EDITO - Hervé Brusini, Directeur des rédactions web de France Télevisions, se penche sur le thème choisi pour l'édition 2013 de LeWeb Paris, "the next ten years". Que sera donc l’état de notre connexion dans 10 ans ?
Que sera donc l’état de notre connexion dans 10 ans ? La réponse à cette question est si présomptueuse qu’on en vient à espérer que ces quelques lignes - qui prétendraient esquisser un semblant de pronostic - disparaissent sur le champ. Mais le défi de la modernité est ainsi, on ne se satisfait plus d’une actualité qui file déjà à toute allure. Il faut anticiper, prévoir et vivre en quelque sorte avant l’heure le temps futur forcément déjà passé. Ce serait peut être alors cela le sujet à étudier pour évoquer la connexion dans 10 ans : un autre rapport au temps, et son corollaire l’espace.
2023, voilà que le numérique affiche enfin sa réalisation suprême : il reconfigure l’humain."
La permanence de la connexion quasi déjà assurée par le truchement de la lumière, (on serait tenter de dire, et bientôt par l’air) permet d’être ici et là, en même temps. Une ubiquité dans l’espace et à tout instant. La connexion change déjà peu ou prou le repérage, le positionnement de chacun d’entre nous. Notre boussole personnelle n’indique plus vraiment les points cardinaux, elle nous situe dans une relation sans distance au monde. Finie la montre, bannie la paire de lunettes. Le regard nouveau est connecté. Et il voit « enrichi » de ces dimensions nouvelles qu’il croyait réservées aux dieux. Il n’est plus porté par un œil mais une glass-binocle, dont on prédit qu’elle finira par céder la place à une greffe des plus discrètes nous assure-t-on. 2023, voilà que le numérique affiche enfin sa réalisation suprême : il reconfigure l’humain. Et l’humain ose enfin se le dire en face, en pleine face.
Mais il faut encore du temps pour qu’enfin cela affleure. Car, La mutation est insidieuse. Certes, on s’intéressera à de nouveaux devices puisque telle sera l’expression consacrée. Les imprimantes 3D font dès maintenant un succès absolu à la une des médias alors que le public en ignore encore l’usage. Les transports, le spectacle sous toutes ses formes, connaitront les bouleversements qui laisseront sans voix pour se banaliser l’instant d’après. Et l’on finira bien par percevoir que toutes ces capacités nouvelles, ces pouvoirs inédits tournent tous autour de notre corps, tantôt le prolongeant, tantôt le substituant dans ses fonctions les plus quotidiennes. Le cerveau restant la cible privilégiée de cette connexion globalisée. Que deviendront alors la curiosité, la découverte, l’intérêt d’être ce que l’on est et ce que l’on voudrait incarner ? Quel sera le moteur de cette humanité branchée ?
Là encore tentative de réponse, cette fois avec une icône venue du passé. Un choc de jeunesse : l’apparition de Gaston Bachelard à la télé dans le magazine 5 colonnes à la une en 1961. Un vieil homme à longue barbe blanche, doté d’un accent rocailleux. Le portrait craché du philosophe perché dans les nuages. Sauf que celui là se présente planté au beau milieu d’une jungle de livres. Il affirme écouter tous les flashs d’info dès 7 h 30 jusqu’à 21 h sur un transistor offert par sa fille. « Et pourquoi faites vous cela ? » l’interroge le journaliste. « Mais parce que j’ai l’impression que le monde tourne autour de moi, qu’il m’apporte des nouvelles de l’univers, c’est parfait. Ce sont les évènements au moment où ils se produisent qui m’intéressent. Pas les commentaires. » Aujourd'hui, c’est l’internaute qui tourne autour du monde en une fraction de seconde. Le temps réel cadence nos vies. Dans le même entretien, Bachelard refuse d’être le rêveur que l’on voudrait qu’il soit parce qu’il est un philosophe. Non s’il est branché c’est parce qu’il est au monde, en prise avec la réalité, martèle t il. Et Bachelard d’affirmer que c’est pour lui un art de vivre. « Il faut être en équilibre avec le temps » lâche t il. 2023 l’homme connecté sera donc en équilibre lui aussi avec son temps nouveau, cette autre durée qui dilate la seconde comme une heure. Internet ressemblera alors à ce qu’il est pour les internautes, quand il rassemble la masse et expose le singulier. Dans notre rapport au temps, il rassemblera les heures et égrènera les secondes. Internet 2023 ce sera peut être une autre relativité. Il est temps. J’actionne la touche Delete. A dans 10 ans pour discuter de ce que nous sommes en train de vivre !Aujourd'hui, l’internaute tourne autour du monde en une fraction de seconde."
@hervebrusini