Dotée de grosses ambitions, l'équipe chinoise China Glory a été lancée en janvier et vise à aguerrir des coureurs chinois en vue de les faire briller aux Jeux olympiques de Paris 2024.
C'est un rouge qui détonne et étonne, dans le flot des équipes alignées au départ de la 36e édition du Tour Poitou-Charentes, mardi 23 août. A peine la porte du camping-car de l'équipe ouverte, une foule de curieux encadre les coureurs. Surtout un : Xu Changquan. Car ce rouge qui orne les tenues des coureurs n'est autre que celui du drapeau chinois. "Faut t'y faire Xu, c'est le 'star system' !" Le directeur sportif de China Glory, le Français Lionel Marie, s'amuse de l'engouement autour de son équipe. Il le connaît bien ce système, lui qui a murmuré à l'oreillette de Christopher Froome chez Israel Start-Up Nation jusqu'à il y a quelques mois.
Encore au niveau continental, le troisième échelon du cyclisme, cette équipe est une surprise, invitée à la dernière minute par le directeur de la course Alain Clouet, d'habitude réticent à convier des équipes étrangères de cette catégorie, qui n'offrent pas toutes les garanties professionnelles. "On a fait une exception, reconnaît l'historique organisateur dans un sourire. On a supposé que les Chinois avaient les moyens. C'est une équipe qui veut vite évoluer pour devenir une grande équipe. Et puis je connais Lionel Marie, alors quand il m'a appelé, je lui ai dit qu'on allait trouver une solution."
From China with love
Lionel Marie n'est pas venu seul dans ce projet. Pull rouge orné de sinogrammes, l'ancien coureur Amaël Moinard endosse le rôle de directeur technique. Tandis que s'affairent les mécaniciens autour d'une voiture arborant un "From China to Paris" évocateur, il explique l'objectif. "La Chine est une grande puissance qui veut bien figurer aux Jeux olympiques de Paris 2024. On est financés par le ministère des sports chinois, et on fait partie du Team China, qui est l'équivalent du Comité olympique en France."
China Glory peut être perçue comme une pépinière de jeunes talents chinois, venus s'aguerrir sur le circuit européen en vue de briller aux JO. "Attention, nuance l'ancien coureur. On ne parle pas de médaillables mais de bien figurer. Et nous avoir (avec Lionel Marie), c'était la seule manière pour eux de réussir." Réseau, coups de fil aux bonnes personnes, structure juridique... les deux hommes font gagner un temps précieux à l'équipe. Ils dépassent même le simple cadre de leur fonction, n'hésitant pas à materner des coureurs chinois déracinés depuis le mois d'avril, dont certains n'avaient plus couru depuis 2019, et le "monde d'avant". "Je suis directeur sportif, mais je fais aussi de la manutention et la vaisselle", rit Lionel Marie.
De l'empire du Milieu à Paris, la route peut se muer en odyssée, même avec deux capitaines aussi rompus aux vents contraires européens. Constituée à distance, politique zéro Covid chinoise oblige, l'équipe s'est bâtie dans des temps records, ayant reçu son agrément UCI en janvier 2022. Plusieurs coureurs occidentaux ont été recrutés, notamment Sean Bennett qui arrive du World Tour, mais encore faut-il trouver des coureurs chinois capables de tenir le rythme. Une filière de détection à distance a été mise en place. 50 coureurs ont ainsi été testés, pour "en trouver huit ou 10", souffle Amaël Moinard.
"Ils doivent beaucoup progresser"
Mais une fois détectés, le plus dur commence. Dans le camping-car, Xu Changquan semble réservé, étrangement à l'écart de ses coéquipiers, qui sirotent un café, l'air badin. Quand son coéquipier, Ludovic de Rossi, le rejoint, sa retenue s'explique : la barrière de la langue. Pour communiquer le Français utilise son téléphone pour traduire ses propos, Xu ne parlant pas anglais. Un rôle particulier pour de Rossi, à mi-chemin entre grand frère et coureur cycliste, qu'il a pris à coeur. "C'est un projet humain, et j'avais besoin de ça, explique-t-il en réglant sa radio. Je vis avec les Chinois à Nice, où l'équipe est basée et où on s'entraîne. L'idée c'est de les driver dans la vie européenne. Ce sont des coureurs qui doivent encore beaucoup progresser, mais ils le veulent, demandent des conseils… C'est motivant pour nous, qui sommes à côté." Reste que sur le vélo, la langue des signes reste la plus utilisée pour leur indiquer quand s'alimenter ou encore s'hydrater.
Des difficultés qui perturbent leur apprentissage, comme le confie Lionel Marie. "La première course, ils étaient sous le choc. Ils s'étaient dit 'ça va le faire' mais…" Certains, comme Xu, peinent aussi à s'adapter au choc culturel et culinaire. Peu habitué à manger de la nourriture à base de gluten, le coureur supporte mal les traditionnels plats de pâtes et le pain distribué par son équipe. Régulièrement malade, il a multiplié les abandons. Seul Chinois aligné à ce Tour Poitou-Charentes, l'objectif fixé par son équipe était simple : finir. Malheureusement, après avoir roulé sur un bidon à 40 kilomètres de l'arrivée de la première étape, le coureur chinois a été contraint à l'abandon, le seul de l'étape.
Malgré ces difficultés, l'ambition reste de mise. "Je reste optimiste, glisse Lionel Marie. Ils évoluent bien. L'un d'eux, Xianjing Lyu a réussi à rester avec le peloton sur l'Arctic Race jusqu'à deux kilomètres de l'arrivée, c'est très encourageant." Un optimisme qui infuse en Chine, prenant doucement la place de la curiosité. En pleine course, le directeur sportif fait un rapport aux médias chinois via le réseau social national WeChat. "J'essaie d'expliquer ce qu'il se passe, où en sont nos coureurs", détaille-t-il.
Les spectateurs pourront rapidement les voir directement, à condition que l'épidémie de Covid permette de rouvrir les frontières chinoises. En vue de glaner des points UCI pour qualifier ses coureurs pour les Jeux olympiques, l'équipe va participer à plusieurs courses en Chine l'année prochaine. Avant de briller à Paris. Aux JO, d'abord. Mais sur le Tour de France, à terme. Un "from China to Paris" pourrait bien en cacher un autre.