Émeutes à Poitiers : aux Couronneries, les commerçants n'oublient pas la solidarité des habitants

Trois mois après les émeutes qui ont embrasé la France, certains commerçants reprennent enfin leur activité. Dans le quartier des Couronneries, fortement touché, ils se souviennent de la solidarité des habitants pour les aider à reprendre le travail.

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Dans le magasin de matériel médicalisé des Couronneries de Poitiers, il y a foule ce jeudi soir. Au programme, pas de déstockage ni d'événement promotionnel mais simplement un buffet et des boissons, pour dire merci. Le couple de propriétaires, Ferdaws et Mounir Choukchou, a convié ses clients, ses proches, et toutes les personnes qui ont prêté main-forte pendant les trois derniers mois pour les remercier de leur soutien, fondamental à la reconstruction de leur activité après deux mois de travaux.

Lucienne Bellot, 85 ans habite le quartier et fréquente la boutique depuis son ouverture en 2017. Comme de nombreux riverains, elle a redouté que les deux commerçants jettent l'éponge : "Je viens ici un peu en famille, une famille que j'aime beaucoup", confie-t-elle. "J'ai appelé le patron tout de suite pour lui demander comment il allait. Ce sont des gentils."

Depuis la réouverture du magasin de matériel médicalisé, les clients apportent des fleurs, des plantes. Ils reviennent en nombre avec l'espoir de clore un chapitre douloureux dans l'histoire de leur quartier.

Après la destruction, la reconstruction

Parmi la série d'émeutes qui ont suivi la mort de Nahel, celle du 29 juin a particulièrement ébranlé la ville de Poitiers, et notamment le quartier des Couronneries. Plusieurs commerces ont été incendiés ou saccagés, comme celui de Ferdaws Choukchou. Le souvenir de cette nuit de violences reste vif : "Nous n'étions pas à Poitiers, le prestataire de l'alarme a appelé à 0h40 et avec les caméras, on a tout vu en direct", se souvient-elle. "On a vu notre boutique se faire dévaliser."

Dans son magasin, les vitres ont été brisées, la marchandise renversée au sol ou pillée, et un extincteur a été vidé, laissant une mousse bleuâtre et corrosive sur toutes les surfaces. Le camion de son entreprise a également été utilisé comme voiture bélier, puis brûlé.

Toutefois, passées la stupéfaction et la douleur de voir son outil de travail détruit, Ferdaws et son mari Mounir, qui tient un magasin de téléphonie voisin, ont vite trouvé du réconfort. Leurs clients, des habitants des Couronneries surtout, ont afflué pour les soutenir : "L'appel qui m'a le plus touché, c'est une cliente, une mamie du quartier, qui m'a dit 'j'ai un peu de sous, je vous les apporte', c'était très touchant", souffle Ferdaws avec émotion. "Il y avait des clients qui pleuraient, qui voulaient venir aider à ranger, signer une pétition pour qu'on ne parte pas... On s'est rendu compte de l'importance du service qu'on rend ici." 

Souvent, on a plus de solidarité dans ces zones dites ZUP, du soutien, de la bienveillance, de l'entraide. On le vit quotidiennement.

Mounir Choukchou

Commerçant des Couronneries

Lorsque le couple se rendait dans ses deux magasins dévastés, leurs clients apportaient des gâteaux, ou simplement quelques mots de réconfort. En plusieurs mois, ces marques de soutien ne se sont jamais essoufflées : "On a dû limiter le nombre de personnes qui venaient aider parce qu'à un moment donné on était dix à quinze personnes, on se marchait sur les pieds", ajoute Mounir. "C'étaient des voisins, des amis, des connaissances, même juste des passants."

Un quartier solidaire

Ferdaws et Mounir sont loin d'être les seuls commerçants dont le quotidien a été bouleversé par la nuit du 29 juin. De l'autre côté du boulevard, plusieurs commerces et services ont été détruits, comme la pâtisserie Le Trianon, rouverte le 5 septembre dernier.

Sa propriétaire, Sophie Chabenat, venue constater les dégâts dès le lendemain, a trouvé sur place une solidarité insoupçonnée : "C'était touchant, les clients pleuraient dans nos bras", raconte-t-elle. "Je me souviens avoir rassuré les gens, des papis, des mamies, en leur disant qu'on avait des assurances, qu'on allait revenir."

Pour la propriétaire du Trianon racheté il y a un an et demi, il n'a jamais été question de quitter le quartier, et elle se réjouit de la fidélité intacte de ses clients.

Nous avons été très contents à la réouverture de voir que les gens nous attendaient, ils ont vraiment répondu présent.

Sophie Chabenat

Propriétaire du Trianon

Dans la galerie marchande de la place de Provence, quelques vitrines plus loin, le tabac presse garde portes closes, à l'abri des regards. Trois mois après son incendie lors des émeutes, les travaux de réparation n'ont pas débuté. Sa gérante, Lydie Benoist, n'est toutefois pas sans emploi : elle a trouvé un nouveau poste à 500 mètres de là, au bureau de tabac Les Héliotropes.

Avant les émeutes, les deux enseignes étaient plus complémentaires que rivales, se partageant la clientèle locale. Désormais seul sur le marché, Hervé Vindevogel, le gérant des Héliotropes a vu sa fréquentation augmenter de 60%. Pour y faire face, il a proposé à Lydie Benoist de devenir cogérante de son commerce, ainsi qu'à deux employés du magasin sinistré de rejoindre l'équipe. "J'ai été vraiment bouleversé par ce qui lui est arrivé, on a beaucoup échangé, on a passé beaucoup de temps ensemble, et de fil en aiguille, on s'est dit 'pourquoi ne pas travailler ensemble?'" explique Hervé Vindevogel. "Je lui ai demandé d'être mon adjointe et de m'aider à gérer l'équipe qui est passée du simple au double."

Lydie Benoist n'a pas hésité : "On n'a jamais été concurrents, et bien sûr que j'ai apprécié le geste", sourit-elle. "Ce n'est pas évident de se retrouver sans activité professionnelle, sans salaire." Soulagée, elle peut désormais envisager plus sereinement les travaux puis la réouverture de son propre magasin, prévue pour 2025.

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