Le mot d’ordre du confinement, c’est la distanciation sociale. Les malades d’Alzheimer se retrouvent alors souvent plus isolés et le manque de stimulation peut avoir de graves répercussions. En Ehpad ou à domicile, le personnel soignant et aidant fait son possible pour les éviter.
Depuis le 17 mars, tous les Français sont confinés, priés de rester chez eux. Pas de quoi, à priori, bouleverser le quotidien des personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer, souvent âgées et qui sortent peu.
Mais la réduction du lien avec le monde extérieur bouleverse les habitudes des malades, comme celles des soignants qui s’en occupent.
À l'Ehpad mutualiste Institut Claude Pompidou à Nice, établissement de référence concernant Alzheimer, accueille 72 patients, tous atteints par la pathologie à un stade avancé. Dans cet Ehpad, pas de cas de Covid-19 à l’heure actuelle, mais par mesure de précaution, l’alerte générale a été sonnée une semaine avant le confinement.
« Les visites des familles ont été interdites et on a mis en place une newsletter pour informer les proches de la situation régulièrement », détaille Christophe Rocca, directeur du pôle autonomie de la Mutualité française en PACA, qui administre notamment l’Ehpad de l’Institut Claude Pompidou.On a augmenté notre effectif, pour atteindre 35 soignants pour 72 résidents.
"On leur dit que dans l'Ehpad, ils sont à l'abri"
Ici, les patients ne sont pas confinés dans leur chambre."D’une part, ce serait très compliqué à mettre en place, et d’autre part, ça pourrait avoir un effet très négatif pour ce genre de pathologie » précise Christophe Rocca.La grande majorité des résidents de cet Ehpad n’a pas les capacités cognitives suffisantes pour comprendre que nous sommes en période d’épidémie de coronavirus.
Seuls quelques patients ont remarqué un changement. Ils nous demandent pourquoi ils ne voient plus leur famille, ou posent des questions sur les informations qu’ils entendent à la télévision.
"Alors on essaye de leur expliquer sans les alarmer, on leur répète qu’ici, ils sont à l’abri » dit doucement Bénédicte Cosseve, psychomotricienne à l’Ehpad. Elle ajoute :
Ça fait vingt ans que je travaille avec des personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer et j’ai été très surprise par leur capacité d’adaptation, que ce soit face à l’absence des familles ou au port du masque par les soignants par exemple.
Sans les familles, les soignants redoublent d'efforts
Pas de changement de comportement notable chez les résidents depuis le début du confinement dans cet Ehpad, pas plus d’agitation que d’habitude. Pour la psychomotricienne de l’établissement, « en tant que soignants, ce qui est important c’est que l’on contrôle nos émotions pour ne pas transmettre notre stress ou nos inquiétudes aux résidents, qui y sont très réceptifs ». Pour les y aider, des séances de méditation sont proposées aux soignants dans l’établissement.Ce n’est pas la seule nécessité pour les malades d’Alzheimer, souligne Christophe Rocca :
Sans la venue des familles et des intervenants extérieurs pour assurer cette stimulation, les soignants doivent être encore plus présents.Il faut continuer de les stimuler, sinon leurs capacités cognitives peuvent se dégrader très vite.
« On amène les résidents prendre l’air sur la terrasse, aller voir les fleurs dans le jardin, se promener ou jouer au ballon pour ceux qui le peuvent. On tend plus souvent le téléphone pour ceux qui peuvent parler à leurs proches. On utilise aussi un logiciel pour que les familles puissent envoyer des photos qu’on montre aux résidents et on leur en envoie aussi », explique Bénédicte Cosseve.
Les journées sont très fatigantes pour nous soignants, on a hâte que les familles puissent revenir. Mais pour l’instant, chaque journée écoulée où le virus n’est pas entré est une victoire.
Un temps d'échange avec les aidants est aussi possible en ligne :
L’aide à domicile comme dernier lien social
Les personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer ne résident pas toutes en Ehpad. Certaines habitent chez elles avec un aidant, souvent la deuxième personne du couple, ou même seules, accompagnées au quotidien par des aides-soignants.Laurence est aide à domicile à Nice. Depuis une dizaine d’années, elle s’occupe d’une dame âgée de 95 ans, aujourd’hui atteinte par Alzheimer. Elle ne semble pas vraiment bouleversée par le confinement et l’épidémie.
En général elle ne me reconnaît pas et elle ne sait pas quel jour on est, alors je pense qu’elle ne réalise pas du tout ce qui se passe. Ça fait de nombreuses années qu’elle vit hors du temps, explique Laurence.
Ce qui a changé pourtant, c’est l’absence de visite familiale. Depuis le début du confinement, la fille de cette nonagénaire ne peut plus venir la voir. Alors Laurence et les autres soignants qui s’occupent d’elle sont les seuls qui maintiennent un lien social.
Ici, le mètre de distance réglementaire n’est pas de rigueur.
« Malgré les protections et les précautions, on reste proche de nos patients, même physiquement, précise Laurence. De toute façon on est obligé pour certains soins, mais au-delà de ça, c’est très important. Cette dame par exemple, elle aime beaucoup le contact.
Dès que je passe la porte de chez elle, elle me dit "venez vite me voir", souvent elle me prend la main. »
À domicile encore plus qu’en Ehpad, la stimulation apportée par les aidants est essentielle pour ces personnes isolées. « Comme cette dame adore manger, j’essayer de la stimuler quand je prépare le repas. Je lui parle de sa famille, j’essaye de faire travailler sa mémoire avec des photos », détaille l’aide à domicile.
Cette dame, je la vois depuis dix ans. Quoi qu’il arrive avec ce virus, je ne la laisserai jamais, elle a trop besoin de nous - Laurence.
Un réconfort quotidien et primordial, une évidence pour Laurence.