qu'entre 1985 et maintenant, d'un point de vue climatique, tout a changé. Et je pense que beaucoup de personnes sous-estiment le changement.
Jean Thoby, chercheur en botanique et pépiniéristeRédaction web France 3 Aquitaine
Par exemple, cet hiver. "Ici, à Gaujacq, l'an dernier, on n'a eu que deux fois des températures négatives". Alors qu'en 1985, "il y avait quand même déjà une vingtaine de jours qui étaient en négatif", se souvient-il. La région de la Chalosse a évolué. "Quand on fait la moyenne, on s'aperçoit qu'on a changé de zone. On est presque considéré comme un climat Corse ou le climat sud-marocain de 1830", poursuit le pépiniériste.
Les camélias ont "3 ou 4 mois d'avance"
Jean Thoby est un pédagogue, qui voudrait faire passer des messages. Oui la plante s'adapte si on la laisse s'adapter à ces changements. Il faudrait pouvoir respecter le rythme propre de chacune, notamment pour le travail des pépiniéristes qui doivent les multiplier. Savoir attendre le bon moment.
"En fait, une plante réagit au cumul de chaleur et de température. C'est la raison pour laquelle, dès qu'elle a suffisamment de température et de chaleur, elle se met à fleurir et à faire ses fruits ou ses graines. Donc, si, nous avions des camélias, par exemple, qui fleurissaient globalement à partir d’avril mai, très tardif (les Camelia reticulata), aujourd'hui, ils fleurissent dès le mois d'octobre ou novembre. Ils ont carrément 3-4 mois d'avance !" Autres décalages observés : "des plantes que l'on voit fleurir au printemps et l'automne, ou fleurir deux fois". "C'est connu déjà depuis le 15e siècle", poursuit-il.
À l'heure où l'automne devrait réduire la végétation, les plantes "poussent comme au printemps". "Ça veut dire qu'on va très clairement vers un climat subtropical, petit à petit". Une évolution végétale que la Terre a connue depuis des millions d'années, mais qui s'accélère à trop grande vitesse.
Ces variations de températures peuvent aussi perturber les professionnels du végétal. Les cultures dites industrielles seront malheureusement très mal adaptées à ce type d'évolution, estime Jean Thoby.
On ne peut pas bouturer, tailler, soigner les plantes selon un "calendrier Excel".
Jean Thoby pépiniériste,à rédaction web France 3 Aquitaine
A contrario, poursuit-il, les petites entreprises, "moins de 10 personnes globalement", auront plus de facilité pour changer le programme et rester en adéquation avec la réaction de la plante à l'évolution climatique. L'adaptation, mais aussi le choix de culture, d'engrais, de pesticides jouent un rôle majeur selon lui.
Pas de molécules de synthèse
"Nous, on cultive sans aucune molécule de synthèse. Quand on met une molécule chimique sur une plante, c'est comme de l'alcool pour nous. Si je vous fais boire, je suis à peu près sûr que vous n'allez pas garder vos capacités cognitives". C'est pareil pour la plante avec des molécules de synthèse : "elle ne sait plus gérer les champignons, les insectes, les bactéries, etc." Un message qui, selon lui, commence timidement à être entendu.
Une plante qui est boostée, accompagnée, engraissée, pour l'élevage, est, bien sûr, beaucoup moins résiliente qu'un végétal qui est dans la forêt.
Jean ThobyRédaction web France 3 Aquitaine
"On a tellement oublié que la plante était vivante ! " soupire le professionnel, qui souhaiterait que l'Etat et les coopératives accompagnent positivement les choix de culture innovants de certains paysans. Comme l'initiative de son voisin, en Chalosse donc, qui a planté du sorgo, du quinoa. "Il a raison. Mais il me dit que ça ne marche pas parce que la coopérative ne le prend pas. Donc, en fait, on a un problème politique".
"Alors, moi, je fais peut-être un peu fort là-dedans, mais je dirais qu'on est complètement déconnectés de la réalité du végétal. L'évolution climatique, elle est ce qu'elle est, mais on est obligé de faire avec et pas contre", résume-t-il.