Au Pays basque, à Mauléon, les sandaliers ont fabriqué des milliers d'espadrilles pour la saison estivale. Mais la crise sanitaire du Covid-19 a empêché le début des ventes, mettant en péril une économie locale et artisanale
Selon Timothée Cangrand, "c'est foutu, pour la collection 2020". Ce jeune sandalier, fabricant d'espadrilles artisanales, à Mauléon, a perdu tout espoir de vendre, totalement, sa production de l'été prochain. Il représente la quatrième génération de la marque "Don Quichosse". Avec l'aide de son père, il a renouvelé les créations, tout en préservant la tradition, notamment du "cousu-main" (ndlr : l'atelier est labellisé Entreprise du Patrimoine Vivant).
A cette époque, je devrais déjà être en train de travailler sur la saison 2021. Mais c'est impossible !
J'ai trop d'espadrilles à écouler, pour cette année: déjà 8000 paires "classiques" sont en stock. Elles auraient du partir, par exemple, dans notre nouvelle boutique d'Ossès, qui devait démarrer l'activité, en avril. Mais tout est à l'arrêt. Je ne sais même pas si elle sera ouverte cet été. Je vais renoncer à employer la vendeuse, recrutée.
C'est vraiment l'inconnu. J'ai du contracter un crédit pour avoir un peu de trésorerie. Des visites touristiques de l'atelier, et de la boutique attenante, étaient programmées. Elles ont été annulées. Je n'ai pas pu livrer, non plus, les espadrilles que je fabrique en sous-traitance pour des clients, 800 par exemple, sont en attente d'expédition. 300 devaient partir pour une marque très tendance. Je ne sais pas si elles pourront être commercialisées.
Autre inquiétude, pour le jeune entrepreneur, le marché international. "J'exporte au Japon; et j'avais une commande test de 300 paires pour la Corée", précise Titmothée Cangrand "Mais tout cela est suspendu".
Reconversion de circonstance
Le site internet de la marque permet, cependant, de garder le lien avec les clients particuliers. "J'ai mis quelques modèles en ligne, et je peux les customiser en fonction de mon stock de tissus et les expédier", détaille Timothée.Et puis, il y a une reconversion de circonstance : l'atelier fabrique désormais des masques. "1000 ont été produits gratuitement, en mars, pour l'EHPAD de Mauléon, les soignants, les postiers, les gendarmes" raconte le sandalier.
Maintenant, je peux en fournir aux entreprises, à un tarif de 3,50 Euros hors taxes, par pièce. La seule difficulté est d'avoir de quoi coudre ! Du tissu, j'en ai en réserve. Mais trouver l'élastique adéquat, c'est compliqué ... et cher. Comme tout le monde en veut, les fournisseurs ont augmenté le prix de 0,17 centimes à 1 Euro le mètre !.
2000 paires d'espadrilles dans son garage
Audrey Hasperue, elle, ne fabrique pas des espadrilles. Mais elle imagine les motifs des toiles, et commercialise les collections d'"Arsène espadrilles", entreprise qu'elle a co-fondé, et qu'elle dirige seule désormais.Pour la production, cette Souletine travaille avec le réputé atelier Megam, de Mauléon, sous-traitant de plusieurs enseignes "made in Pays basque".
La collection était prête début mars, pour être livrée quinze jours plus tard aux revendeurs, dans toute la France. Mais à la mi-mars, le confinement a débuté... et un seul revendeur sur vingt a reçu les colis. Je me retrouve avec deux milles paires d'espadrilles dans mon garage!". Ce mois-ci, Audrey a vendu dix fois moins d'espadrilles, qu'à la même époque, en 2019.
Pour elle, la situation financière est critique : "C'est une grosse partie de mon chiffre d'affaires, qui n'est pas rentrée. Le fabricant attend que je paye sa production. Je ne sais pas comment je vais faire. Comme tous les entrepreneurs indépendants, qui ont perdu plus de 50% de leur chiffre d'affaires en mars, par rapport à 2019, j'ai perçu, la prime de l'Etat de 1500 Euros. Mais ça ne suffira pas. Ce qui me fait peur, c'est l'après-crise. Y-aura-t-il d'autres aides ? Est-ce que les revendeurs vont maintenir leurs commandes ? Vont-ils pouvoir les régler, et ouvrir leurs boutiques pour les vendre ? Ce sont souvent des petites échoppes multi-marques, ou de créateurs, très précaires, financièrement aussi".
Modèles intemporels
Audrey Hasperue, a le sentiment d'être "dans l'orage, avant la tempête". Alors, depuis début avril, elle a remis le site internet de la marque, à jour, et a constaté de nouvelles commandes. "En mars, personne n'avait la tête à acheter des espadrilles. Là, avec la météo favorable, ça démarre un peu", explique-t-elle. Et puis, maintenant, je peux expédier des colis, même en Ile-de-France. J'ai trouvé une épicerie-point de relais Chronopost. La Poste, à côté de chez moi, est fermée, ce qui ne m'a pas aidée.
Les clientes du Pays basque, fidèles de la marque, ont témoigné leur soutien à Audrey.
Cela fait du bien moralement. Habituellement, mi-mai, j'ai écoulé une grosse partie de mon stock. Ce ne sera sans doute pas le cas cette année. Je devrais aussi, être en train de créer pour 2021. Mais je ne pense pas imaginer plus de deux ou trois nouveautés, car l'année prochaine, j'aurai probablement encore des espadrilles invendues. La chance, c'est que ce sont des modèles intemporels. La collection 2020, est très sympa, c'est dommage qu'elle soit si peu vue...
Il y a, à Mauléon, cinq ateliers qui produisent encore artisanalement, 80% de la fabrication française d'espadrilles.