Les stations de ski doivent repenser leur modèle face au réchauffement climatique, alerte la Cour des comptes. Seules quelques stations pourraient espérer poursuivre une exploitation après 2050. Les stations de moyenne altitude, dont celles en Béarn, sont jugées très vulnérables.
Des pentes verdoyantes, des températures printanières... À quelques jours des vacances d'hiver, difficile de s'imaginer sur des skis dans les semaines à venir. Et à quelques jours de cette période cruciale pour l'économie des stations d'altitude, le rapport de la plus haute juridiction française paru ce 6 février jette un froid.
Dans un contexte de changement climatique, "le modèle économique du ski français s'essouffle", écrit la Cour des comptes, qui demande aux stations de s'adapter. Sans cela, seulement quelques-unes pourraient espérer poursuivre une exploitation après 2050, alerte ce rapport fleuve de 147 pages.
Un enjeu majeur, alors que la France est aujourd'hui une grande destination pour le tourisme hivernal : avec 53,9 millions de journées-skieur, elle se classe au 2ᵉ rang mondial, après les États-Unis.
Recours excessif aux canons à neige
Dans ce document intitulé "les stations de montagne face au changement climatique", la Cour des comptes passe au crible le modèle actuel, hérité des années 60 et 70. Elle pointe notamment l'absence de véritables diversifications des activités ou un recours excessif aux canons à neige, une technologie jugée énergivore et à risque pour les réserves en eau. Le rapport s'inquiète aussi d'"une planification écologique de l'État peu opérationnelle pour le secteur touristique en montagne (...) qui ne permet pas d'impulser une réelle dynamique de changement".
"Sans redéploiement financier, la crise sera forte"
L'universitaire Vincent Vlès est l'un des spécialistes de l'écosystème montagnard auditionné par la Cour des comptes pour établir son rapport. Professeur émérite des universités en aménagement et urbanisme à Toulouse 2, il explique que les stations pyrénéennes, et en premier lieu celles de moyenne altitude comme en Béarn, doivent rapidement changer leur modèle.
"Les projets actuels d'investissements tournent toujours autour d'un modèle basé sur la neige. Mais d'ici à 15 ou 20 ans, il n'y en aura plus suffisamment pour rendre viable l'exploitation des domaines skiables et donc le remboursement des emprunts qui financent l'aménagement des stations."
L'écosystème des montagnes, c'est un jeu de dominos : si un secteur économique tombe, tout s'effondre".
Vincent VlèsUniversitaire spécialiste en aménagement et urbanisme
Pour l'universitaire, il n'est pas encore trop tard pour agir, mais le temps presse, car le chantier est pharaonique.
"Il ne faut plus investir de l'argent public, celui des impôts de nos concitoyens, à fonds perdus. Il faut réorienter ces aides pour les populations locales, afin de maintenir d'autres activités en montagne. Sans redéploiement, la crise sera forte.", alerte-t-il.
Nous avons la chance d'avoir une palette d'activités variées et un patrimoine riche dans les Pyrénées béarnaises. Il faut les exploiter. Mais il faut le faire maintenant !
Vincent VlèsUniversitaire spécialiste en aménagement et urbanisme
À Gourette, pas de neige fraiche depuis début janvier
La Cour des comptes a établi un indice de vulnérabilité face au changement climatique sur 163 stations françaises. Les trois stations béarnaises du massif pyrénéen apparaissent particulièrement exposées au risque.
La douceur printanière de ce début février à l'ouest des Pyrénées joue déjà les troubles fêtes. La station d'Artouste est contrainte de fermer provisoirement sa station : pas assez de neige. La station a fait le choix de ne pas utiliser de canon à neige, pour économiser l'eau et l'électricité.
La Pierre-Saint-Martin affiche 30 cm de neige en haut des pistes, 10 cm en bas. Et à Gourette, seulement 30 % du domaine skiable reste accessible. Les dernières chutes de neige remontent à début janvier. Un mois, déjà. Mais le damage adapté des pistes et la neige de culture assurent le fonctionnement du domaine, explique Jean-François Esquerre.
Le directeur de la station familiale de Gourette est bien conscient de l'impact du changement climatique sur l'activité future. D'importants travaux d'aménagements du domaine skiable, déjà engagés avec le financement du Département, visent à remonter le front de neige à 1 600 mètres d'altitude pour sécuriser la poursuite de l'activité.
"Toutes les options sont envisagées. Je pense qu'il y a encore quelques saisons à faire. Il y a bien sûr toutes les activités d'été qui sont dans les cartons, si les conditions ne permettent plus de skier en parties basses de la station.", confie Jean-François Esquerre.
La clientèle d'hiver vient chercher la neige, pas les activités d'été !
Jean-François Esquerre, directeur de la station de GouretteFrance 3 Aquitaine
Il admet aussi que les activités d'été ne suffiront pas à maintenir l'activité économique : "Pour les années à venir, la transition se fera aussi avec du ski pour la financer."
"Le modèle des années 60 ne fonctionne plus"
Cette transition douce, Vincent Vlès ne l'imagine pas. "Le modèle actuel des stations, comme à Gourette, fonctionne quand le climat est stable et plus froid, que l'énergie est peu chère et que les mobilités sont moins onéreuses, surtout avec une clientèle de proximité qui se déplace en voiture. Ce n'est plus le cas aujourd'hui. Et dans un proche avenir, l'exploitation des stations ne sera plus rentable", explique l'universitaire.
Et d'ajouter : "L'immobilier dans les stations est tout aussi problématique : la rénovation énergétique des logements sera un gouffre financier. Et quel intérêt auraient des propriétaires à rénover leur résidence secondaire si l'activité hivernale ralentit ou s'interrompt ?"
Un niveau de neige "historiquement bas" dans les Pyrénées
Au moment où ce rapport inquiétant de la Cour des comptes sur l'avenir de nos stations d'altitude est publié, Météo France alerte sur le niveau de la neige dans les Pyrénées.
Celui-ci n'a pas été aussi bas depuis 24 ans, même au-delà de 2 000 mètres d'altitude. Mais la fonte reste très superficielle dans les versants à l’ombre et même sur le plat, le soleil encore rasant est peu efficace. "Au Pic du Midi, à 2 880 mètres d'altitude, il n’a pas gelé pendant six jours consécutifs, un événement très rare au cœur de l’hiver", précise Météo France qui met en ligne des observations satellites comparatives sur un an.
Depuis le début de l'hiver, les épisodes neigeux significatifs ont été peu nombreux, commente Météo France, et trop souvent suivis de redoux pluvieux à haute altitude.
Quelles actions prioritaires selon la Cour des comptes ?
Au fil des 147 pages de son rapport et de l'audit d'une quarantaine de stations, la plus haute juridiction française multiplie les propositions pour adapter le modèle actuel des stations au changement climatique.
La cour préconise notamment de conditionner tout soutien public à l’investissement dans les stations au contenu des plans d’adaptation au changement climatique. Ou encore, à l’instar des grands pays du ski, elle souhaite que la France déploie une organisation fédérant l’ensemble des acteurs concernés, collectivités, acteurs économiques privés, société civile, autour de projets de territoires et d’une gouvernance élargie. Ce qui permettrait de préserver les ressources et de valoriser les espaces naturels.
La Cour des comptes évoque aussi la possibilité de faire payer davantage les skieurs pour prendre en compte les investissements que nécessite ce réchauffement climatique.
Le rapport n'a pas été très ben perçu par les professionnels du ski. Selon l'organisation d'exploitants domaines skiables de France et les associations nationales d'élus de la montagne et des maires de stations de montagne, ce rapport "minimise de manière importante l'effort d'adaptation des stations engagé depuis de nombreuses années", expliquent-elles dans un communiqué commun.
Des efforts qui devront être accélérés, rappelle l'universitaire Vincent Vlès. Selon les prévisions des experts climatiques du GIEC, à horizon 2050, l’enneigement sera réduit de plusieurs semaines et le manteau neigeux aura perdu 10 à 40% de son épaisseur, en moyenne montagne.