Témoignages. Ces détenus en fin de peine prennent la clé des champs

Publié le Écrit par Morgane Jacob

Depuis janvier, la ferme de Maisoncelle à Lusignan accueille des détenus en fin de peine pour travailler les champs. L’initiative, portée par le mouvement Emmaüs, permet à ces hommes de retrouver leur place dans la société après des années d’incarcération, en leur offrant une transition entre détention et liberté.

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Troquer les quatre murs de sa cellule contre le grand air des champs. Dans la ferme de Maisoncelle, six détenus achèvent leur peine de prison en pleine la campagne, entre travail de la terre et démarches de réinsertion. Dans ce havre de paix où seuls les oiseaux et quelques voitures au loin perturbent le calme, ces hommes trouvent un sas nécessaire entre leurs longues années d’incarcération et leur retour à la vie de citoyen libre. Certains sont là depuis janvier, d’autres seulement depuis la fin du mois d’août.

Entre la prison et ici, ça n’a rien à voir, c’est un bonheur total.

Rodolphe

Résident de Maisoncelle

Ce matin-là, deux d’entre eux récoltent les derniers haricots de la saison avant d’arracher les pieds afin de planter d’autres légumes. Sous une serre voisine, un autre nettoie une très longue bâche au jet d’eau. De là, on aperçoit un quatrième homme sur un tracteur qui libère un épais nuage de poussière.

Un entre-deux bénéfique

La ferme de Maisoncelle propose un mode d’aménagement de peine qui combine le travail et le logement, permettant ainsi aux personnes incarcérées de quitter pour de bon la prison avant de retrouver la liberté. Portée par le mouvement Emmaüs et l’association A l’air libre, elle s’inspire de la ferme de Moyembrie, fondée il y a plus de vingt ans dans l’Aisne.

À Maisoncelle, le séjour des résidents dure entre 6 et 18 mois, afin de leur permettre de prendre le temps de réfléchir à l’après pour construire un projet et éviter la récidive. Il s’agit d’une alternative à ce qu’on appelle une “sortie sèche”. “La sortie en général c’est un truc brutal, il faut avoir en tête qu’il y a beaucoup de détenus, en particulier parmi les publics longue peine, qui ont très peur de la sortie, parce que peur de ne pas avoir de solution, de ne pas savoir ce qui va se passer derrière”, explique Bruno Vautherin, fondateur et directeur de la ferme de Maisoncelle. “C’est aussi parce qu’ils ont pris des routines en détention, des habitudes de vie, ils ont créé du lien social à l’intérieur avec des codétenus, des surveillants, et il y a l’angoisse de devoir tout reconstruire derrière."

Dans les fermes, on propose la possibilité de travailler sur l’ensemble des problématiques qu’on rencontre quand on est en détention, et aussi de prendre le temps.

Bruno Vautherin

Fondateur et directeur de la ferme de Maisoncelle

Le directeur de la structure estime qu’une sortie de prison, après une longue peine de surcroît, peut être un “cocktail explosif” si elle n’est pas suffisamment préparée. Selon lui, les moyens mis à disposition des détenus sont limités, et donc insuffisants pour garantir une sortie bien organisée, l’une des conditions principales pour éviter la récidive : “Ce sont des gens qui ont déjà été en difficulté, qui ont déjà commis des actes délictueux, criminels, etc., et qui du coup vont se retrouver sans ressources et en difficultés par rapport à plein de problématiques sociales à la sortie.”

Certains des détenus accueillis à la ferme ont passé près de deux décennies derrière les barreaux. Pendant ce temps, le monde a changé. Rodolphe a passé 18 ans en prison avant de rejoindre la ferme : "Quand on a fait une longue peine, on n’est plus au courant de rien, on a perdu les repères de la société." Arrivé en janvier, il a pris conscience de toutes ces évolutions : "Quand vous avez besoin d’un conseil pour refaire des papiers, pour l’impôt, les papiers d’identité, c’est toujours mieux, d’avoir de l’aide de quelqu’un qui s’y connaît," souffle-t-il, "plutôt que vous, vous avez connu des anciennes lois, les lois ont changé, ce n’est plus la même chose. C’est tout numérisé, c’est encore pire."

Une sortie sèche vous êtes livrés à vous-mêmes, à moins de sortir millionnaire et d’avoir de l’argent devant soi parce qu’il faut payer le loyer, la nourriture, c’est toute une organisation.

Rodolphe

Résident de la ferme de Maisoncelle

Alors en plus de leur travail agricole, les résidents sont suivis par deux conseillères de probation et d'insertion, et accompagnées par l’équipe encadrante dans leurs démarches administratives ou leurs parcours de soins.

Pendant tout leur séjour à la ferme, ils touchent un salaire (le SMIC, au pro-rata de leurs 26 heures de travail hebdomadaires) et paient un petit loyer. Ainsi, ils reprennent le rythme de la vie hors des murs de prison.

La ferme de la seconde chance

À Maisoncelle, confiance et discrétion sont les maîtres-mots. La confiance, d’abord, se constate dès l’arrivée dans la ferme : aucun contrôle, ni barrière, les détenus en fin de peine sont libres d’aller et venir au-delà des quatre hectares qui composent le domaine. Pour cela, ils doivent simplement remplir un registre de sortie, et être présents sur le site entre 18h30 et 7h du matin.

Ici ça m’a surpris, le calme, un peu de liberté aussi, plus de liberté, l’accueil, le travail en groupe, c’est ça qui m’a plu.

Philippe

Ancien résident, désormais salarié de la ferme de Maisoncelle

“On n’est jamais en surveillance”, souligne Bruno Vautherin. “Ils sont hébergés, accueillis ici, ils travaillent ici, et nous, on n’est pas des surveillants, on est des encadrants, on est là pour faire fonctionner la ferme, la partie chantier d’insertion, le travail, mais ils sont adultes responsables, c’est à eux de respecter leurs obligations.” L’équipe de la ferme se réserve toutefois le droit de contacter le service pénitentiaire d’insertion et de probation (SPIP) s’ils constatent des faits anormaux. “Si la personne détenue s’écarte de ce qui est demandé, c’est sa responsabilité à elle.” Le directeur insiste toutefois sur le fait que collectivement, les résidents opèrent une sorte de régulation, veillant entre eux au respect des règles pour garantir le bon fonctionnement de la structure.

Autre principe capital : la discrétion. Nul détenu n’est tenu de partager son histoire, les raisons qui l’ont amené à l’incarcération. Aussi, les histoires personnelles de chacun peuvent être gardées secrètes, et seule la direction a connaissance de leur dossier. Les bénévoles qui interviennent dans la structure ne sont pas dans la confidence.

Pour Bruno Vautherin, les délits ou crimes des résidents n'entrent d'ailleurs pas en compte dans leur recrutement au sein de la structure. Il faut avant tout être apte au travail et ne pas avoir l'âge de la retraite, mais aussi être capable de vivre en collectivité. Le processus de sélection débute par une lettre de motivation du détenu, puis une rencontre en prison ou en visioconférence, et enfin une période d'immersion d'un ou deux jours dans la ferme.

Un métier pour croire en soi

L'intérêt pour le maraîchage est évidemment incontournable afin de rejoindre la ferme de Maisoncelle. L'envie de prendre part à ce projet collectif, et de s'intégrer dans le territoire est nécessaire. Rodolphe, par exemple, projette d'ouvrir un food-truck autour de Poitiers : "Le maraîchage, disons que c’est un truc que je connais un peu, mes arrière-grands-parents étaient maraîchers justement, j’ai mes grands-parents qui avaient des jardins grand modèle, j’ai de la famille qui est dans l’agriculture, mon métier de base c’est cuisinier, donc le rapport au produit, c’est bien de découvrir aussi l’association des deux, connaître comment le produit est fait."

Pour le fondateur du projet, le maraîchage comme activité professionnelle pour s'insérer ou se réinsérer dans la société, n'est pas un choix anodin. Au grand air, ils se "confrontent aux éléments" : "C'est intéressant par rapport à la perte de repères spatiotemporels quand on est en détention", affirme Bruno Vautherin. "Ici ils vont pouvoir le cycle des plantes, de la graine jusqu’à la récolte et la commercialisation."

On voit le fruit de son travail. Ça donne du sens.

Bruno Vautherin

Fondateur et directeur de la ferme de Maisoncelle

En suivant toutes ces étapes, en s'armant de patience le temps que les graines germent et deviennent des légumes commercialisables un jour, les résidents retrouvent des repères, mais aussi la confiance. Ils redécouvrent ainsi ce dont ils sont capables, et s'ouvrent à leur environnement direct à travers les échanges marchands de leur production. "Ça apporte une certaine fierté", sourit Rodolphe. "On est content de soi quand le client apprécie le produit, vous vous dites je n’ai pas travaillé pour rien, c’est une satisfaction."

La vie au-delà des murs

En rejoignant la ferme, c’est tout leur mode de vie carcéral que les détenus bousculent. Ils laissent derrière eux les horaires fixes de chaque activité quotidienne, le rythme chronométré des sorties, ou des parloirs. “En prison il n’y a pas d’autonomie, on nous dit à quelle heure manger, à quelle heure sortir, là c’est aussi reprendre un peu en main son rythme de vie, ses journées, son emploi du temps”, rappelle Aude Paulmier, encadrante en charge de la vie collective. “Il faut se lever tout seul le matin, prendre ses rendez-vous, on est là pour accompagner mais on ne fait pas à leur place.”

Après onze ans de détention, Marcel* se réadapte petit à petit. Il est arrivé à la fin du mois d'août, et il prend ses marques : "On n’a plus les règles de la prison, mais c’est vrai qu’on a des petites règles ici, le fait de pas sortir, de ne pas dépasser, d’être rentré à 18h30, de manger le midi... je suis toutes les règles." Il confie toutefois que depuis son arrivée, il a pris l'habitude de s'enfermer dans sa chambre le soir avant de se coucher : "C’est un réflexe, je ferme. D’habitude c’était le surveillant qui fermait mais là c’est moi qui ferme et je me dis que je suis en sécurité. On a des petits trucs comme ça qui sont très paradoxaux par rapport à la liberté et l’enfermement qu’on a subi." À 60 ans, il connaît parfois le vertige de cette nouvelle liberté, mais s'adapte progressivement : "Quand on sort d’un milieu fermé, ce n’est pas évident, on a un peu la tête qui tourne, quand on va dans des magasins comme Auchan à Poitiers, c’est vaste, il y a plein de monde, on est un petit perdu."

Dans le fonctionnement de Maisoncelle, tout est pensé pour rendre aux résidents autonomie et responsabilités. Les repas, par exemple, sont préparés chaque midi par un détenu et un membre de l'équipe, salarié ou bénévole. De cette manière, ils prennent part activement à la vie collective, au-delà de leur travail.

Vincent, bénévole à la ferme, a officié douze ans en tant qu'aumônier au centre pénitentiaire de Vivonne. Selon lui, cette étape et les responsabilités qu'elle comporte, sont capitales : "Beaucoup de paroles en prison, c’est ‘T’as le droit d’avoir ça, le droit d’avoir un avocat, de demander, de déposer plainte contre les surveillants, t’as le droit, t’as le droit, t’as le droit', et on n’entend pas beaucoup 't’as des devoirs', et la vie en communauté, la vie en société c’est beaucoup de devoirs."

Souvent ils ont l’impression qu’ils ont écrit “taulard” sur le front, il faut leur dire que non.

Aude Paulmier

Encadrante en charge de la vie collective

Tisser de nouveaux liens

Lorsqu'ils ne travaillent pas, les six résidents de Maisoncelle sont libres de choisir comment occuper leur temps. Ils peuvent donc sortir de la ferme, se rendre dans les trois communes voisines pour faire des courses par exemple, et certains ont trouvé une seconde activité : le bénévolat au sein de la recyclerie Mélusine, à Lusignan. Dans l'après-midi, trois d'entre eux enfourchent régulièrement leur vélo pour s'y rendre.

La recyclerie fait partie d'un tiers-lieu solidaire, qui propose également des bureaux et ateliers partagés, mais aussi de la création de spectacles. Les détenus prennent part aux activités de tri, de recyclage et de réparation, dans les conditions stipulées par leur aménagement de peine. L'association Mélusine travaille aussi avec des "personnes accidentées de la vie, psychologiquement ou physiquement" : "on travaille avec des publics plus ou moins différents, tout le monde est logé à la même enseigne", précise Terry Mougenot, co-fondateur du collectif. "Notre fibre, c'est d'aider les autres quelle que soit l'origine du problème, c'est dans notre ADN. On a toujours dit que certes, ils ont fait une bêtines mais ils ont le droit à une seconde chance."

Se rendre utile, c'est important, pour montrer qu'ils ont toujours la capacité de faire des choses avec les autres.

Terry Mougenot

Co-fondateur du tiers-lieu Mélusine

Pour Terry, l'initiative des hommes de Maisoncelle représente aussi un pas de plus vers "l'après", ce moment où ils quitteront la ferme pour reprendre leur vie d'homme libre : "Le bénévolat va être un plus pour le CV, pour montrer que des gens leur ont fait confiance."

Un retard français

Dans cet environnement apaisé, chaque détenu en fin de peine peut avancer à son rythme afin de préparer sa sortie. Philippe, 56 ans, est l'un des deux premiers hommes à avoir bénéficié de ce parcours. Il est entré le 12 janvier et sorti le 30 août derniers. A ce moment-là, la ferme de Maisoncelle lui a proposé un emploi, qu'il a accepté, pour "garder le contact avec les gens qui m’ont aidé, et former les autres quand ils arrivent, leur expliquer comment ça se passe." Pour lui, la transition se poursuit, et s'il est désormais pleinement libre, il peut compter sur l'équipe qui l'a aidé à se réinsérer.

Je l’ai attendue, cette sortie parce que c’était long. Maintenant je vais faire attention à ce que je fais pour ne pas retomber.

Philippe

Ancien résident désormais salarié de la ferme de Maisoncelle

Aujourd'hui, il existe quatre fermes comme celle-ci en France, dont une réservée aux femmes, et quatre autres doivent ouvrir au début de l’année prochaine. Ces fermes, portées par le mouvement Emmaüs, fonctionnent en toute indépendance, sur un socle associatif, comme le rappelle Bruno Vautherin : "On n’est pas un sous-traitant de l’administration pénitentiaire."

Toujours est-il que ces structures portent leurs fruits, et apaisent la sortie des détenus, tant sur le plan social, économique, que moral, psychologique. Elles s'inscrivent en opposition au tout-carcéral, que fustigent les membres de l'association qui gère la ferme, alors que les textes de loi entérinent la multiplication des places de prison : "Tout démontre qu’il y a besoin d’alternative et que la prison n’est pas une solution ultime", déplore-t-il. "Derrière, il y a plein d’autres problèmes à régler qui ne peuvent pas être réglés en prison, malheureusement ça fait partie des angles morts de la politique pénale en France. On est en retard."

"C’est un modèle qui ne fonctionne pas aujourd’hui, quand on voit la récidive, l’impact sur la vie des personnes, le non-respect des droits, les questions de dignité", conclut Aude Paulmier.

*À sa demande, son prénom a été changé.

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