Le gouvernement lance cette semaine une vaste campagne contre l'inceste et les violences sexuelles que subissent les enfants. Au cœur de cette opération, le service national d’écoute, le 119 Allo enfance en danger de plus en plus sollicité par des mineurs victimes de violences psychologiques et physiques.
"J'ai reçu un appel d'un enfant de 6 ans (..) les mineurs qui appellent ici ont entre 6 ans à 18 ans". Dans cette petite salle d'écoute qu'on appelle ici le pré-accueil du 119 Allo enfance en danger, Muriel, comme ses collègues, est en première ligne.
Elle reçoit les tout premiers coups de fil de parents ou grands parent désemparés, de mineurs qui se sentent en danger, de voisins témoins de faits de violences et de comportements jugés suspects ou d'anonymes. "Nous sommes à l’écoute 24 heures sur 24, 7 jours sur 7 et la communication est gratuite", répète calmement Muriel à ses interlocuteurs, en les faisant patienter avant de les réorienter.
Niché au 4 ème étage d'un immeuble discret dans le 17e arrondissement à Paris, le pré-accueil de ce service national d'écoute reçoit près de 700 appels par jour qu’il faut évaluer, classer et transmettre. Entre 15 et 45 secondes de temps d'attente, avant que l'appel soit pris en compte.
"Les appels de mineurs sont prioritaires donc ils n'attendent pas", indique Pascal Vigneron, directeur du Snated-119." On mesure d'abord la notion d'urgence et s'il y a une urgence immédiate, on fait appel aux services de première urgence. Tous les jours, on contacte les services de premiers secours : police, gendarmerie, SAMU, pompiers pour intervenir directement, pour sortir un mineur du danger avec lequel il est confronté, précise Pascal Vigneron qui constate de plus en plus d'appels de mineurs. 20 % des appels proviennent de moins de 18 ans. Des enfants de plus en plus en jeunes qui "appellent avec leurs téléphones portables, les mineurs ont aussi accès à notre tchat qui permet de converser directement avec un écoutant", précise le directeur du 119 qui ajoute, " parfois un adulte nous appelle mais l'enfant mineur est à son côté".
Des "informations préoccupantes"
Jugée prioritaire, une partie de ces appels est transférée par le pré-acceuil à la plateforme du 119 où se relaie une quarantaine de professionnels spécialisés dans l'écoute.
Ce mardi matin, l'une des "écoutantes" reçoit un appel d'une femme témoin de violences psychologiques à l’encontre d'un mineur. "Il s'agit d'une voisine d'une maman seule avec 3 enfants de 3 à 14 ans", relate-t-elle. "Cette dame dit que la maman s'en prend énormément à l'aînée en l'insultant en l'humiliant et c'est récurrent ( ...) elle ne sait pas si elle reçoit des coups, mais elle a vu le petit de 3 ans être tapé ( ...) ce sont des indicateurs de violences physiques, on va demander une évaluation", conclut-elle.
Dans ce cas précis, il y a un risque de danger pour les enfants. L'appel fera l'objet d'un compte rendu et sera qualifié "d'information préoccupante". Les services départementaux référents seront alertés et la mère de famille recevra un courrier de ces services. Les violences psychologiques de ce type sont prédominantes dans plus de la moitié des sollicitations. Et dans pratiquement une sollicitation sur dix, des violences sexuelles sont évoquées.
"Un enfant agressé sexuellement toutes les trois minutes "
La secrétaire d'Etat à l'Enfance, Charlotte Caubel était ce mardi dans les locaux du 119-Enfance, accompagnée du porte-parole du gouvernement Olivier Véran et de l'actrice Muriel Robin. En effet, cette semaine, le gouvernement lance une campagne contre les violences sexuelles que subissent les mineurs et sur l'inceste. "Un enfant agressé sexuellement toutes les trois minutes", a déclaré Charlotte Caubel.
La Civise, la Commission indépendante sur l'inceste et les violences sexuelles faites aux enfants, dresse à ce sujet, un constat alarmant, 160 000 enfants subiraient des violences sexuelles chaque année en France. Une statistique édifiante qui sera rappelée pendant cette campagne inédite. La dernière campagne gouvernementale sur la pédocriminalité remonte à 2002 et n'évoquait pas l'inceste.
À partir du premier trimestre 2024, les professionnels en contact avec les enfants devraient pouvoir bénéficier, d'une cellule de soutien - un "119-pro" - pour les aider à gérer des soupçons ou révélations, annonce la secrétaire d'Etat.
La campagne nationale commence cette semaine sur les réseaux sociaux et médias avant de s'afficher dans les lieux publics et les salles de cinéma. Un spot choc sera diffusé à la mi-temps du match de rugby France-Nabimie le 21 septembre. L'inceste sera également le thème de plusieurs films et livres qui sortent cet automne, dont un téléfilm avec Muriel Robin, "Les yeux grands fermés", diffusé le 2 octobre sur TF1.
En conséquence, au 119 Allo enfance en danger, on s'attend donc à un surcroît du volume d'appels. Il faudrait renforcer les équipes d'écoutants, mais le service national d'écoute peine aujourd’hui à recruter des professionnels pour cette grande cause nationale. Il faudrait, calcule le directeur du 119, "une quinzaine d'écoutants supplémentaires". Des psychologues, juristes et travailleurs sociaux. Une campagne de recrutement de ces professionnels de l'écoute a été lancée.