INSOLITE. Alain Robert, le Spider Man français : "Passer très près de sa propre mort pour finalement vivre un autre jour, c’est extraordinaire "

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Alain Robert évoque dans Toki Woki sa passion pour l'escalade à mains nues des gratte-ciels ©France 3 Paris

À soixante et un ans, Alain Robert est une légende du free solo, la varape sans corde ni protection : il a déjà escaladé plus de 170 buildings à mains nues. Toki Woki l’a rencontré dans le quartier de la Défense dans les Hauts-de-Seine, son massif urbain.

Pourquoi nous avoir donné rendez-vous ici à la Défense ?

C’est mon massif d’escalade urbaine en France, sans doute l’endroit où j’ai escaladé le plus de bâtiments au monde. Les trois tours derrière moi, je les ai toutes faites. La tour Gan, tout en verre, c’était très dur. La tour Alto était de difficulté moyenne. Enfin, j’ai grimpé à la tour First en 2012. Il s’agit du plus haut gratte-ciel de France, il culmine à deux cent trente et un mètres. C’était assez difficile.

Tu as également fait la tour Elf Aquitaine, la tour Franklin… Tu en as fait une spécialité !

Au départ, je suis quand même un grimpeur de rochers, en solo. J’ai commencé à décrocher des records du monde de difficulté en 1991 : à l’époque, j’étais celui qui avait réalisé les escalades les plus difficiles sans corde. C’est en 1994 que je suis passé aux buildings. J’ai commencé facile avant d’augmenter la difficulté. Aujourd’hui à soixante et un ans, je reviens à des escalades plus faciles.

On est sur le parvis de la Défense, derrière-nous il y a la fameuse Grande Arche. Tu l’as escaladée ?

Oui, c’était en octobre ou en novembre 2000. Je ne me souviens plus de la date précise, mais c’était une très belle escalade.

Qu’est-ce que tu ressens quand tu escalades ces tours ?

J’adore ! C’est très différent de l’escalade rocheuse, on suit en général une trajectoire assez linéaire. C’est plus facile car l’escalade est plus prévisible. En revanche, certaines sont extrêmement difficiles.

Hier, tu as de nouveau commis un exploit sur la dalle de la Défense. Qu’est-ce qui s’est passé ?

Hier, j’ai grimpé la tour Total. Elle mesure cent quatre-vingt-dix mètres de hauteur, c’était super intéressant, c’est une belle tour. Pour un homme de soixante et un ans comme moi, ça représente encore un défi. Par ailleurs, hier il y avait un vent terrible et il faisait très froid. J’ai failli me casser la figure une ou deux fois en approchant du sommet.

Tu as douté à ce moment-là ? Tu t’es dit que tu n’allais peut-être pas finir la journée ?

On ne peut pas parler de doute : lorsque ça arrive, je me retrouve dans l’urgence d’une situation que je ne maîtrise qu’à moitié. C’est quitte ou double, je n’ai pas d’autre choix que de me battre. Si ça passe, tant mieux. Et si ça n’était pas passé, on ne serait pas là aujourd’hui pour en discuter.

Qu’est-ce qu’il se passe dans ta tête, dans ces moments-là ? Comment trouves-tu la force de continuer ton ascension ?

Au moment où ça chauffe, je ne pense à rien, je suis dans l’action. Il y a une forme d’instinct de survie qui prend le pas sur toute réflexion. Une fois arrivé un mètre plus haut, en revanche, je me dis « ça fait ch*** ». L’essentiel, pour moi, c’est de rester un battant quelle que soit l’issue. J’envisage toujours l’issue comme le fait d’arriver en haut en un seul morceau, mais je n’occulte pas la possibilité de la chute et de la mort.

On te surnomme Spider Man, l’homme araignée. Tu peux nous montrer ta technique ?

Sur des buildings, je m’appuie uniquement sur des fissures donc la marche à suivre est relativement évidente. S’il n’y en a qu’une, je prends prise en alternant main gauche et main droite et en coinçant mes pieds dedans. Si je m’appuie sur deux fissures séparées, j’écarte les bras. Et si le bâtiment a une architecture plus complexe ou ornementale, je fais avec ce qu’il y a.

Nous avons assisté à ton ascension de la tour Total. Une fois arrivé en haut, tu as été arrêté par la Police et conduit au commissariat de la Défense. Qu’est-ce qu’il se passe quand tu te fais arrêter, tu es traité comment ?

Le commissariat de la Défense, c’est mon commissariat de police favori. J’y ai été escorté une bonne cinquantaine de fois, parfois avec garde à vue, parfois avec une simple main courante voire une audition libre. Hier, je connaissais une partie des policiers, ça s’est fait de façon très conviviale. Les gens sont admiratifs, de manière générale. L’inspecteur qui m’a interrogé hier a poussé un coup de gueule : « Ce mec, ça fait cinquante ans qu’on l’arrête et qu’on classe l’affaire sans suite. Arrêtons de l’emm***** ! »

Qu’est-ce que tu as ressenti hier, en arrivant au sommet de cette tour ?

C’est un peu comme si j’avais regagné le droit de continuer à vivre. Passer très près de sa propre mort pour finalement vivre un autre jour, c’est extraordinaire. Ça n’a pas de prix.

Tu sais combien de tours tu as gravi dans ta vie ?

J’ai gravi cent soixante-quinze tours différentes, un peu partout dans le monde. Au total, je compte environ deux cent vingt ascensions à mon actif puisque j’ai gravi certaines tours plusieurs fois, à l’image de la tour Total : hier, c’était ma quinzième.

Tu as aussi gravi cette tout-ci. Tu peux nous en parler ?

C’est la tour Framatome, que j’ai gravie en 1998. La tour Total, à côté, c’est une petite randonnée pour enfants.

Qu’est-ce qui la rend si difficile ?

Ses façades ne contiennent ni plan ni fissure horizontale où poser ou coincer ses pieds. Il n’y a que des fissures verticales, dans lesquelles je ne peux rentrer qu’une phalange à peine. Il faut pourtant y coincer ses pieds et ses mains, et s’en servir pour une escalade de cent quatre-vingts mètres. Pire : par endroits, la fissure devient plus étroite, ce qui renforce encore la difficulté. 

Comment sélectionnes-tu les gratte-ciel que tu escalades ?

J’étudie leur faisabilité, tout simplement. J’en examine l’architecture, et en un coup d’œil je peux déterminer si je pourrai le faire un jour ou si j’en serai incapable.

Il y a quelques semaines, tu as aussi gravi la tour Hekla.

Tout à fait, je l’ai escaladée il y a quinze jours. Il s’agit de la seconde tour la plus haute de France. C’était une très belle escalade qui m’a pris pratiquement deux heures, je me suis fait plaisir.

Revenons sur ton parcours. Tu es né en 1962 en Saône-et-Loire, puis tu as grandi dans la Drôme et tu as réalisé tes premières ascensions dans le Vercors, c’est ça ?

C’est ça, j’ai commencé dans le Vercors et en Ardèche. J’ai commencé l’escalade parce que je voulais devenir courageux. Et pour moi, le courage passait nécessairement par une certaine forme de prise de risque. Partant de ce postulat, l’escalade encordée ne m’intéressait pas, je voulais m’engager physiquement et moralement. C’est pour ça que j’ai fait le choix de l’escalade en solo intégral.

C’est quoi, le premier massif qui t’a fait connaître ?

Il y a eu mes escalades en solitaire dans les gorges du Verdon, ainsi que celles sur les falaises de Buoux dans le Luberon. Je faisais des solo extrêmement difficiles et aléatoires, qui n’ont toujours pas été répétés en 2023. À mon avis, ils ne le seront sans doute jamais.

Tu as réalisé un solo intégral mythique, l’ascension de Pol Pot dans le Verdon.

Pol Pot, c’est un peu mon Graal. C’était une voie que Patrick Edlinger avait ouverte assuré par une corde. Et en 1996, je l’ai escaladée sans. C’était un pari, quand je l’ai fait j’avais à peu près cinquante pour cent de chances de réussite. Et donc, cinquante pour cent de chances de mourir.

En 1982, tu es victime d’un grave chute de plus de vingt mètres. Ce coup-ci, tu as bien failli perdre la vie.

J’ai atterri les mains et les poignets en avant sur une dalle en calcaire. Mes deux poignets ont explosé, ils étaient pulvérisés : c’est ce qu’on appelle un fracas osseux. Mon chirurgien les a même comparés à des œufs brouillés. Mon pronostic vital était fortement engagé, on pensait que je ne passerais pas la nuit. Mais à force de transfusions, il faut croire que j’ai fini par redémarrer.

Il faut une force de caractère hallucinante pour faire une telle chute, frôler la mort et repartir comme en quarante avec des mains fracassées. Il me semble que tu as également des vertiges à cause du dérèglement de ton oreille interne ?

Exactement. Mon oreille interne étant endommagée, je souffre de vertige médical. Surtout, je suis handicapé à soixante-six pour cent, un handicap essentiellement lié à mes deux poignets et à mes coudes. Les poignets pour un grimpeur, c’est comme les ciseaux à bois pour un sculpteur : sans ça, impossible de faire son travail. Et pourtant, j’ai fait le premier solo intégral sur une voie cotée 8b en 1991.

Où puises-tu ta force et ta détermination à réattaquer les sommets après avoir frôlé la mort ?

Les notions de force et de détermination sont propres à chacun. À titre personnel, je ne trouve pas que ce que j’ai fait est extraordinaire : je fais ce que j’aime, je le fais bien et avec beaucoup d’amour, de cœur et de passion. Mon quotidien paraît peut-être très dangereux et compliqué, mais c’est simplement ma façon de m’exprimer. C’est de cette façon que je vis depuis bientôt cinquante ans, et c’est celle qui me comble.

 

Toki Woki avec Alain Robert sera diffusé le mercredi 13 décembre sur France 3 Paris Ile-de-France à 0h50 et déjà disponible sur france.tv/idf

 

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