Bâtis il y a plus de 50 ans, le quartier des Patios à Grigny (91) fait le bonheur de ses habitants. Nées dans l’imagination de l’architecte Emile Aillaud, ces maisons forment, quand on s’y promène, le rêve d’un vie agréable, sociable et apaisée, et bat en brèche tous les clichés qui collent au béton des cités de l’Essonne et d’ailleurs en France.
D’abord, on remarque les couleurs sur les murs. Puis les sculptures imposantes, immobiles au milieu des larges rues, et au centre des places. Et puis il y a le ciel. A cent lieues des grandes barres qu’on a l’habitude de voir dans les quartiers populaires, les logements sociaux imaginés par l’architecte Emile Aillaud ont très peu d’étages, voire sont de plain-pied, comme c’est le cas ici, dans le quartier des Patios. L’architecte, qui rêvait d’une « ville pour l’enfant », aurait sans doute été heureux de voir Mathias continuer de faire glisser ses 50 ans passés sur un skate-board. « C’est comme ça que je me déplace ici, sourit-il. « Je mets des rollers aussi parfois. Je n’aurais pas pu le faire ailleurs. Vous avez vu l’espace qu’il y a ici ? » Cet habitant historique du quartier est arrivé à Grigny à l’âge de 4 ans. « Vivre ici pour les enfants, c’est la liberté totale, raconte-t-il. D’ailleurs, il y a des anciens qui reviennent souvent, parce que la nostalgie est très forte. »
Chats et vélos
Le quartier a été construit en 1967 et comporte 206 maisons, toutes construites de la même manière. A l’intérieur, plusieurs sources de lumière offertes par de nombreuses ouvertures, et de longues baies vitrées donnent sur un grand espace de jardin. « Chacun a son intimité et en même temps son ouverture sur les autres » ajoute Mathias.
L’endroit qui avait été conçu pour accueillir tous types de catégories sociales, compte aujourd’hui une très grande majorité de propriétaires. Jean-François a 50 ans, il est né à Grigny, dans le quartier voisin de la Grande Borne. « Ça fait 15 ans que je suis propriétaire aux Patios, se rappelle-t-il. J’ai réfléchi avant de déménager, et puis je me suis dit que je ne pouvais pas partir de cette ville. Je veux que mes enfants goûtent à ce que j’ai goûté. »
Lui, c’est la casquette et le sourire qu’il a gardé de l’enfance. Il faut l’entendre témoigner... « Quand t’es petit c’est magnifique cet endroit. Je me rappelle encore quand on a découvert le quartier. »
Il fait des gestes et il nous montre avec ses mains. « On faisait des chats à vélo ici parce que toutes les rues sont piétonnes, et il y a plein de petits passages. »
Rénover sans abimer.
Si l’originalité de ces pièces d’art continuent toujours de surprendre les promeneurs, les bâtiments n’ont pas été épargnés par le temps. Les carreaux sur les murs tombent à certains endroits, de plus en plus de fenêtres s’abiment, et les logements sont de moins en moins bien isolés.
« L’enjeu aujourd’hui, c’est d’arriver à faire comprendre que l’urgence est de sauver à la fois ces habitations des mauvaises isolations tout en respectant l’art urbain développé avec ces constructions » rapporte Phillipe Rio, maire de Grigny.
Les travaux de rénovations sont coincés entre des remplacements qui rompent avec l’esprit architectural des Patios (vitres plates à la place des bulles pour les fenêtres, toit en zinc au lieu de l’aluminium, …), et le fait que le lieu soit mis sous protection après avoir été labellisé « Patrimoine du XXe siècle » en 2008, puis classé «architecture contemporaine remarquable en 2017 ». « Ce type de rénovations s’est fait dans d’autres pays, on a un fort espoir qu’il se fasse ici aussi, poursuit-il.
L’architecture d’Emile Aillaud, c’est une poésie. C’est l’art urbain développé comme nulle part ailleurs. »
L’édile de l’Essonne sait de quoi il parle. Il a grandi à Grigny, dans le quartier du Méridien. Les rues, il les connait et les chats à vélo aussi. « On se faisait la courte échelle pour cueillir les cerises sur les branches qui dépassaient des jardins » avoue-t-il en riant, vers les quelques propriétaires qui écoutaient attentivement le maire depuis le début de notre entretien.
Finalement, Emile Aillaud a peut-être réussi son pari : les enfants d’ici n’ont pas l’air d’avoir grandi tout à fait comme les autres.