Dans un rapport parlementaire, des députés de tous bords critiquent "l'hypocrisie des discours de fermeté" et l’impuissance de l’Etat face au trafic illégal de cannabis. Un constat partagé par de nombreux acteurs de terrain dans les quartiers franciliens.
Règlements de compte sur fond de rivalités entre trafiquants, chaînes humaines formées en septembre 2019 par des parents devant des écoles de Saint-Denis pour dénoncer la situation… Les effets du commerce illégal de cannabis, largement installé sur le territoire, sont nombreux. "L’Île-de-France est traditionnellement le pôle historique du trafic de drogue en France", explique Frédéric Ploquin, journaliste et auteur du livre Les Narcos français brisent l’omerta (Albin Michel).
"C’est par les aéroports d’Île-de-France que transite une partie de la marchandise, poursuit le journaliste. Et c’est une plaque extrêmement importante en termes de consommation." Selon Frédéric Ploquin, le trafic alimente une économie souterraine estimée au niveau national à quatre milliards d’euros.
L'Etat assiste de manière impuissante à la banalisation du cannabis chez les jeunes et à la détérioration de la sécurité [malgré] une politique répressive française qui coûte cher et mobilise à l'excès les forces de l'ordre
La France reste en effet championne d'Europe de la consommation de cannabis, avec 5 millions d'usagers annuels et 900 000 fumeurs quotidiens. Dans un rapport publié mercredi, les députés d'une mission parlementaire sur le cannabis, dont certains font partie de la majorité présidentielle, pointent "l'échec" de la répression.
"L'Etat assiste de manière impuissante à la banalisation du cannabis chez les jeunes et à la détérioration de la sécurité [malgré] une politique répressive française qui coûte cher et mobilise à l'excès les forces de l'ordre", dénoncent les députés, suite à de nombreuses auditions de médecins, policiers, magistrats et chercheurs. Le budget alloué aux forces de l’ordre pour la lutte antidrogue a quasiment doublé entre 2012 et 2018 pour atteindre 1,08 milliard d'euros annuels, soulignent-ils.
Comment "reprendre le contrôle" face aux trafiquants ?
Tandis qu’Emmanuel Macron et son ministre de l'Intérieur Gérald Darmanin continuent de miser sur une politique répressive, le rapport dénonce "l'hypocrisie des discours de fermeté régulièrement tenus". D’après les députés, le plan anti-stupéfiants, avec l'instauration depuis septembre dernier d'une amende forfaitaire de 200 euros pour les consommateurs, semble "condamnée à échouer comme les précédentes".
Selon Amine Benyamina, addictologue à l’AP-HP, la politique répressive est également un échec. "La légalisation permettrait d’abord et avant tout de cibler une vraie politique de prévention vis-à-vis des populations vulnérables, à savoir les jeunes et les personnes porteuses de maladies psychiatriques ou mentales", explique Amine Benyamina.
La légalisation permettrait de venir perturber l’organisation du trafic en France
Selon l'addictologue, la légalisation permettrait aussi de "libérer en quelque sorte les énergies pour une filière chanvre en France, qui mérite d’être soutenue, parce qu’elle produira du cannabis de qualité". Autre avantage : "Venir perturber l’organisation du trafic en France".
Du côté des forces de l’ordre, Yann Bastière, délégué national investigation Unité SGP Police, estime que légaliser ne supprimerait pas le trafic, le consommateur pouvant d’après lui toujours trouver moins cher au marché noir : "Je pense que taper au portefeuille beaucoup plus fermement des trafiquants serait une bonne piste à explorer, avec une facilitation pour les services de police et de justice pour ces saisies d’avoirs criminels, biens immobiliers, véhicules, ou commerces en tous genres".
En 2020, 80% des infractions à la législation des stupéfiants concernaient de simples consommateurs. Dans leur rapport, les députés jugent que la légalisation permettrait de "reprendre le contrôle" face aux trafiquants et mieux protéger les mineurs.