Ian Brossat, adjoint au logement à Paris, publie un livre "l'espion et l'enfant", dans laquelle il raconte l'histoire de son grand-père, haut dignitaire israélien qui a livré des secrets à l'URSS. L'élu communiste tente de comprendre comment cette aventure a forgé l'homme qu'il est devenu ?
Pendant toute son enfance, Ian Brossat a porté une cagoule l'hiver.
C'est l'une des révélations du livre que l'adjoint au logement à la mairie de Paris vient de publier : "l'espion et l'enfant". Pas la plus importante. Elle symbolise néanmoins les sentiments de l'élu communiste par rapport à son histoire familiale. Elle lui a à la fois pris la tête et l'a enveloppé d'une chaleur protectrice.
Cette histoire familiale, on la connaissait un peu. Celle d'un grand père, haut dignitaire israèlien qui livrait des secrets d'état à l'URSS. Marcus Klingberg, surnommé affectueusement Saba par son petit-fils tout au long du livre, fut condamné à 20 ans de prison pour cette trahison. Comment cette histoire a façonné Ian Brossat, comment a-t-elle pu influencer son engagement politique au parti communiste ? Ce n'est pas le seul enjeu de ce récit mais c'est celui qui nous intéresse pour cet article.
Traître ou héros ?
Car cette généalogie politique est quelquefois utilisée avec une certaine inélégance par les adversaires politiques de Brossat, qui lui-même n'est pas un pied-tendre dans le combat. Ainsi Claude Goasguen qui lors d'un conseil de Paris y fit référence pour qualifier de "stalinien", l'élu communiste. Ou encore Pierre-Yves Bournazel qui en plein débat sur LCP pour les municipales lui demande ce que faisait son grand-père pour répondre à une attaque sur les rapports entre Jean et Dominique Tibéri.Ian Brossat aime son grand-père. C'est normal et c'est bien son droit. On oserait même écrire que c'est son devoir filial. Mais le voit-il comme un héros ? Est-il dérangé par le fait qu'il soit un agent double, un traitre suivant le camp dans lequel on se place ? La réponse est d'autant plus nuancée que dans son récit Ian Brossat tente de retrouver les pensées qui l'agitaient à chaque stade de son développement. Et tente de retranscire les idées du tout petit enfant à qui on fait croire que la prison dans laquelle il visite son grand-père est un hôpital ou du presque adulte qui assiste au procès pour une libération anticipée de son cher Saba.
C'est à cette occasion qu'il fait ses premiers pas devant les caméras (Brossat les aime bien aujourd'hui, mais après tout il voulait devenir journaliste), tentant l'émotion médiatique du mignon petit-fils pour amadouer l'opinion publique et donc les juges. "Est-ce que tu n'as pas honte que ton grand-père ait trahi ? ", lui demande-t-on ? "Moi je m'en fous, je suis Français", répond alors le jeune Ian.
Réponse géopolitique qui ne l'éxonère pas de la question morale. Ian Brossat reprend l'argument se son grand-père. A savoir qu'il n'a pas livré de secrets contre de l'argent. "C'est un leitmotiv, chez lui : ce qu'il a fait avec les Soviétiques émane d'une ferme conviction idéologique. Il se sentait redevable et reconnaissant à l'URSS qui l'avait accueilli, hébergé, lui avait permis d'étudier, de travailler et de lutter contre le fascisme". Markus Klingberg, juif polonais et communiste a fui les nazis et la Shoah en se réfugiant dans l'actuelle Ukraine. "Ce point est capital, pour lui comme pour nous: espion peut-être mais par conviction. Certainement pas par corruption ou par appât du gain", écrit Ian Brossat.
Armes biologiques ?
Ce qui interroge l'adolescent et l'adulte qu'il est devenu c'est la nature des informations fournies à l'URSS. En Israël, que Marcus Klinsberg a rejoint après la guerre, il dirige l'institut de recherche Ness Ziona. Le savant, médecin épidémiologiste, y fabriquait-il des armes bactériologiques ? Ian Brossat questionne son grand-père. Il reste évasif. "Ces révélations me mettaient mal à l'aise. Pourquoi s'était-il laissé embarquer et embourber dans ce marécage ? Comment justifier une participation active à la création de ces armes abominables, si dangereuses pour l'humanité ? ", écrit l'élu communiste. Sa mère évoque le contexte de la guerre froide. Sans être convaincue. Libéré, Markus Klinsberg rejoignit sa famille à Paris, où il mourut entouré des siens le 30 novembre dernier. Sans livrer vraiment tous ses secrets. "A chaque fois que j'ai tenté d'aborder le sujet, nous avons finalement discuté d'autre chose. Peut-être qu'au fond de moi, je n'ai pas envie de savoir, et que ça n'a plus d'importance", écrit Ian Brossat.
Mais sur la duplicité de l'agent double, il n'a pas de remords. "Loyal et fidèle à ces deux pays incompatibles, mais porteurs, chacun à sa façon, de son histoire et de celle de son peuple. Evidemment, il aurait été plus clair que Saba renie l'un au profit de l'autre. Mais il fallait se rendre à l'évidence: il n'a pas su ou pas voulu trancher. Il a choisi les deux....", conclut Ian Brossat.
Une grand-mère magnifiée
Il raconte également sa vie dans cet ouvrage. Fils de deux intellectuels trotskistes, comment a-t-il pu rejoindre le PC ? "Le communisme est mon espérance: à mes yeux, c'est le juste compromis entre l'histoire de mes grands-parents, la révolte contre l'injustice que je partage avec mes parents, et le monde dans lequel je vis, moi, et dans lequel je veux construire sans attendre, loin des rêveries et des longs discours, ma propre histoire. Dès que je serai libre de la leur", répond le Brossat de 2002 qui vient juste de finir Normale-Sup.Mais la véritable héroïne de ce livre est sa grand-mère dont Ian Brossat dresse un magnifique et amoureux portrait. L'autre pan de son histoire familiale. Sa judéité. Lui, le communiste laïc, arrière-arrière petit fils de rabbin qui a passé toutes ses vacances en Israël et qui a appris l'hébreu en autodidacte pour communiquer avec son grand-père. Agrégé de lettres, Ian Brossat doit se rendre compte que c'est le metatexte, comme on dit en khâgne, qui sous-tend son livre. Mais cela est son histoire. Et c'est à lui de décider s'il doit s'en libérer un jour.
"L'espion et l'enfant", par Ian Brossat (avec Valérie Péronnet) aux éditions Flammarion.