Cinq jeunes StreetReporters ont couvert les municipales en Ile-de-France

5 jeunes dans 5 villes d'IDF pour couvrir les municipales recrutés sans conditions de diplôme par StreetPress. Rencontre avec Amine à Chelles (77) et Samia à Garges (95). Ils nous parlent de leur désir de se confronter au journalisme. Leur défi : couvrir les municipales, mais pas la politique.

Ces derniers jours, le site d'info StreetPress a fait la Une avec une série d'articles révélant que des groupes de policiers échangent des propos racistes. Mais on le sait moins, dans les années 2010, c'est aussi un site qui permet à des jeunes adultes issus de tous les milieux sociaux de s'initier au journalisme par le biais d'une formation interne : la StreetSchool. Nous avons suivi une nouvelle expérience, menée en ce début d'année pendant la campagne pour le premier tour des municipales 2020.

L'enjeu ? Former des reporters en herbe qui ont poussé dans la commune concernée pour traiter au plus près l'information dans leur ville. Des journalistes du cru pour suivre cette fois les élections municipales dans leur ville parce qu'ils en connaissent les enjeux, la vie quotidienne, les habitants.

Streetpress est un site d’info gratuit qui existe depuis plus de 10 ans ; il est centré sur "l’actualité urbaine", pour reprendre sa propre formule. 80 % de ses lecteurs habitent en Ile-de-France. 

Sur les 243 candidatures reçues, 5 jeunes issus de 5 communes de banlieue parisienne ont été choisis pour raconter la campagne à leur échelle. Amine à Chelles (77), Samia à Garges-lès-Gonesses (95), Imène à Ivry (94), Jean à Issy (92) et Laure à Garancières (78). Presque tous les départements de l'Ile-de-France sont ainsi couverts.

Tout commence à Montreuil (93) dans les locaux de StreetPress situé à deux pas du périphérique, un quartier populaire en pleine mutation. La petite équipe de la rédaction accompagne les cinq jeunes sélectionnés sans critères de diplômes. Pendant trois mois, ils sont formés par la journaliste expérimentée et indépendante Nathalie Gathié, encadrés par le rédacteur en chef Mathieu Molard (co-auteur de l'enquête sur Le système Soral). La tache est rude et le programme ambitieux : ils ont chacun à écrire trois articles qui sont rémunérés en piges. Beaucoup d'heures de préparation, de relecture et de réécriture ont été nécessaires. Au fil des semaines, les deux journalistes encadrants ont transmis les bases du métier afin d'obtenir des articles au niveau de ceux publiés habituellement. Mathieu Molard précise : "Cette diversité dans le recrutement est importante car on souhaite apporter de la pluralité dans les médias. Demain on espère qu'ils deviendront des journalistes professionnels."

Bonne idée ou simple effet de com ? À l’heure où l'on reproche aux journalistes leur déconnexion, un journaliste est-il meilleur, plus pertinent, là où il a grandi ? Quid des amis ou des proches que l’on ne veut pas froisser ?

Amine, 19 ans, StreetReporter à Chelles

Amine n'est pas un "Envoyé spécial" du centre de Paris qui traverse dans le cadre d'un reportage la frontière symbolique du périphérique. Amine vit avec ses parents dans un pavillon à Chelles, commune de Seine-et-Marne, depuis l'âge de 6 ans. Il en a 19 aujourd'hui.

Nous l'avons suivi tout au long de ses 3 mois de formation chez lui et à StreetPress. Son premier papier concerne la pénurie de transports en commun dans sa ville.

Vraiment, le transport, c'est juste inadmissible que l'on mette plus de temps pour aller à l'autre bout de Chelles que pour aller à Paris. C'est juste pas normal.

A la publication, il nous confie : "Cela m'a fait bizarre. Habituellement j'écris dans le Bondy Blog et là c'est très différent dans la forme. Je suis fier d'avoir écrit cet article-là car cela me tient à cœur."

Son article met effectivement bien en avant le fait que les habitants des quartiers populaires de Chelles, très mal desservis par les transports publics, vivent ce manque d'infrastructures comme une discrimination, comme un sentiment d'oubli.

Samia, 18 ans, StreetReporter à Garges-lès-Gonesses 

Sur le site, Samia, la plus jeune des journalistes en herbe, est présentée ainsi par sa camarade Imène (28 ans), dans un de leurs tous premiers exercices d'écriture, le portrait croisé :

"A 18 ans, Samia connaît tout le monde à Garges-les-Gonesses". Façon de parler ? A peine. Depuis un an, elle s’investit dans Solid’Army, une association du Val d’Oise qui organise des maraudes sur Paris. Rapidement on lui propose de rejoindre l’équipe en tant que chargée de communication. "Ils me voyaient snaper tout le temps."

Pour avoir parcouru les rues de Garges en compagnie de Samia, c'est vrai qu'elle connaît tout le monde et que tout le monde la connaît. Naturelle et d'un contact facile, elle est à l'aise dans le local de l'association qui l'a vue grandir, l'OPEJ (à l'origine Œuvre de protection des Enfants Juifs), une association qui accueille des jeunes des quartiers de toutes confessions. Elle en fait donc le cadre de son second article : "Je souhaite mettre cette diversité en avant et écrire un papier positif. On parle beaucoup de séparatisme dans les banlieues, et là j'ai essayé de montrer que l'on arrive à être unis et solidaires. Sans pour autant oublier qu'il y a aussi des problèmes." Par petites touches, Samia réussit de fait à dépeindre cette mixité possible dans une ville accusée par certains politiques comme en train de devenir une des "premières villes islamistes de France".

Au travers d'un trio d'amis dont les familles sont originaires du Congo, du Cap-Vert et du Maroc, la jeune reporter contrebalance ce cliché médiatique.

La vidéo de notre rencontre avec Samia à Garges (95) :

Comment est né le désir du journalisme ?

Etudiant en 2ème année de licence en Sciences Politiques à l'Université Paris 8 Saint-Denis, Amine est aussi animateur vacataire dans les écoles de Chelles. En plus, certains week-ends, il travaille à Disneyland. Passionné de politique et de journalisme, il a déjà à son actif des stages dans le quotidien L’Humanité et pour la radio France Bleu. Sur son temps libre, il rédige aussi des articles pour le Bondy Blog.

"Je trouve que de nombreux sujets de société ne sont pas assez abordés. Souvent, les journalistes viennent du même “milieu”. C’est de là que vient mon envie d’écrire pour sortir des clichés." Une envie qui remonte à l'enfance : "Depuis tout petit, je suis très imprégné par tout ce qui concerne la politique locale ou nationale, notamment via ma mère qui a toujours été très investie dans des partis et des associations."

En ce qui concerne Samia, le choix de son futur métier n'est pas encore arrêté : animatrice télé, communicante, ou journaliste radio ? Tout est encore possible pour celle qui a arrêté ses études de BTS communication en début d'année. Pour la prochaine rentrée, elle souhaite reprendre des études et mise sur une fac type Info-Com ou bien Sciences Politiques.

Moi j'aime beaucoup parler, je suis plus à l'aise à l'oral. C'est une nouvelle expérience de tester d'écrire des articles.

"Vérifier ses sources, poser des questions pertinentes, trouver la bonne accroche – une scène ou une citation forte – qui donne envie au lecteur de continuer la lecture de l'article. On travaille pour un site gratuit, le lecteur n'a pas payé pour acheter un journal, donc il faut l'attraper au col dès le départ avec un bon début", rappelle le rédacteur en chef Mathieu Molard lors des conférences de rédaction régulièrement organisées. Les bases d'un bon article sont martelées par la journaliste formatrice Nathalie Gathié à chaque nouvelle proposition d'un sujet par les apprentis-journalistes :

Pourquoi ici et maintenant ? Pourquoi ce choix de reportage ? Quels sont les enjeux ?

La vidéo de notre rencontre avec Amine à Chelles (77) : 

Comment les participants vivent-ils cette expérience ?

Amine confesse qu'il "aime bien apprendre des choses aux gens un peu comme fait un prof sauf que lui fait ça en classe et un journaliste pour des lecteurs. Au vu de ce que je peux lire, je me rends compte qu'il y a énormément de problèmes qui ne sont pas traités ou que d'une certaine manière. Comme on dit en politique, moi je veux casser les codes."

Samia a eu 18 ans l'été dernier ; aussi cette année, vote-t-elle pour la première fois. "Le fait de participer à ce programme, de couvrir les municipales de ma ville, cela m'amène à m'intéresser à tous ces sujets-là et à inciter mes amis qui peut-être ne pensent pas nécessairement à voter. Cela m'a beaucoup aidée que ce projet ne soit pas de parler des municipales en allant forcément vers les hommes et femmes politiques, mais de soulever les enjeux de la ville."

Sa ville, Amine la connaît bien aussi et il renchérit : "Ce qui fait que l'on se démarque, c'est que l'on ne nous a pas pris pour parler de politique politicienne parce que cela tous les autres médias peuvent le faire."

Très volontaire dans sa démarche d'aller à la rencontre de ses concitoyens, Samia a découvert au fur et à mesure les écueils du métier de reporter. "Sachant que je vais être lue par les habitants de ma ville, je dois faire attention à ce que je publie. C'est clair que ce n'est pas toujours facile. Mais je ne vais pas mentir car si j'écrivais seulement que tout est tout beau, tout rose, alors j'aurais des retours comme quoi ce n'est pas réel ce que j'écris."

De son côté Amine n'a pas non plus eu à faire face à des conflits avec ses amis : "La plupart de mes amis ne s'intéressent pas à la politique ou au journalisme. On va dire que je suis un intermédiaire, sans paraître trop prétentieux mais certains n'ont pas eu cette chance là d'être sensibilisés comme moi. Je connais beaucoup de personnes qui me posent des questions par exemple "Est-ce que tel média est "bien" ? Est-ce qu'il informe bien ? Est-ce que cette info est une fake news ou pas ? "

StreetPress est un média entièrement gratuit. Comme le rappelle Mathieu Molard, "En étant gratuit cela permet d'être lu par tout le monde, comme le sont les médias de service publique." StreetPress se revendique comme un média de terrain, d'être dans la rue et proche des gens. Mais il rappelle aussi régulièrement sur le site qu'il a besoin d'être financé pour continuer d'exister.

 

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