Témoignage. "Tout était glauque, là-bas" : 43 nouvelles plaintes pour violences et abus sexuels au lycée Notre-Dame de Bétharram

Publié le Écrit par Catherine Bouvet et Elise Daycard
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Il a décidé de ne plus se taire. Un ancien élève raconte à France 3 Aquitaine le quotidien au sein de l'institution de Lestelle-Bétharram en 1987. Ce 23 avril, sa plainte rejoint les 42 autres dossiers qui viennent d'être déposés au parquet de Pau pour violences et agressions sexuelles, sévices corporels et psychologiques quotidiens. Avec cette troisième vague de plaintes, 76 dossiers d'anciens élèves ont été déposés à ce jour.

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Ils ont chacun leur histoire et pourtant, c'est un peu le même schéma qui est décrit par ces anciens élèves de Notre-Dame-de Bétharram. L'institution catholique était réputée, à l'époque, pour ses "résultats" auprès de jeunes garçons au profil scolaire dit "difficile".

À 52 ans, cet ancien élève que nous appellerons "Olivier" a décidé, lui aussi, de porter plainte et de témoigner de façon anonyme "par rapport à tout ce qu'on a subi". Aussi parce qu'aujourd'hui, il est devenu père et grand-père. "Je n'ai pas envie que ça leur arrive... Tous ces détraqués. Il doit y en avoir encore dans les écoles, des salopards, des malades..."

Régime militaire, punitions et douche froide

En 1987, après deux redoublements, Olivier entre en 6ᵉ à Bétharram. Interne pendant une année, il raconte avoir vu et subi de nombreux sévices. Dès le premier jour, il explique voir ressenti la tension, la violence. 

On sait qu'on va devoir se tenir à carreaux. On sent la violence. Des punitions. On voit des gens sur le perron, à genoux...

Olivier

Ancien élève

Dès lors, le récit du quotidien est émaillé de règles strictes, de brimades, de sévices, "il y a des claques qui partent. Le dimanche soir, on n'a pas envie d'y aller. On n'a pas envie de prendre ce bus, retrouver le rythme militaire, le non-respect, une douche par semaine..."

Justement l'hygiène, la douche en particulier est encore citée par cet élève. Une par semaine, à l'eau froide, qui devait durer trois minutes.

La personne qui s'en occupait arrêtait à deux minutes trente. Il fallait qu'on montre qu'on avait encore du shampoing, mais le regard ne portait pas que sur notre tête, mais sur nos parties...

Olivier

Ancien élève

"J'avais décidé de ne plus me laver", explique Olivier. C'était sa stratégie d'évitement.

Côté scolaire, il dit avoir "plongé". "On n'arrivait pas à travailler tellement on était traumatisé. Qu'est-ce qui va se passer demain ? Ce soir ? Et même : qu'est-ce qu'on va manger ? C'était pitoyable !" Et Olivier de décrire les règles en vigueur : si tu ne mangeais pas le premier jour, le plat était resservi, le lendemain et le surlendemain... 

"Tout était glauque, là-bas", se souvient-il quand il repense aux photos récoltées par les anciens sur la page Facebook. Des douches, des dortoirs... "ça fout les frissons quand tu revois tout ça !"

"Sur le bureau, il s'est frotté sur moi"

Le pire pour lui ? Quand, après une punition pour une broutille, du linge mal rangé par exemple, il est envoyé dehors, comme c'était la règle. "Tu vas dehors, à l'extérieur du dortoir, à genoux, au froid. Et on attend qu'on dise de sortir de là". Ensuite ? Soit, vous rentriez directement au dortoir, "soit vous alliez au bureau" d'un surveillant. Il pouvait être 22-23 heures.

La scène semble très présente encore aujourd'hui dans l'esprit d'Olivier qui poursuit son témoignage, parlant des habitudes d'un surveillant. "Il m'a mis sur le bureau, les jambes écartées. En gros, il se frottait sur moi !"

Il décrit ensuite les claques qui pleuvent "pour essayer de m'intimider". "Franchement, c'est violent. C'est très violent !" Ce jour-là, il affirme avoir répondu avec "quelques coups" avant de retourner au dortoir. "Je me suis toujours défendu. J'étais teigneux".

Ne plus se taire et "avancer"

S'il porte plainte aujourd'hui, c'est pour pouvoir "avancer", comme pour "exorciser, ne pas garder ça à l'intérieur", même si "ça prend aux tripes de commencer à le faire !Il s'agit aussi de témoigner du quotidien vécu par les enfants, toutes ces années, dans cet internat : "ce n'est pas du tout normal !" On le sent, le quinquagénaire reste très marqué par cet épisode, même s'il dit ne pas avoir "subi le pire", comme, peut-être, certains de ses camarades.

Durant cette période, il n'a rien pu confier à ses parents. Ces derniers comprenaient bien qu'il n'avait pas envie de retourner à l'internat, mais sans connaître ses conditions de vie derrière l'enceinte de l'institution. "Quand on est là-bas, on est redoublant, on n'a pas envie d'en parler. On se dit, c'est peut-être ma faute ? Je travaille mal, je mérite ces humiliations ".

Le nombre des victimes supposées est-il sous-estimé ? La parole se libère pour les anciens de Bétharram, surtout depuis la création, en octobre 2023, d'un groupe Facebook par un ancien élève, Alain Esquerre Les anciens du collège et lycée de Bétharram, victimes de l'institution, ainsi qu’une boîte mail dédiée pour recueillir les témoignages.

Notre-Dame de Bétharram, rebaptisé le Beau Rameau, est un établissement catholique qui a toujours bénéficié d'une réputation d'enseignement à la dure, mais d'excellence. En 2000, un scandale de viols sur mineurs mettant en cause l'abbé Carricart se conclut par le suicide de ce dernier. Depuis, plus rien jusqu'au mois d'octobre 2023, avec une première vague de plaintes.

76 plaintes pour violences et abus sexuels

Ce 23 avril, 76 plaintes sont sur le bureau du procureur de la République de Pau. Un dossier porté par Alain Esquerre, déjà à l'initiative de la page Facebook des anciens élèves victimes. Parmi les 43 dernières plaintes, 23 affaires comportent un caractère sexuel. Selon lui, nous ne sommes qu'au "début du scandale de Bétharram", car l'établissement "aurait dû être suivi suite aux premières agressions, il ne l'a pas été".

Ces plaintes sont d'abord des violences extrêmement dures portées sur des enfants de 8 à 13 ans. "Des tabassages en série, moi-même, j'en avais été victime" détaille-t-il, "des étranglements jusqu'à l'évanouissement, cette punition du perron avec des dizaines et dizaines d'enfants qui passent dehors une partie de la nuit", mais aussi "des piqûres à eau faites par un surveillant général qui sont des jeux érotiques et des attouchements sexuels à grande ampleur..."

Le témoignage de notre équipe de reportage : 

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Depuis le début de l’année 2024, 76 plaintes ont été transmises au procureur de la République de Pau, dont 38 pour des agressions sexuelles, selon le collectif de victimes anciennement scolarisées dans cet établissement privé catholique. ©France 3 Pau Sud Aquitaine

Les faits décrits par Olivier et ses camarades se seraient déroulés et auraient perduré pendant près de trente ans, entre les années 70 et 2000. Malgré les années et le risque de prescription, le collectif espère que la justice enquêtera.

Notre équipe de reportage n'est pas parvenue à joindre l'institution. Contactée à plusieurs reprises, cette dernière n'a pas répondu à ses sollicitations à l'heure où nous publions ces lignes.

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