Il a passé quatre ans et deux mois en prison pour rien. Accusé à tort d'avoir participé à l'agression au cocktail Molotov de policiers à Viry-Châtillon (Essonne) en octobre 2016, Malik (le prénom a été modifié) veut remettre sa vie sur les rails.
"La prison, je la souhaite à personne. Je ne suis plus pareil qu'avant", confie-t-il. "Avant", c'était avant le 8 octobre 2016, quand des policiers ont été violemment attaqués et brûlés par près d'une vingtaine de jeunes cagoulés en face de la cité de la Grande Borne.
Le 9 février 2017, Malik, alors âgé de 19 ans et intérimaire, est mis en examen pour tentative de meurtre et placé en détention provisoire à la prison de Villepinte, en raison de sa proximité avec certains des mis en cause. Il n'en ressortira qu'à l'issue de son acquittement en appel, le 18 avril 2021.
"Je ne me suis pas adapté à l'univers carcéral. Au début je ne sortais même pas en promenade, je préférais rester dans ma cellule, à dormir. Je dormais la journée et vivais la nuit quand c'est calme et qu'il n'y a pas de bruit", explique le jeune homme maintenant âgé de 26 ans, qui précise n'avoir "jamais fait de garde à vue avant cette affaire".
"Je me suis retrouvé dans un univers violent, je dormais par terre sur un matelas. Les douches étaient sales, c'est un autre monde". Au bout de deux ans, il arrive à suivre des cours et obtient son bac avant de s'inscrire en première année d'études supérieures. "Ca m'aidait à sortir la prison de ma tête".
"Dès les premiers jours du procès, on était condamnés."
Malik, acquitté de Viry-Chatillon
La prison, il en est extrait pendant près de deux mois à l'automne 2019 pour être jugé aux assises à Evry, dans un contexte particulièrement tendu. "Dès les premiers jours du procès, on était condamnés, même nos avocats ne pouvaient rien dire".
Il se souvient de sa réaction quand une peine de 25 ans de réclusion est demandée contre lui: "Je me suis senti mal, j'étais crispé, j'avais envie de vomir".
Finalement, la condamnation à 12 ans de prison le soulage presque. "J'ai hésité à faire appel. Je me suis dit que s'ils m'avaient condamné à 12 ans alors que j'avais rien fait, ils pouvaient me détruire en appel".
Un an et demi plus tard, au moment où la présidente de la cour d'appel de Paris annonce son acquittement, comme pour sept autres accusés, il reste sans réaction, tant il avait "perdu espoir"
"J'ai dit merci à mon avocat mais c'est tout. Je pensais que j'allais être recondamné. Je réfléchissais déjà à comment aménager une nouvelle peine de 12 ans. J'avais déjà fait les papiers et contacté ma SPIP", l'agent des services pénitentiaires d'insertion et de probation.Le trajet du retour vers Villepinte, le dernier, lui semble particulièrement long: "J'avais peur qu'on me dise que c'était une erreur et que j'allais y rester". Surtout, alors qu'il vient d'être acquitté, il est menotté pour le trajet.
"Quand tu sais que t'es libre, que tu dois sortir, c'est énorme une demi-heure!"
Malik, acquitté de Viry-Chatillon
Et une fois revenu en prison, Malik doit attendre que le greffe de la cour notifie l'établissement de sa libération. "J'ai été fouillé à mon arrivée et je suis remonté une demi-heure dans ma cellule, en attendant la lettre du greffe. Quand tu sais que t'es libre, que tu dois sortir, c'est énorme une demi-heure!"
"En plein milieu de la nuit, c'est le moment tant attendu. Malik sort enfin libre de prison. Ce n'est cependant pas la libération mentale tant attendue. "Quand je suis sorti, les gens qui sont venus me chercher m'ont dit que j'avais l'air vide, perdu. J'ai mis un mois à pouvoir redormir normalement. Le moindre coup de clef me réveillait. Je ne sortais même pas de chez moi, j'avais l'habitude d'être enfermé".
Il revient alors à la Grande Borne, pour plusieurs mois, chez ses parents. Mais les relations avec les policiers locaux, qui le connaissent et savent qu'il a été mêlé à l'affaire, sont difficiles.
"Un jour lors d'un contrôle je me suis fait plaquer au sol, genou contre le dos, pour rien, alors que j'avais tous mes papiers. Ils m'ont dit +regarde derrière toi quand tu marches+ quand ils sont repartis". À cause de cette "peur" de croiser la police et des mauvais souvenirs associés à son quartier, Malik quitte finalement Grigny pour tenter de reconstruire sa vie dans une zone rurale de l'Essonne, où il travaille désormais dans le transport des personnes handicapées. Pour se sentir "utile".
"Je peux plus avoir confiance en la justice."
Malik, acquitté de Viry-Chatillon
Il a demandé une indemnisation à hauteur de 520.000 euros pour compenser tous ces moments perdus en prison, comme l'enterrement de son grand-père, dont il était proche. L'État lui offre 90.000 euros pour ses 50 mois de détention. "Leur proposition c'est un manque de respect. Une demande d'indemnisation ne devrait même pas être négociable", s'énerve-t-il.
De cette procédure, il attend que la machine judiciaire "reconnaisse vraiment qu'ils se sont trompés du début à la fin" à son propos. Mais, au fond, il semble avoir perdu espoir. "Je peux plus avoir confiance en la justice", lâche-t-il.
Près de deux ans après avoir été définitivement innocentés, les huit acquittés de Viry-Châtillon, qui avaient été accusés d'avoir attaqué des policiers au cocktail Molotov, demandent réparation auprès de la justice pour leur détention provisoire injustifiée, qui pour certains a duré quatre ans.
Lundi 3 avril, le cas de six d'entre eux sera étudié devant une chambre civile de la cour d'appel de Paris, là où ils ont été définitivement acquittés. Les deux autres cas ont été audiencés à d'autres moments.
Ces jeunes issus de la Grande Borne, une vaste cité de l'Essonne, considérée comme l'une des plus sensibles d'Île-de-France, avaient été jugés devant une cour d'assises pour l'attaque en plein jour de quatre policiers le 8 octobre 2016. Les images de leurs voitures en feu avaient profondément heurté l'opinion publique.
À l'issue de deux procès, cinq des 13 accusés ont été condamnés à des peines allant jusqu'à 18 ans de prison. Les huit autres ont été acquittés en appel, en 2021. Mineurs ou jeunes majeurs au moment des faits, ils ont fait de la détention provisoire et réclament maintenant une compensation financière pour ces années perdues.
(Avec AFP)