"Amandine c’est l’enfant qui est venue après la 25e ou 26e tentative", témoigne le professeur Frydman

Il y a 40 ans, jour pour jour, Amadine, premier "bébé éprouvette" était mise au monde à l’hôpital Antoine-Béclère de Clamart par le professeur René Frydman, gynécologue et obstétricien.

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Amandine est née le 24 février 1986. Elle a été conçue par fécondation in vitro à l'hôpital Béclère. Le professeur René Frydman faisait partie de l'équipe, dirigée par le professeur Émile Papiernik. 

Amandine est née il y a 40 ans. Quels souvenirs gardez-vous de cette journée ?

Pour vous, c’est une nouvelle qui est tombée comme cela, sans préparation. Pour nous, cela faisait plusieurs années que l’on travaillait avec le professeur Papiernik et Jacques Testart au développement de cette technique.

Nous étions préparés mais cela a été un évènement. Celui de la naissance de cette enfant que nous avons vue de la taille d’un millimètre. Ce fut évidemment une émotion. Tous les accouchements sont chargés en émotions. Mais celui-ci était particulièrement intense.

Amandine est née au milieu de la nuit et quand je suis rentré chez moi, j’avais le sentiment de voler au-dessus de la route, j’étais dans les airs ! Une enfant qui venait de naître naturellement, une jolie petite fille avec des parents présents, heureux, détendus.

C’est tout de même une transgression par rapport à ce que le monde avait connu

Professeur René Frydman

Le lendemain, lors d’une conférence de presse, nous avons annoncé sa naissance. Je dois dire que c’était exceptionnel. C’était un événement, car c’est tout de même une transgression par rapport à ce que le monde avait connu. Un enfant, un embryon était conçu à l’extérieur du corps de la femme. Cet embryon jusqu'à là invisible et intouchable, est devenu visible et manipulable.

En quoi, à cette époque, cela a été scientifiquement exceptionnel ?

C’était une première française mais pas mondiale. Il faut rendre à César ce qui est à César. Les équipes anglaises avaient commencé les fécondations in vitro chez les animaux en 1961. La technique a mis 17 ans à aboutir à l’Homme. En France, il y avait des capacités mais le responsable biologique au niveau de l’INRA ne voulait pas passer à l’Homme. L’équipe anglaise était mondialement en avance.

Comment travailliez-vous ?

Nous n’avions pas de matériel. C’était du bricolage. Il n’y avait pas de microscopes perfectionnés, de couveuses… On était dans la bricole et avions beaucoup d’interrogations.

Nous n’avions pas de matériel. C’était du bricolage

Professeur René Frydman

À l’époque, la femme n’avait aucun traitement hormonal. Nous allions à la pêche, nous avancions au hasard, au gré des cycles naturels des femmes. Aujourd’hui, c’est différent, il y a des traitements. Il y a plusieurs embryons. La congélation a été développée à partir de 1986, les traitements masculins existent.

Quelles ont été les conséquences sociétales ? Était-ce polémique ?

Oui il y a eu des polémiques et surtout des oppositions. De la part de l’Eglise catholique notamment qui s’oppose toujours à la fécondation in vitro. Des scientifiques pourtant célèbres considéraient que nous n’avions pas fait les chemins nécessaires avant de passer à l’humain et qui auraient souhaité que nous travaillions encore chez les animaux, comme le singe. Pour la guenon, ça a mis 20 ans de plus pour y arriver car c’est plus compliqué que chez l’humain.

Avez-vous douté au niveau éthique ?

Il fallait le faire car en face de nous, nous avions un homme et une femme qui ne pouvaient pas avoir d’enfants. Point à la ligne.

C’était dans la continuité de certaines opérations chirurgicales comme opérer les trompes (trompes utérines) par exemple. Pourquoi suis-je passé à la fécondation in vitro ? Je travaillais en microchirurgie, je passais des heures et des heures à réparer ces trompes. On les réparait mais cela n’aboutissait pas. Quand j’ai lu dans le journal anglais The Lancet qu’une première tentative, qui avait échouée, avait été faite, j’ai écarquillé les yeux et je me suis dit, 'c’est ce qu’il faut faire pour les patients qui veulent un enfant mais qui n’y arrivent pas !'

Aujourd’hui, il y a la PMA*, la GPA**, avez-vous l’impression d’avoir ouvert une boîte de Pandore ?

Il faut bien voir que la société a évolué, les formes de conjugalité aussi. Ce n’était pas le cas il y a 40 ans.

La société a évolué, les formes de conjugalité aussi

Professeur René Frydman

Je ne me sens pas responsable de l’évolution de la société qui utilise ou non telle ou telles avancées scientifiques.

Le président de la République, François Mitterrand, a créé le Comité national d’éthique parce qu’effectivement on ne voyait pas les problèmes que cela pouvait poser : qu’est un embryon ? Qu’est un être humain ? Qu’est-ce que c’est que la congélation ? Que signifie pouvoir élever une cellule et connaître le statut d’un être qui n’est pas encore là mais dont on connaît déjà telles ou telles caractéristiques ?

Tout n’est pas forcément licite éthiquement

Professeur René Frydman

Cela pose toujours un certain nombre de problèmes éthiques d’où la nécessité d’avoir à mes yeux, certaines limites. Tout n’est pas forcément souhaitable. Tout n’est pas forcément licite éthiquement. C’est un problème mondial et cela fait partie des grandes questions au même titre que la peine de mort auxquelles il faut réfléchir.

Aujourd’hui, je pense qu’il faut que l’on développe la prévention car il y a beaucoup d’infertilité de couple : endométriose, polluants, tabagisme… Et beaucoup de fausses couches. Il faut informer très tôt sans oublier d'évoquer "l'horloge biologique", l’âge de la femme en particulier.

Quelles sont vos limites à vous ?

Il ne faut pas confondre ce qui est possible de faire et ce qui est souhaitable. Le possible est illimité mais le souhaitable c’est autre chose…  Mes limites : tout ce qui concerne l’utilisation d’une personne pour son propre profit en particulier la GPA. Tout ce qui aboutit à modifier l’enfant en fonction de son propre désir, je pense aux manipulations génétiques pour dessiner le profil d’un enfant.

Je ne suis pas favorable à la GPA en particulier par respect pour les femmes qui ont autre chose à faire qu’à porter un enfant et de s’en séparer. Il faut faire attention à la commercialisation et à la marchandisation. On touche à des choses fondamentales : ce qui est, un être humain. Un encadrement est nécessaire. Tout n’est pas faisable sans réflexion.

Comment va Amandine ?

Bien ! Je suis en relation avec Amandine, ses enfants, ses parents. Elle est devenue comme un membre de ma famille.

*PMA : procréation médicalement assistée

**GPA : gestation pour autrui

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