Pour la première fois, l'Etat et le ministère de l'Intérieur sont assignés ce mercredi en justice par 13 personnes. Ces plaignants s'estiment victimes de délit de faciès lors de contrôles policiers inexpliqués.
Treize personnes s'estimant victimes de contrôles de police au faciès attaquent mercredi l'État et le ministère de l'Intérieur devant la justice pour pointer une pratique discriminatoire, lors d'une audience devant le tribunal de grande instance de Paris.
Étudiants, salariés, noirs ou arabes, âgés d'environ 18 à 35 ans, ils ne sont "pas des militants", selon l'un de leurs avocats, Me Félix de Belloy, mais se sont signalés auprès du Collectif contre le contrôle au faciès, selon lequel cette audience "historique" représente une "première en France".
>> Un reportage de William Van Qui et Norbert Cohen
L'un des plaignants, prénommé Bocar, attaque ainsi l'Etat car il dénonce un "contrôle musclé" qu'il a subi à Saint-Ouen, en banlieue parisienne, "la goutte d'eau qui a fait déborder le vase". "Je sortais du quartier de mes parents. Un policier me prend par un bras, il m'emmène dans un coin, il me met contre un mur. Quand je demande pour quel motif je suis contrôlé, il ne m'en donne aucun. Quand j'essaie de me retourner, il me menace avec un taser", a-t-il raconté à l'AFP.
Le jeune homme a déposé une plainte auprès de l'IGS (Inspection générale des services, la "police des polices"), mais explique n'avoir pas eu de nouvelles.
"C'est pour la kyrielle de gens qui sont contrôlés de façon humiliante, fouillés, palpés parfois au niveau des parties génitales", dit-il pour expliquer sa démarche.
"Quand on est contrôlé, il n'y a aucun justificatif qui est donné. Les policiers peuvent contrôler qui ils veulent, quand ils veulent, sans rendre des comptes, c'est totalement opaque", souligne-t-il.
L'Etat comme le parquet préconisent de débouter les 13 plaignants. Un Noir a de 3 à 11 fois plus de chances d'être contrôlé par la police qu'un Blanc et un Maghrébin de 2 à 15 fois plus, selon une enquête de 2009 de l'Open Society Justice Initiative (émanation de la Fondation George Soros) menée avec le CNRS à Paris.
Selon Lanna Hollo, représentante de l'ONG, ce problème existe "dans tous les pays d'Europe", mais la particularité de la France était d'être dans le "déni du problème", jusqu'à la dernière campagne présidentielle.
Si l'engagement 30 de François Hollande annonçait qu'il lutterait notamment contre le "délit de faciès" lors des contrôles, il ne s'est traduit que par des "demi-mesures", a déploré Mme Hollo.
Un temps évoqué, la remise d'un récépissé après un contrôle d'identité a finalement été abandonnée en septembre, au grand dam des associations. L'Intérieur a néanmoins annoncé le retour du matricule sur les uniformes.
Le porte-parole du ministère de l'Intérieur, Pierre-Henry Brandet, a déclaré à l'AFP qu'un "vrai travail de profondeur a été engagé afin de renforcer" et "rétablir le lien" forces de l'ordre/population.
Il a cité, outre le matricule "opérationnel" fin 2013 , le nouveau code de déontologie de la police qui encadre mieux les contrôles d'identité ainsi que, à cet égard, les caméras sur les uniformes des forces de l'ordre pouvant les filmer. Ou encore la possibilité de saisir par internet directement la "police des polices" en cas de contestation et d'abus "La police et les gendarmes sont les corps de fonctionnaires les plus contrôlés", a dit aussi M. Brandet.
En 2011, des avocats avaient mené une offensive devant la justice en déposant des questions prioritaires de constitutionnalité (QPC), qui ont été rejetées par la Cour de cassation.