Les coups de feu, le visage d'un terroriste qui tire, son amputation, sa difficile reconstruction, le procès... A quelques jours de l'ouverture du procès des attentats du 13 novembre 2015, Kevin, grièvement blessé au Bataclan nous livre son témoignage.
Kevin est un fan de rock. Ce 13 novembre, accompagné de son amie, il est venu écouter les Eagles of Death Metal, comme 1500 autres spectateurs. Arrivés en retard, ils ne sont pas dans la fosse comme Kevin le souhaitait mais en retrait, juste à côté du bar. Le Bataclan est bondé.
L'attentat
"Vers 21 heures 47 à peu près, j’ai entendu des pétards, enfin je ne sais pas. Un gros bruit. Et instinctivement, je me suis retourné vers l’entrée et j’ai vu un des terroristes tirer en l’air d’abord puis sur les gens devant lui", se souvient-il. "Comme beaucoup je me suis dit, non ça fait partie du spectacle. Ce n'est pas vrai, ce n'est pas réel. Mais vite, je me suis rendu compte que c’était du sérieux et que c’était un attentat", poursuit-il.
La seule façon de rester en vie, c'est de faire le mort
Un terroriste tire. Kevin est touché. 2 balles dans la jambe. Il serre les dents. Ne pas crier de douleur se dit-il, persuadé que les terroristes allaient l'achever s'ils le repéraient. Il reste allongé. "Je voyais des gens se lever et dire, vous ne gagnerez pas, et malheureusement ils se faisaient exécuter sur le champ". Il répète : "la seule façon de survivre, c’était de pas bouger surtout, pour ne pas attirer leur attention".
Kevin sait que sa blessure est sérieuse mais aidé, il arrive à sortir de la salle puis est pris en charge par les secours. "Endormez-le", seront les dernières paroles qu'il entendra avant d'être plongé dans le coma.
Un long travail de résilience
Après trois arrêts cardiaques et plusieurs opérations, le jeune homme de 27 ans se réveille à l’hôpital Bégin à Saint-Mandé dans le Val-de-Marne. "Instinctivement, j’ai regardé ma jambe et j’ai vu qu’elle était toujours là", se remémore-t-il.
Il apprend ce qu'il s'est passé aux informations télévisées et reconnaît l'homme qui tirait, Samy Amimour. "C'était la personne que j'avais vu entrer dans le Bataclan au tout début et tirer des coups de feu en l’air. Et assassiner des gens en face de lui. Aussi froidement. Comme si les gens c’était rien, rien du tout".
A la douleur et l'effroi s'ajoute le poids d'un choix cornélien que lui demandent les médecins : "Ecoutez monsieur, vous avez deux choix qui s’offrent à vous. Soit vous décidez de garder absolument votre jambe. Ça sera des années d’hôpital sans forcément vous garantir un résultat. Ça risque de gangréner et on risque de vous amputer au-dessus du genou, soit vous vous faites amputer maintenant et vous pourrez faire presque tout ce que vous faisiez avant. A partir de là, après une journée de réflexion, j’ai demandé à me faire amputer",
J’ai eu de la chance car j’ai remarché très vite. Pour moi, c’était un combat.
Six mois d’hospitalisation seront nécessaires. Entouré de proches, d'autres victimes et de l'association Life For Paris commence un long travail d'acceptation et de résilience.
Apprendre à remarcher alors qu'il était un grand sportif, enchaîner les séances de kinésithérapie et les massages pour oublier sa jambe disparue qui le fait souffrir. Affronter également les questions qui tournent dans sa tête : "Que vais-je devenir ? Est-ce que je vais garder mon travail ? Mon amie va t-elle rester avec moi ? Pourquoi cela m'est-il arrivé ? Pourquoi ont-ils fait cela ?
Cela a été un long long long chemin
La réalité professionnelle le rattrape vite. Il ne pourra plus exercer son métier de pompier professionnel contrairement aux propos de sa hiérarchie au lendemain de l'attentat. Inapte et blessé en dehors de ses heures de service, la grande maison des pompiers ne le garde pas en son sein. Sans compter les interminables tracasseries administratives. "J’ai dû me battre. Quelque part, c’est un peu triste mais on a l’impression de devoir prouver ce qui nous est arrivé. C’est éprouvant", regrette-t-il.
Kevin est toujours en cours d’indemnisation. Ce qui le porte et l'anime aujourd'hui, "c'est qu'un jour, ça sera terminé. Au moins le côté administratif, les trucs super lourds, ça sera derrière moi. C’est sûr, ça ne me rendra pas ma jambe, ça ne me fera pas oublier ce qui m’est arrivé. Mais le jour où j’aurais fini toutes mes démarches, où j’aurais retrouvé un travail, je pourrais prendre un nouveau départ et repartir sur des bases plus paisibles", assure Kevin qui aimerait quitter la région parisienne et a entamé une formation d' infographiste.
Le procès
A quelques jours de l'ouverture du procès, une somme de questions assaille Kevin.
J' ai besoin de savoir pourquoi.
"Pourquoi ont-ils agi comme ça ? Comment en sont-ils arrivés là ? Pourquoi le Bataclan ? Pourquoi des gens ? Pourquoi un concert ? Je me souviens, je rentrais chez moi en sanglots, à me dire pourquoi moi ? Qu’est-ce que j’ai fait ? Pourquoi ça m’est arrivé à moi ? Est-ce que j’ai fait quelque chose de mal ? Cela je me le suis répété plein de fois. Je ne suis pas croyant, mais je me suis dit, ce sont des questions bêtes qu’on se pose à ce moment-là : pourquoi moi ?"
Kevin dit avoir "beaucoup de colère" et parle d' "un acte impardonnable". "Je pourrais vivre avec mais jamais le pardonner", estime-t-il.
Le jeune homme n'assistera pas tous les jours à ce procès fleuve, qui va durer plus de 8 mois. Il sait que les mois à venir seront éprouvants. Il sait aussi qu'il n'obtiendra que peu de réponses aux questions qu'il se pose.
"Je m’attends à voir un des coupables en face de moi et au moins avoir des réponses. Mais je ne me fais pas trop d’idées car je pense que je ne saurais jamais vraiment pourquoi".(...) Je me dis qu’il (ndlr, Salah Abdeslam le seul membre encore en vie des commandos djihadistes du 13 novembre 2015) n'a pas parlé jusqu’à aujourd’hui. Ce n'est pas pour qu’il parle malheureusement lors du procès. J’espère avoir tort, mais je ne me fais pas trop d’illusions", conclut-il.