Un avocat parisien à la dérive et un boucher aux "pouvoirs extraordinaires" ont expliqué jeudi au tribunal de Versailles les ficelles d'un vaste trafic de faux papiers censés permettre l'obtention de vrais titres de séjour à des ressortissants maghrébins.
Depuis lundi, c'est un drôle d'attelage de personnages qui défile au procès de cette affaire de corruption et de trafic de faux papiers: un boucher désigné comme la tête de réseau, un "négociateur" et un comptable faussaires, mais aussi, dans les préfectures des Yvelines et du Val-de-Marne, un vigile et une fonctionnaire...
Au total 21 personnes dont 12 demandeurs de titres de séjour comparaissent devant la 7e chambre correctionnelle, notamment pour "corruption active et passive", "faux et usage de faux" et "obtention indue de documents administratifs" entre 2006 et 2010. Le trafic avait pris la forme d'une petite entreprise au service de "l'exploitation de la misère", résume une source proche de l'affaire, avec ses rabatteurs et ses faussaires, experts dans le maniement du blanc correcteur et du scanner, et avec l'aide d'une agent d'accueil de la préfecture du Val-de-Marne, mère isolée de cinq enfants et criblée de dettes.
Celle-ci a reconnu mercredi avoir accordé aux "clients" des tickets coupe-file et consulté le fichier des étrangers sur l'avancement des dossiers. En échange de "services", elle recevait des pizzas et tous les deux mois des colis de viande, dans la limite de 120 euros, livrés directement de la boucherie d'un certain Lahoucine Jouan, la tête de réseau, selon la plupart des prévenus.
Entre cousins ou entre amis, on s'échange ses coordonnées et celles de ses intermédiaires comme des bons plans. "Mon cousin m'a présenté Ben Amor (faussaire présumé, NDLR), il m'a dit qu'il avait été régularisé grâce à lui, mais qu'il fallait un peu de sous", a expliqué lundi Fadhli, par qui l'affaire a éclaté.
"Descente aux enfers"
Fin 2007, la police aux frontières avait repéré un faux acte notarié dans son dossier de demande de titre de séjour à Versailles, avant de tirer une à une les ficelles de la combine. Les demandeurs maghrébins pleins d'espoir ont déboursé entre 1.000 et 15.000 euros pour un dossier avec son kit de faux documents, censés attester d'une présence d'au moins dix ans sur le territoire français ou d'un état médical grave.
"En réalité, il (le boucher) a fait croire qu'il était magicien, qu'il avait des pouvoirs extraordinaires pour obtenir des titres de séjour. Il vous fait rencontrer un avocat dans un bar, il vous obtient des papiers. Ça confortait les demandeurs dans le fait que Jouan avait des relations", relate une source proche du dossier.
Grosse moustache et costume rayé, le boucher de 57 ans tente de se faire passer pour un bienfaiteur. Connu de la justice pour escroquerie, il a reconnu avoir aidé des demandeurs à constituer des dossiers avec des faux, "pour rendre service", en récupérant seulement "100 euros" par-ci, par-là. Avant lui, Me Mohamed Laribi, un Algérien de 61 ans inscrit au barreau de Paris, avait assuré que Jouan et Ben Amor lui apportaient des "affaires".
A la barre, à la place des prévenus et face aux confrères, "c'est la honte d'être là", lance-t-il dans un sanglot. Oui, il a déposé des dossiers, en sachant qu'ils contenaient des faux, mais jure-t-il, il n'en est pas l'auteur. Jouan lui remettait 500 à 1.000 euros d'"honoraires" par dossier. "Mais ce n'est pas le travail normal d'un avocat, remettre des dossiers avec des faux! Comment en êtes-vous arrivés là?" lui demande la présidente. "J'étais dans une spirale, j'ai fait une descente aux enfers", qu'il a décrite en plusieurs étapes: séparation, alcool, problèmes financiers.
Le réquisitoire du ministère public est attendu vendredi matin. Les peines encourues vont jusqu'à 10 ans d'emprisonnement pour les faits de corruption.