L’eau, ce bien précieux, se fait rare. Elle devient de plus en plus le cœur de nombreuses tensions, comme autour des “méga-bassines” dans les Deux-Sèvres. Le conflit d’usage avec les activités agricoles en est principalement l’origine. C’est notamment le cas dans le Lot-et-Garonne avec le lac de Caussade qui, en quelques années, est devenu l’épicentre d’une polémique grandissante.
Il s’étend sur près de 20 hectares. Avec une profondeur de 12 mètres et une capacité de 920 000 mètres cubes, soit l’équivalent de 250 piscines olympiques, le lac de Caussade irrigue une trentaine d’exploitations agricoles.
Edwin Dumon cultive du blé et du colza. Désormais, il utilise l’eau stockée pour exploiter de nouvelles espèces. "Maintenant, je peux mettre du soja, du tournesol semence, de la betterave et du maïs, des cultures gourmandes en eau", affirme-t-il. Pour un kilogramme de maïs produit, pas moins de 1000 litres d’eau sont nécessaires, c’est deux fois plus que pour un kilogramme de blé.
Maintenant, je peux mettre du soja, du tournesol semence, de la betterave et du maïs, des cultures gourmandes en eau.
Edwin Dumon, céréalierFrance 3 Nouvelle-Aquitaine
Garantir les récoltes
La construction de cette immense retenue d’eau ne date pas d’hier et dès le début, elle crée la polémique. Débutée en 2018 avec l’accord de la préfecture, elle devient rapidement interdite par celle-ci. Mais le terrain appartenant à la Chambre d’Agriculture, les agriculteurs décident de poursuivre le chantier, en totale illégalité. Un barrage est installé dans la rivière avoisinante. Pour eux, ce bassin artificiel représente la garantie d’avoir des récoltes correctes malgré les aléas climatiques.
Un constat que partage, en demi-teinte, Jean-François Berthoumieu, climatologue et spécialiste des questions de l’irrigation à Agen : "Il est indispensable de créer des ressources en eau pour l’été. Pour le lac de Caussade, j’aurais aimé qu’il soit équipé d’un bassin de décantation en amont, pour que l’eau en aval, soit de meilleure qualité."
La spoliation d’un bien commun
Les associations écologistes montent alors au créneau et poursuivent l'État en justice pour inaction. Le barrage détruirait le ruisseau ainsi que toute la faune et la flore qui s’y trouvait. En plus de ne pas respecter le schéma départemental de l’aménagement et de la gestion des eaux, le lac de Caussade assècherait durablement le territoire. Le stockage, privant les sols d’eau, les empêcheraient de se régénérer. Pour Pierre Salane, président de la Sepanlog, une association de protection de la nature locale : "C’est une hérésie globale de refaire des nouvelles retenues d’eau ! Il y en a déjà énormément dans le Lot-et-Garonne, entre 5 000 et 7 000, rendons-les fonctionnelles. l'État est en difficulté car localement, les syndicats agricoles sont puissants."
C’est une hérésie globale de refaire des nouvelles retenues d’eau ! Il y en a déjà énormément dans le Lot-et-Garonne, entre 5 000 et 7 000, rendons-les fonctionnelles.
Pierre Salane, président de la Sepanlog, une association de protection de la nature du Lot-et-GaronneFrance 3 Nouvelle-Aquitaine
Une saga judiciaire
Débute alors une véritable bataille judiciaire opposant les associations écologistes aux cultivateurs. En mai 2021, France Nature Environnement porte plainte contre la Chambre d’Agriculture pour recel de l’eau. Les associations réclament la remise du site en son état originel. Puis le dossier prend un tournant pénal en 2022 avec la condamnation en appel de Serge Bousquet-Cassagne et Patrick Franken, président et vice-président de la Chambre d’Agriculture. Ils échappent à l’incarcération avec une peine de dix mois de prison avec sursis, assortis d’une période probatoire de dix-huit mois. Des centaines de soutiens les attendaient à la sortie de la cour d’appel d’Agen.
"C’est la première fois que des dirigeants d’une Chambre d'Agriculture sont condamnés à une peine pénale. Ils ont été reconnus comme des délinquants environnementaux", se réjouit Lionel Feuillas, coprésident de la Sepanlog. Les associations écologistes ne lâchent rien. Dans une requête déposée le 3 février 2023 devant le tribunal administratif de Bordeaux, elles réclament la réparation de leur préjudice moral et écologique.
Les tensions, bordant le lac de Caussade, ne sont pas prêtes de s’apaiser.