Le 7 janvier 2015, cette policière a été l’une des premières à intervenir lors de l’attaque de Charlie Hebdo. Elle raconte sa confrontation avec les frères Kouachi, la mort de son collègue Ahmed Merabet et la découverte des corps dans la salle de rédaction.
En marge du procès des attentats de janvier 2015, France 3 Paris Île-de-France diffuse un dispositif spécial à l'antenne et sur nos supports numériques. Ce lundi, nous poursuivons notre série intitulée "La parole à..." avec le témoignage d’une policière confrontée à la tuerie de Charlie Hebdo.
Au départ, lorsqu’elle et ses collègues sont appelés pour une intervention au 10, rue Nicolas-Appert, personne ne pense se rendre sur les lieux d’un attentat terroriste. "À la base, on part sur un appel des bruits de pétards. Personne ne sait que c’est les locaux de Charlie Hebdo", explique l’agent. Lorsque l’équipe arrive sur les lieux, elle est alors surprise par des bruits inhabituels. "En l’espace de 30 secondes, on entend des coups de feu. Deux individus sortent, les frères Kouachi. Et dès qu’ils voient des policiers, ils se mettent à tirer dans notre direction".
La policière est alors témoin de l’assassinat de son collègue Ahmed Merabet qui s’est retrouvé face aux deux assaillants. "Il est abattu sur le trottoir. On ne comprend pas tout de suite. On ne se dit pas que c’est un attentat à ce moment-là. Et on essaye de revenir". La membre des forces de l’ordre se rappelle alors la sensation et la peur ressenties au moment de rentrer dans les locaux du journal satirique. "Je pense que chacun s’est dit que c’était terminé, et qu’il allait partir. Et là, on arrive dans le bureau et on voit la scène de massacre".Je pense que chacun s’est dit que c’était terminé, et qu’il allait partir.
Des images avec lesquelles elle doit vivre de cinq ans maintenant. "On est habitués à voir des scènes, dans notre carrière, des personnes décédées mais là ce qui était un peu plus difficile c’est d’avoir la sensation de voir les gens partir devant nous". La policière se souvient s’être sentie impuissante face à une telle situation : "Il y avait un médecin des pompiers qui était là. Même lui il pouvait rien faire, il a très vite compris qu’il n’y avait rien à faire".
Dans la salle de rédaction, "c’était tellement calme, ça sentait la poudre. C’est vraiment un sentiment qu’on garde… un endroit vraiment bizarre", décrit-elle.
Des images encore présentes
La policière mettra du temps à prendre conscience de traumatisme provoqué par les faits. "Pendant plusieurs mois, j’avais l’impression de bien le vivre. Sur le moment j’étais normale, c’est ça qui était anormal. Je devais être dans le déni. J’étais à l’extérieur de ça, spectatrice de ce que je venais de faire, de voir. Après, plus les mois ont passé, plus j’ai pris conscience de l’évènement. Et je l’ai accepté aussi. Et j’ai vraiment compris ce qui s’était passé. Il m’a fallu pas mal de temps".Aujourd’hui, le souvenir reste prégnant. L’agent repense tous les jours aux évènements. "C’était particulièrement choquant. On n’est pas préparés, personne n’est préparé. Nous en tant que policiers on n’est pas plus préparés que le citoyen lambda. On a tous notre part de fragilité. Chacun le vit à sa manière en fait. Mais j’ai mis beaucoup de temps quand même à passer à autre chose".
Parmi les moments gravés dans sa mémoire, celui des frères Kouachi sortant des locaux de Charlie Hebdo. "Le seul souvenir que j’ai gardé d’eux de crier dans une langue en plus que je ne parle pas", se remémore-t-elle. "Je ne peux pas me mettre à la place de deux fous. Je ne peux me poser les questions qu’ils se posent. Je n’arrive pas à comprendre. Pour moi, il n’y a pas d’excuse. Je suis déçue qu’ils soient morts mais en même temps je pense que vivants on aurait rien tiré en fait".
Avec le procès des attentats, la policière replonge dans ce passé douloureux. "Après, ça va peut-être permettre de mettre un point final aussi". Elle espère notamment pouvoir obtenir une certaine reconnaissance en marge de ces semaines de débats : "La seule chose que j’attends ce procès, même si j’ai du mal à le dire, c’est qu’on soit reconnus. Je ne dis pas reconnus victimes, mais si quand même".