Après un an d'enquête, que d'autres attentats, à Bruxelles, Rouen et Nice, sont venus émailler, les policiers français sont certains d'une seule chose : ces attentats sont le fait d'un énorme réseau qui se construit depuis plusieurs années. Qu'en reste-t-il aujourd'hui ? Difficile à dire...

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Même si l'unique survivant des commandos terroristes qui ont commis les attentats du 13 novembre à Paris, Salah Abdeslam, refuse de parler depuis son transfert de Belgique en France le 27 avril dernier, l'enquête sur les attentats a bien avancé. Les investigations, dirigées par six juges d'instruction français, permettent de mettre en lumière un projet terroriste inédit.

Un tournant dans la lutte contre le jihadisme

Il reste pourtant des zones d'ombre. Inquiétantes, elles ont néanmoins l'avantage de démontrer une chose. Avant les attentats de Paris et de Bruxelles, les enquêteurs ou services spécialisés français, belges ou autres, n'avaient pas pris la mesure des réseaux jihadistes.

Ils n'en n'imaginaient ni l'ampleur, ni le fonctionnement, et sont donc passés à côté d'éléments capitaux. On espère que ces attentats ont au moins marqué la fin de cette "naïveté".

L'enquête a très rapidement révélé des failles dans la surveillance de certains protagonistes :
Comment expliquer qu'Abdelhamid Abaaoud, coordinateur des attaques et chef de la cellule de Verviers en Belgique, ait pu circuler librement en Europe alors qu'il était sous le coup d'un mandat d'arrêt international ?
Comment Samy Amimour, l'un des assassins du Bataclan, frappé d'une interdiction de sortie du territoire, a-t-il pu partir en Syrie en 2013 et revenir en Europe ?

Les attentats de Bruxelles du 22 mars ont marqué un tournant dans l'enquête sur ceux du 13 novembre à Paris, en mettant au jour le vaste organigramme d'une cellule aux multiples ramifications. L'enquête s'est très vite élargie. Et c'est à partir de l'examen des deux séries d'attentats que s'éclairent la connaissance et la compréhension de l'organisation des réseaux djihadistes en France et en Europe.

La filière des Buttes-Chaumont

Pour la France, tout commence au début des années 2000. Dans le 19ème arrondissement de Paris, naît alors ce que l'on va appeler, quelques années plus tard, la filière ou la cellule des Buttes-Chaumont. Les enquêteurs l'on nommée ainsi car elle est née et s'est structurée pas très loin des Buttes-Chaumont, autour d'une mosquée de la rue de Tanger, la mosquée Adda'wa.

Le personnage central, qui fédère cette filière se nomme Farid Benyettou. Cet agent d'entretien à l'époque, beau parleur, habile recruteur, est le prédicateur qui va fasciner et convaincre de jeunes garcons en manque de repères.
Farid Benyettou, salafiste, jihadiste, est dans la mouvance du GSPC, le Groupe Salafiste pour la Prédication et le Combat, un mouvement né en Algérie d'une sission du GIA, le Groupe Islamique Armé. Le GSPC deviendra très vite, en 2007, AQMI, Al-Qaïda au Maghreb Islamique.

Plusieurs des auteurs des attentats de 2015 en France, attentats de Charlie et attentats du 13-Novembre ont fréquenté la filière des Buttes-Chaumont et son prédicateur Farid Benyettou. C'est le cas d'un des frères Kouachi, Chérif, et d'Amedy Coulibaly.
D'autres membres sont, eux, partis "faire le jihad", combattre en Irak. C'est le cas pour Boubaker El-Hakim, soupçonné d'être le donneur d'ordre des attentats contre Charlie Hebdo et de l'attaque du musée du Bardo à Tunis. Ces autres membres seront souvent les recruteurs ou les formateurs des combattants suivants. Et parmi eux, ceux qui commettront les attentats de Paris.

Dans les années 2000, la filère des Buttes-Chaumont a un objectif : recruter des djihadistes pour les envoyer combattre en Irak. Pour cela, on la surnommera aussi la filière irakienne du 19ème arrondissement. En 2005, elle sera démantelée. Ses membres, à commencer par Benyettou et Coulibaly, seront jugés et emprisonnés.


Transmission et dissémination

Mais l'essentiel est mis en place. Cette filière a "légué" une sorte d'"école de pensée" qui fournit des éléments idéologiques ou pseudo-religieux, mais aussi des savoir-faire techniques de combat, par l'intermédiaire de ses "anciens élèves" revenus d'Irak ou désormais de Syrie.

La mouvance de la filière des Buttes-Chaumont s'est muée en un "écosystème autonome", devenu capable de perpétuer et transmettre les enseignements reçus. Salafiste, jihadiste, la filière combat pour Al Qaïda, puis aujourd'hui pour le groupe "Etat Islamique".
Officiellement dissoute en France, la filière ressurgit en Belgique. D'abord à Verviers, où un certain Abdelhamid Abaaoud va mettre en place que l'on va appeler, au moment de sa découverte en 2015 la cellule de Verviers. Or la cellule de Verviers, c'est la filière des Buttes-Chaumont, dix ans plus tard et en Belgique.
D'ailleurs Abaaoud est un jihadiste formé en Syrie au contact de Salim Benghalem et Boubakeur-el-Hakim, deux anciens "élèves" des Buttes Chaumont. Dans la boucle, au passage, on croise Medhi Nemmouche, auteur de l'attentat du musée juif de Bruxelles, lui aussi formé par Benghalem et lié à Abaaoud.
Le 15 janvier 2015, les autorités belges démantèlent la cellule de Verviers au cours d'une intervention soudaine et brutale, pour déjouer une menace d'attentat imminente. Sur place, trois membres de la cellule. Deux sont tués. Le troisième arrêté. Mais Abaaoud, lui, n'est pas là. Il est en Syrie depuis plusieurs mois. Mais déja, les jihadistes tués ou arrêtés à Verviers étaient tous originaires de Molenbeek. 

Alors dès les mois qui vont suivre, Abdelhamid Abaaoud va reconstituer une cellule, à Molenbeek, constituée d'hommes de Molenbeek, en d'autres termes il a recruté sa bande de copains d'enfance, à laquelle s'ajouteront le français qui a lui aussi grandi à Molenbeek Salah Abdeslam, et les trois du Bataclan, Amimour, Mostefaï et Mohamed-Aggad, rentrés de Syrie ou Abaaoud fait des séjours fréquents.

A l'automne 2015, le groupe est opérationnel. Ce sont tous ceux qui commettront les attentats de Paris.


La fin de la théorie du "loup solitaire"

Un an après ces attentats : 
• Neuf des terroristes sont morts. Ils se sont faits exploser ou ont été abattus.
• Huit suspects sont incarcérés en France. Impliqués à des degrés divers, ils pourraient se retrouver sur le banc des accusés d'un futur procès. 
L'un d'entre eux, témoin clef, Salah Abdeslam, a choisi pour l'instant de se claquemurer dans le silence.
Des complices ont été tués ou sont incarcérés dans d'autres pays. Plusieurs le sont en Belgique, d'autres en Italie, au Maroc, en Algérie et en Turquie. L'enquête conduira peut-être à réclamer leur extradition

Mais le principal bilan de l'enquête, un an après, réside sans aucun doute dans la fin de la théorie du "loup solitaire" qui était mise en avant à chaque attaque, ou chaque découverte d'un projet d'attentat. Jusqu'alors en effet, politiques, enquêteurs ou juges invoquaient le "loup solitaire" à propos de ces terroristes.

L'enquête sur l'entourage et le passé des suspects s'est assez vite arrêtée :
• Parce qu'on pensait généralement qu'il s'agissait d'actes et d'individus relativement isolés.
• Parce que l'on voyait la mouvance salafiste beaucoup plus éclatée et informelle qu'elle ne l'est.

Aujourd'hui, chacun a compris que l'on a à faire avec des réseaux, une nébuleuse qui possède de nombreuses ramifications et connexions en état de marche quand elles sont activées. Même si leur organisation est parfois, momentanément informelle.

Lorsque l'on a affaire à un terroriste, mort ou vivant, il devient évident et vital aux yeux de tous que sa vie, ses relations, son parcours et ses carnets d'adresses doivent être dépouillés, épluchés et exploités jusqu'au bout pour dessiner le réseau dont il est une pièce. Un an après le 13-Novembre, c'est sans doute une avancée considérable.


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