Confinement rime avec isolement. Pour les malades d'Alzheimer et leurs proches aidants, ces mots sont lourds de conséquences. France Alzheimer maintient le contact avec ses adhérents malgré l'annulation d'ateliers et de formations. Un contact essentiel. Exemple dans la Vienne.
Camille* et son époux Étienne* habitent une maison en périphérie de Poitiers, avec un petit jardin, "ce qui est très important en ce moment", confie-t-elle. C’est là qu'ils vivent ensemble cette période de confinement. Étienne a 70 ans, il a été diagnostiqué il y a cinq ans de la maladie d'Alzheimer. D'ailleurs, notre échange avec Camille, 68 ans, sera bref, son époux demandant une attention constante. "Mon fils était là hier, ça aurait été plus facile pour moi de vous parler."
Le confinement a plusieurs conséquences pour le quotidien des couples dont l'un est malade.
- Pour l'aidé, il y a pleins d’activités, de sorties, de rencontres qui sont désormais interdites. Autant de stimulation en moins pour un cerveau déjà en perdition.
- Pour l'aidant, c'est un confinement avec un être aimé qui demande une attention de tous les instants, car les répits permis par la venue d'un proche, une journée en accueil de jour ou une halte relais auprès de l'association France Alzheimer sont impossibles ou très compliqués à organiser.
Dans cette période, "le risque d’épuisement pour un aidant est majeur. Aussi bien physiquement que psychologiquement. Physiquement dans l'aide à la toilette, le fait de devoir tout gérer dans la maison, la logistique, l'organisation, les repas… Et psychologiquement, parce qu'il y a une fatigue nerveuse de devoir porter la charge mentale de la vie de famille, de devoir tout répéter constamment au malade", précise la psychologue Marielle Paquinet.De semaine en semaine, nous ressentons un climat d'angoisse qui s’amplifie.
- Marielle Paquinet, psychologue
Les répétitions, une contrainte réelle pour des personnes qui n’ont plus de mémoire à court terme, "qui n'encodent plus de nouvelles informations". Leur compréhension de la situation sanitaire et de ces conséquences dans leur quotidien est de fait très parcellaire. "Les aidants s'épuisent à devoir répéter x fois dans la journée pourquoi il ne faut pas sortir, pourquoi il y a un confinement, pourquoi les enfants ne viennent pas rendre visite comme d'habitude, pourquoi c'est difficile d'aller faire les courses, pourquoi il faut se laver les mains plus souvent…"
Des gestes barrières très difficiles à adopter
C'est là le quotidien de Camille* et de son époux. Son mari ne comprend pas toujours ce qu'est le confinement : "il faut le rappeler continuellement et comme c’est anxiogène... Il ne faut pas trop le rappeler non plus. Parce que sinon, ce sont des crises d'angoisse. Les gestes barrières sont très difficiles à adopter. Se laver les mains quand on n’a pas de noir sur les mains, non. Pour lui, ses mains sont propres.""Beaucoup de questions sont portées par les aidants", explique la psychologue Marielle Paquinet : "comment faire comprendre à mon époux de ne pas sortir, comment occuper mon proche malade en restant à la maison, comment faire mes courses si je ne peux pas laisser mon conjoint tout seul à la maison parce qu'il peut se mettre seul en danger à cause de la maladie, comment aider mon conjoint à se stimuler cognitivement et physiquement pendant cette période."
La pression sur les aidants est un phénomène observé de longue date. Pour préserver le conjoint malade, souvent débordés par la tâche, ils sont naturellement enclin à l'isolement, au repli sur soi, au silence. Une pression aujourd'hui accentuée par la crise sanitaire et les contraintes sociales qu'elle impose et que tentent de soulager les bénévoles de l'association.
Une oreille bienveillante
Ils sont plusieurs dans la Vienne à prendre régulièrement des nouvelles de familles concernées. Geneviève Moucherat est l'une d’entre eux. Engagée de longue date avec son époux dans le milieu associatif, ayant accompagné sa belle-mère, sa mère et sa belle-sœur souffrant d'une maladie d'Alzheimer ou maladies apparentées, elle a choisi de prêter l'oreille à d'autres situations analogues. "En tant que bénévole, aujourd'hui je suis là pour donner des conseils, des astuces du quotidien. Dès que je vois qu'il y a une grosse difficulté, j'oriente mes interlocuteurs, souvent les aidants, vers Marielle Paquinet dont c'est le métier."Et des conseils, des astuces, Geneviève, la bénévole, en a. À l'occasion d'un récent entretien téléphonique, elle a suggéré le jeu à son interlocutrice, à la fois pour passer le temps et pour stimuler l'époux malade. "La dame me dit : il n'aime pas jouer. Je lui ai conseillé d'essayer. La semaine d’après, elle m'a téléphoné : savez-vous que tous les après-midis, on joue ensemble au Scrabble© ! Pas longtemps mais tous les jours, et à chaque fois il me répète que c'est lui qui va gagner !" Quand la tension monte trop dans la maison, elle conseille de s'isoler un petit moment, le temps qu'elle redescende. "Il est fort possible qu’au retour de l'aidant, le malade ne se souvienne plus du désaccord."
On tient le choc. Mais pendant combien de temps…
On va bien. La journée est longue, longue.
Mon épouse malade fait une fixation sur cette épidémie. Elle ne décolle plus du canapé où elle est recroquevillée toute la journée à regarder les émissions médicales. Elle ne parle plus et perd de plus en plus ses mots.
- Paroles d'aidants
Le principal risque pour les patients, c'est le manque de stimulation, de dernières relations sociales encore actives qui les aident en temps normal à stabiliser un petit peu la maladie.
Il y a aussi l'histoire de cette femme énervée par son époux malade qui n’a qu'une envie : sortir les poubelles. A longueur de journée, il rentre et sort les poubelles. Geneviève Moucherat, à son écoute, lui a conseillé de laisser faire, c'est une occupation, après tout. Avec une vigilance toutefois : "Veiller à ce qu'il n’aille pas plus loin dans la rue."
L'errance, incompatible avec le confinement
C'est une autre caractéristique de la maladie d'Alzheimer : l'errance, ce besoin de marcher des heures durant sans but bien souvent. Des fugues sont possibles, sans attestation de dérogation évidemment. Dans ces cas, la psychologue Marielle Paquinet explique qu'il est possible de prévenir la gendarmerie afin qu’elle prenne la situation en considération et raccompagne le malade à son domicile.Le rôle des bénévoles et de France Alzheimer est alors de proposer des solutions : "Cette période renforce le risque de repli sur soi pour les couples aidants-aidés. Nous devons pouvoir proposer la mise en place d'aides à domicile ou encore l'hospitalisation ou le placement dans une structure adaptée", précise la psychologue.Mon mari était plutôt agréable et jovial. Depuis le confinement, il se rebiffe et ronchonne à tout bout de champ. Il dit que je suis tout le temps sur son dos. Mais comme il veut toujours partir, je ne peux pas faire autrement !
- Témoignage d'une aidante
Là encore, le sujet est sensible, comme le raconte Geneviève Moucherat, bénévole à France Alzheimer 86, après cette récente conversation avec une épouse aidante qu'elle suit. "Le mari a pour habitude de déambuler toutes les nuits, son épouse ne dort plus et est épuisée. Une nuit, elle décide d'appeler le Centre 15 en expliquant son impuissance et sa fatigue. Le mari est conduit à l'hôpital. Depuis, son épouse éprouve un terrible sentiment de culpabilité, celui de ne pas être à la hauteur."
Dans ces cas, les plus difficiles, Geneviève Moucherat transmet à la psychologue. La bénévole appréhende ce confinement dans la durée : "les problèmes vont devenir de plus en plus cruciaux et les aidants s'inquiètent encore plus que d'habitude pour le cas où il leur arriverait quelque chose. Que deviendrait leur conjoint(e) malade ?"
Confinés mais pas sourds
Plus que jamais, tout un chacun peut contribuer à casser la dynamique d'isolement, de repli sur soi. Aider des couples à vivre moins mal, si ce n’est vivre mieux, cette période de confinement. Pour Marielle Paquinet, psychologue, "si on ne peut pas rendre visite aux gens, on peut les contacter par tous les moyens possibles. Ça peut être par l'écrit. Une lettre, une petite carte, une photo, un dessin d’enfant, c'est une attention qui compte pour une personne âgée."Avant de conclure : "Une écoute, une attention que l'on porte vers quelqu'un, c'est très précieux pour celui qui la reçoit et également pour celui qui la donne. Je crois qu'on a tous du temps en ce moment, de l'écoute à apporter. Et donner, c'est quelque chose qui fait du bien aussi."
► Vous pouvez retrouver les coordonnées de l'ensemble des associations départementales du réseau France Alzheimer sur le site FranceAlzheimer.org.
* Le prénom a été modifié#Covid19 Notre priorité : maintenir et renforcer le lien avec vous, proches aidants et personnes malades. Partout en France, nos associations proposent des services d’écoutes téléphoniques pour répondre à vos besoins.
— France Alzheimer et maladies apparentées (@FranceAlzheimer) April 16, 2020
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