"Les prix des logements, ça fait peur" : pour les lycéens ruraux, les barrières à l'entrée des études en ville

A l'heure où Parcoursup livre ses premiers résultats, l'association "Du Pays basque aux grandes écoles" tente de casser le plafond de verre en informant et en accompagnant les jeunes qui n'habitent pas dans les grandes villes.

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Pour Amaia, cette année de terminale est celle des dilemmes. La lycéenne, originaire d'Anglet près de Bayonne, souhaite "passer Sciences Po". Mais pour les différents concours, elle doit débourser entre 100 et 200€ à chaque fois. "Il fallait payer juste pour pouvoir postuler, j'étais obligée de me demander :  à quoi ça sert de m'inscrire si c'est pour gaspiller de l'argent ? Est-ce que j'ai une chance d'être prise ?"  La jeune fille doute. Sur le site de Parcoursup, un chiffre l'obsède : 4%. Le taux de réussite pour les instituts d'études politiques (IEP).

En venant de Bayonne, on se dit que les grandes écoles, c'est pas pour nous. 

Amaia, 19 ans

France 3 Aquitaine rédaction WEB

Et il n'y a pas que le prix des concours qui l'inquiète. Avec un père menuisier et une mère hôtesse d'accueil, Amaia sait que le coût d'un appartement pèserait sur le budget serré de sa famille. "Je suis boursière donc quand on voit les prix des logements, ça fait peur."

Alors que les résultats Parcoursup tombent depuis le 1er juin, les affectations n'auront pas les mêmes conséquences pour tous. Pour les lycéens qui n'habitent pas à proximité d'une grande ville, faire des études à l'université, ou dans une grande école veut toujours dire déménager. "Alors que si vous habitez à Bordeaux, vous pouvez vivre chez vos parents, ce n'est pas le même investissement", illustre Clément Reversé, sociologue de la jeunesse et de la ruralité. 

Notre modèle repose beaucoup sur la solidarité familiale, ce qui recrée des inégalités.

Clément Reversé, sociologue au centre Emile Durkheim à Bordeaux

France 3 Aquitaine, rédaction WEB

6 000 euros pour financer son départ

Femme de ménage dans un hôtel, vendeuse dans un magasin de bricolage, prof de math... Depuis ses 16 ans, Amaia travaille les week-ends et pendant les vacances "pour alléger ses parents". Elle compte continuer l'année prochaine en parallèle de son cursus. "On sait qu'un jeune qui travaille à côté a moins de chance de réussir ses études, explique Clément Reversé. Ça vient renforcer un sentiment très prenant chez cette jeunesse : entre la colère, la résignation et l'angoisse." 

Amaia a fini par passer le concours de l'IEP de Paris, et celui de Bordeaux, poussée par l'association "Du Pays basque aux grandes écoles", qui souhaite "combattre le retard des jeunes du Pays basque dans l’accès à l’enseignement supérieur". Elle a même gagné la bourse de l'association, et recevra 6 000 euros sur deux ans, pour financer ses études. "Ça me tranquillise dans mon départ, se réjouit la jeune fille. Au moins pour les premières années, je sais que je n'en demanderai pas trop à mes parents." 

Manque de confiance et d'information 

Tous n'ont pas cette chance, et face aux coûts des études, certains lycéens en zone rurale renoncent même à postuler dans certaines filières. Mais l'aspect financier n'est pas la seule explication. Margot Lecoeur, co-présidente de l'association "Du Pays basque aux grandes écoles", se souvient de l'histoire d'un élève de terminale, accepté en classe préparatoire à Louis le Grand [lycée parisien considéré comme prestigieux]. "Il nous a contactés pour savoir s'il ne devait pas plutôt aller en prépa à Bayonne, il ne se sentait pas légitime", se rappelle-t-elle. "Notre rôle, c'est de lui dire qu'il est tout à fait capable d'aller à l'un comme à l'autre, qu'il doit faire selon ses ambitions."

Selon la présidente de l'association, de nombreux lycéens craignent d'être en décalage avec les élèves des grands lycées parisiens. Lors de ses nombreuses interventions dans les établissements scolaires, elle constate aussi un manque criant d'information. "Souvent, ils ne connaissent pas les grandes écoles, ou les classes prépa, ou alors ils s'entendent dire que ce n'est pas fait pour eux", regrette-t-elle. 

Amaia a bénéficié de l'accompagnement de l'association. "Ils m'ont renvoyé vers des étudiants qui m'ont expliqué ce que c'était vraiment sciences po, si on n'a pas de contacts directs, on se lance dans l'inconnu", témoigne la lycéenne. La structure a été créée il y a dix ans au Pays basque. "Il y a cette solidarité importante entre Basques, on le voit dans la diaspora, c'est aussi ce qui fait la spécificité du territoire", estime Margot Lecoeur. 

Depuis, l'association a essaimé dans toute la France, et dispose d'antennes dans le Béarn, dans le Lot-et-Garonne, ou dans la Creuse. "Ça a très bien pris dans ces territoires où il y a un vrai besoin, ou dans les départements où il n'y a pas d'université ou de centre de formation au-delà de bac+2", explique Margot Lecoeur.

"La réussite, c'est pouvoir faire ce que l'on souhaite"

Attention toutefois à ne pas véhiculer qu'une seule image de la réussite. "L'immobilisme est très critiqué par la société, ça pose problème quand un jeune rural ne veut pas quitter son village, mais pas quand un Parisien veut rester à Paris", note le sociologue Clément Reversé. De ses recherches en Nouvelle-Aquitaine, il conclut que les jeunes ruraux ont souvent un rapport à l'emploi plus direct et logique, et vont choisir une formation en fonction du monde du travail connu grâce à leur entourage. 

Quitter son village n'est pas forcément synonyme de réussite, comme y rester n'est pas un échec. L'association "du Pays basque aux grandes écoles" partage ce constat : "La réussite, c'est pouvoir faire ce que l'on souhaite, nous, on essaie de pousser ceux qui voudraient aller vers ces parcours d'études supérieures à aller chercher la meilleure formation", explique Margot Lecoeur. 

L'éloignement, un coût émotionnel 

Sans information sur les cursus existants ou sans être rassurés sur leurs capacités, certains renonceront à postuler dans des filières exigeantes et sélectives. Et selon Clément Reversé, Parcoursup a renforcé ces inégalités. "La charge mentale, le stress que génère Parcoursup peut renforcer le non-choix d'aller faire des études, explique le chercheur. Parfois, ayant tellement peur de ne rien avoir, ils choisissent des formations qui paraissent accessibles plutôt que des choses qui leur plaisent réellement."

Pour expliquer que de jeunes ruraux délaissent les études longues et les grandes écoles - alors même qu'ils ont de meilleurs résultats que les citadins à l'entrée au collège - Clément Reversé insiste aussi sur la peur de l'éloignement. Il faut bien souvent quitter famille et amis. "Le fait de devoir partir pour faire des études va avoir beaucoup plus de poids sur leur vécu, comparé à des jeunes urbains, ça a un vrai coup émotionnel et relationnel." D'autant qu'il est bien souvent difficile de revenir. 

Partir pour mieux revenir ? 

Créer les conditions d'un retour des jeunes diplômés dans leur département, c'est la deuxième mission que s'est donnée l'association "du Pays basque aux grandes écoles". "Notre philosophie, c'est de dire aux jeunes 'partez, en attendant, on va faire en sorte que vous puissiez exercer votre métier ici plus tard' ", assure Margot Lecoeur. Pour cela, elle explique créer des liens avec les entrepreneurs, les chambres de commerce, les patrons du Pays basque. "On ne veut pas appauvrir nos territoires, on essaie de faire en sorte que les jeunes diplômés puissent revenir." Une option qui plairait bien à Amaia. La jeune femme, qui a finalement été acceptée à Sciences Po, se voit d'abord travailler à l'international, puis rentrer à Bayonne. "C'est une région que j'adore, bien sûr j'ai envie de revenir."

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